CHAPITRE V
New York, NY – 15 mars 1994
Alicia retrouva Jackson à leur point de rendez-vous habituel à un pâté de maisons du Devil's Playground. Les sirènes des pompiers trouèrent la nuit comme il lui ouvrait la portière.
« Tous nos agents étaient en position ce soir ? » demanda-t-elle en se glissant sur le siège arrière de la limousine.
« Naturellement, » rétorqua Jackson, s'installant au volant. « À la maison ? »
« Oui, » répondit-elle, « mais seulement pour un bref arrêt. J'ai besoin de changer de vêtement et de faire une petite course. Ensuite, nous ressortirons. Il y a une personne que je dois voir au sujet de ce qui m'est arrivé ce soir. Pendant que nous y serons, interrogez nos espions. Et aussi, faites visionner par quelqu'un les bandes vidéos des caméras cachées. J'ai besoin de savoir le maximum de choses sur une créature se faisant appeler la Mort Rouge. Et sur un jeune homme et une jeune femme dénommés Ruben et Rachel. »
« Tout ce que vous voudrez, » déclara Jackson en insérant la voiture dans le trafic nocturne. « Je m'y mettrai dès que nous serons arrivés au penthouse. »
Le Devil's Playground n'était qu'un des nombreux immeubles de Manhattan qui appartenaient en secret à Alicia. Usant de manipulations mentales subtiles mais intenses, elle avait persuadé Justine d'installer le quartier général du Sabbat dans le club. L'Archevêque, malgré tous ses pouvoirs, ignorait que le moindre de ses mouvements était surveillé par des caméras vidéos secrètes dissimulées dans l'épaisseur des murs.
« Justine, Molly et Hugh sont partis précipitamment, ce soir, » dit Alicia, s'étirant sur la moelleuse banquette blanche de la gigantesque limousine. « Votre équipe a pu s'en arranger sans difficulté ? »
« Aucun problème, » dit Jackson. « C'est étonnant ce que l'argent peut acheter. J'ai des agents tout autour du club. Avec plus d'une douzaine de personnes à l'intérieur, y compris plusieurs au sein du personnel. Équipées d'un émetteur subvocal. Au moindre incident inhabituel, tout le monde est immédiatement averti. Vos trois amis inhumains ont été pris en chasse aussitôt après leur départ. Vous aurez leur destination demain matin. »
« Bien, » dit Alicia, « parfait. »
Elle avait besoin de Justine. Tout au moins, elle avait besoin de sa position d'Archevêque pour le moment. Mais Alicia aimait aussi savoir où les vampires se reposaient pendant la journée. Cela lui donnait un moyen de pression supplémentaire sur eux au cas où la situation au Devil's Playground devait virer à l'aigre. Ou si Justine découvrait la vérité au sujet de leur relation.
Des stratagèmes à tiroirs contenant d'autres stratagèmes, songea Alicia en fermant les yeux et en laissant le ronronnement léger des roues de la voiture bercer ses sens. Le jeu ne se termine jamais. Il devient simplement plus vieux et plus complexe.
Quinze minutes plus tard, Jackson garait la limousine dans le garage du Varney Building. Un ascenseur express spécial les emmena depuis le sous-sol au penthouse en quelques secondes. Passant dans l'appartement, Alicia se débarrassa de ses couches de dentelles en marchant. Le temps qu'elle atteigne l'armoire » elle était complètement nue.
« Du nouveau sur la situation russe ? » demanda-t-elle à Jackson en sortant le costume approprié. La discrétion était de rigueur pour leur prochaine sortie. Une combinaison intégrale noire, une paire de gants foncés et une veste à capuchon conviendraient parfaitement. Quoique, avant de repartir, il lui fallait encore s'arrêter ailleurs en premier.
« Rien de concluant, » répondit Jackson depuis le salon. « J'ai secoué un peu nos représentants mais, pour changer, ils sont autant dans le noir que nous. Quoi qu'il puisse se passer dans les républiques soviétiques, rien ne filtre. C'est comme si quelqu'un avait jeté un voile sur toutes les nouvelles qui sortent du pays. »
Alicia fit une grimace de contrariété. Et d'inquiétude. La légende faisait de la Sorcière de Fer la plus grande magicienne de tous les temps. Si elle était réellement sortie de sa torpeur, tout était possible. Alicia frissonna. Si les Nictuku étaient en train de se lever, les Antédiluviens pourraient bien être sur le point de s'éveiller également. Il y avait de quoi faire des cauchemars.
« Je reviens dans un instant, » dit-elle à Jackson. Elle appuya sur une portion du mur au fond de l'armoire. Sans un bruit, la cloison glissa sur le côté, révélant un ascenseur compact tout juste assez grand pour accueillir un passager. Il l'emmena bien en dessous du rez-de-chaussée de l'immeuble Varney. En un lieu qu'aucun autre humain n'avait jamais foulé. Une crypte.
Quinze minutes plus tard, Alicia réapparut. Ses joues brillaient d'une vitalité presque inhumaine. Ses yeux étincelaient. Toutes ses peurs, tous ses doutes avaient disparu. Elle rayonnait d'assurance. Avec un rire féroce, elle pressa le panneau refermant l'entrée de son ascenseur secret.
« La Mort Rouge et la Reine de la Nuit, » murmura-t-elle à l'intention des murs. « Nous verrons bien qui l'emportera. »
« Vous me parliez, mademoiselle ? » demanda Jackson dans l'autre pièce.
« Je réfléchissais seulement à voix haute, » dit Alicia, baissant son capuchon sur son visage. Elle passa nonchalamment dans le salon. « Qu'en pensez-vous ? Le visage du bourreau est-il bien dissimulé ? »
Jackson, reposant le téléphone, lui adressa un regard d'incompréhension totale. « Je vous demande pardon, mademoiselle ? »
« Vous n'écoutez jamais Bob Dylan, monsieur Jackson, » dit-elle avec un sourire.
« Non, mademoiselle, je le reconnais. Je préfère la musique classique. Avec une préférence pour Mozart et pour Bach. »
« Amadeus, » dit Alicia, et ses yeux se voilèrent. Puis, secouant la tête comme pour en chasser les toiles d'araignées d'un vieux souvenir, elle s'avança jusqu'à l'immense baie vitrée qui surplombait la ville.
« Qu'avez-vous appris ? » demanda-t-elle, le regard perdu dans la nuit.
« Pas grand-chose d'utile, » dit Jackson. « Vos trois amis se sont séparés peu après avoir quitté le club et ont regagné leurs planques respectives. Les pompiers ont éteint l'incendie, qui est resté confiné à l'arrière du Devil's Playground. Trois personnes sont mortes piétinées dans la bousculade. C'est à peu près tout. »
« Et mon petit ami aux cheveux blonds et au costume blanc ? » demanda Alicia. « L'homme que je vous ai décrit. Il a dit s'appeler Ruben. »
« Un de nos hommes des services de police a interrogé le chef des videurs du bar. À laissé entendre qu'il recherchait ce Ruben au sujet de l'incendie. Le pantin n'a rien pu lui apprendre. » Jackson leva la main, anticipant la prochaine question d'Alicia. « Pas plus qu'il ne se souvenait de la femme à la robe verte. »
« Et nos caméras ? » demanda Alicia, s'attendant au pire.
« Curieusement, notre mystérieux inconnu a réussi à les éviter. Je croyais quelles étaient placées de manière à couvrir entièrement la piste du club. Mais j'ai dû me tromper. Il n'apparaît sur aucune des bandes. »
« Ne soyez pas aussi rapide à blâmer l'équipement, » dit Alicia, levant les yeux au ciel. Elle fixa la pleine lune comme pour y chercher une réponse. « Ruben est un mage. Le plus grand que j'ai jamais rencontré. Il tord la réalité au gré de ses besoins. »
« Un mage ? » fit Jackson. « Vous voulez dire un magicien ? Comme ces types de Las Vegas avec les tigres ? »
« Pas un prestidigitateur ou un illusionniste, monsieur Jackson, » dit Alicia. « Une personne qui altère l'univers avec son esprit. »
« Si vous le dites, mademoiselle, » répliqua Jackson d'un ton dubitatif. Matérialiste convaincu, l'ancien soldat ne croyait qu'à ce qu'il pouvait voir et toucher.
« Nous vivons une drôle d'époque, Jackson, » dit Alicia. « Trop étrange à mon goût. »
Elle se détourna de la vitre et se dirigea vers la porte. « Il ne reste que quelques heures avant l'aube. Pas de temps à perdre. Il y a une vieille femme à qui je veux rendre visite dans le Bowery. Maintenant. »
« Le Bowery, » répéta Jackson. « Encore un joli quartier. Un cran au-dessus de Prospect Heights Park grâce à l'absence de grille tout autour. Pour le reste, mêmes bandes, mêmes problèmes. »
« Vous avez votre arme ? » demanda Alicia en pressant le bouton du garage.
« Bien sûr, » dit Jackson. « Je l'ai toujours sur moi. »
« Si quelqu'un nous ennuie, servez-vous en. Tirez pour tuer. Pas de deuxièmes chances ce soir. »
« Oui, mademoiselle, » dit Jackson. « Comme vous voulez. »
La voiture s'arrêta en face d'un vieil immeuble délabré en grès rouge à l'ombre de la ligne de métro suspendu. Cinq adolescents en cuir noir, au crâne rasé, étaient assis sur les marches du bâtiment. Ils regardèrent Alicia et Jackson avec une hostilité non dissimulée.
« Qu'ess'tu veux, madame ? » demanda le plus costaud de la bande, d'une voix rocailleuse dégoulinant de menace. Ses pâles yeux gris volèrent de la limousine d'Alicia à Jackson, puis revinrent sur elle. De toute évidence, il était en train de se demander si elle valait la peine d'une bagarre.
« Ouais, qu'ess'tu veux ? » lui fit écho un de ses compagnons. Il ouvrit la main et révéla un couteau à cran d'arrêt. Avec un sifflement d'air, la lame de quinze centimètres sortit au grand jour. Regardant Jackson droit dans les yeux, l'adolescent ricana. « Toi aussi, fils de pute. »
L'ancien béret vert sourit. Son regard croisa celui d'Alicia qui répondit d'un hochement de tête à sa question non formulée. D'ordinaire, Alicia tâchait d'éviter la violence. Elle n'aimait pas attirer l'attention. Mais avec toute la frustration accumulée de la soirée, elle était sur le point d'exploser.
« Qu'est-ce que t'as, espèce de… » commença à demander le même punk lorsque Jackson entra en action. Pour un homme de sa carrure, il était incroyablement vif. Ses réflexes avaient été affûtés par des années de guerre dans la jungle. Deux pas en avant l'amenèrent au niveau de l'adolescent. Il le saisit d'une main par une oreille et lui tira violemment la tête en arrière. La mâchoire du punk en tomba de stupeur. Comme en réponse, Jackson sortit un gros .357 Magnum Police Spécial de sous son manteau et le lui enfonça entre les dents. Le gamin glapit de douleur tandis que du sang rouge gouttait sur les marches.
Alicia, qui ne se contentait jamais de regarder, se tenait à quelques centimètres du chef de la bande. Sa main était posée contre la chair tendre de son cou, ses longs ongles vernis incrustés dans sa peau blanche. « Évite de faire ou de dire quelque chose de stupide, » fit-elle remarquer calmement au jeune homme, qui était paralysé de terreur. « Il me suffirait de serrer les doigts pour te déchirer la carotide. C'est une façon de mourir très douloureuse. Ne me fournis surtout pas un prétexte. »
« Quelqu'un veut jouer les héros ? » demanda Jackson, secouant son prisonnier par l'oreille de manière à l'aligner directement avec les autres membres de la bande. Sa main sur le revolver planté dans le visage du punk ne tremblait pas. Les yeux du gamin étaient écarquillés sous le choc. « Je peux vous descendre à travers le crâne de cet abruti. Ça risque d'être assez sale. À vous de voir. »
« Hé, » s'exclama le punk dans la main d'Alicia. « On cherche pas les putains de problèmes. On voulait seulement discuter. »
« Dans ce cas, » dit Alicia, refermant les doigts juste assez pour faire perler un peu de sang, « apprenez à fermer votre putain de gueule. Compris ? »
« Ouais, ouais, » dit le jeune homme avec nervosité. La mort se lisait dans les yeux d'Alicia. « Sûr, j'ai compris. »
« C'est bien, » dit Alicia. « Maintenant, tu vas être un gentil garçon et nous dire où habite madame Zorza. Ensuite, peut-être que je vous laisserai partir, toi et tes copains. »
« La vieille sorcière ? » demanda un autre membre de la bande, qui était resté figé pendant toute la rencontre. « Elle vit au deuxième. C'est une sacrée putain de barjo. »
« N'est-ce pas, » dit Alicia, en hochant la tête. D'une bourrade, elle envoya son captif dégringoler les marches. Comme par magie, un petit automatique apparut dans sa main. Elle le montra aux autres. « Vous pouvez relâcher aussi notre jeune ami malpoli, monsieur Jackson. Passez une bonne fin de soirée, les enfants. Si vous êtes encore dans les parages quand nous repartirons, je considérerai que vous nous préparez un mauvais tour. Et monsieur Jackson et moi réagirons en conséquence. »
Traînant ses blessés derrière lui, le quintet disparut dans la nuit. « Ils reviendront, » dit Jackson. « Avec des renforts en masse. Tous lourdement armés et prêts pour la guerre. Les gosses ne prennent plus les menaces au sérieux de nos jours. »
« Dommage, » dit Alicia, rengainant son arme. « Les enfants ne devraient pas se faire voir ni se faire entendre. Leur présence complique trop l'existence. J'en aurai pour un moment à l'intérieur. Madame Zorza s'exprime habituellement par énigmes. Il faut une patience remarquable pour comprendre ce qu'elle raconte. »
« Nous sommes venus dans ce quartier minable, » dit Jackson, « pour rendre visite à une diseuse de bonne aventure ? »
« Je suis venue dans ce quartier minable pour rendre visite à une diseuse de bonne aventure, » corrigea Alicia. « Vous restez ici. J'ai besoin de parler à madame Zorza seule à seule. Dans l'intervalle, utilisez le téléphone de la voiture. Demandez du soutien. Si ces punks cherchent les ennuis, qu'ils en trouvent. Politique de la terre brûlée. Pas de quartier. Utilisez toute la main-d'œuvre dont vous avez besoin. »
« Vous serez en sécurité, dans ce trou à rats avec une folle ? » demanda Jackson.
« Madame Zorza et moi sommes de vieilles amies, » dit Alicia, ouvrant d'une secousse la porte de l'immeuble. « Ça remonte à des années et des années. »
En grimpant les marches branlantes qui menaient au deuxième étage, Alicia se fit la réflexion qu'années n'était pas le terme qui convenait. Elle connaissait madame Zorza depuis des siècles.
La diseuse de bonne aventure était une mystique de la Famille, un vampire du clan Gangrel. De génération inconnue, elle vivait à New York depuis près de deux cents ans. Auparavant, Alicia, sous diverses identités, l'avait connue en Europe à l'époque de la peste. Voyante aux pouvoirs mystérieux, madame Zorza prédisait l'avenir avec une précision infaillible. Elle s'exprimait, cependant, par énigmes vagues et sibyllines. Et à l'instar de toutes les diseuses de bonne aventure, elle avait son prix.
Seul un appartement subsistait au deuxième étage. Des deux autres, il ne restait plus que des murs lépreux. Soigneusement, Alicia rabattit le capuchon noir autour de son visage de façon à ne laisser apparaître que ses yeux. Madame Zorza refusait de discuter avec une personne dont elle pouvait voir le visage. Alicia refusait de se demander pourquoi.
Elle frappa. Trois coups, sur un rythme qu'elle avait appris cinq cents ans auparavant.
« Entre, Reine de la Nuit, » fit une voix à l'intérieur. « Le verrou n'est pas mis. Je t'attendais. »
Zorza parlait avec un accent rauque, guttural. Il était souvent difficile de la comprendre. Alicia secoua la tête avec consternation. Elle n'avait décidé de venir que quelques heures plus tôt. Comment la vieille sorcière avait-elle su ?
Alicia poussa la porte et entra dans l'appartement. Le salon était plongé dans une obscurité quasi-totale. Une chandelle unique, posée dans un crâne poli, brûlait sur une table ronde autour de laquelle se trouvaient deux chaises. Sur l'une était assise madame Zorza. C'était une toute petite femme, mince, avec des traits hagards et ridés.
Un tissu noir orné de symboles mystiques brodés en fil d'argent recouvrait la table. Alicia se souvint avoir vu le même tissu lors de sa première visite à madame Zorza sept cents ans plus tôt. Comme la diseuse de bonne aventure, il n'avait pas changé.
« Assieds-toi, » dit la vampire, indiquant l'autre chaise. Son aura brûlait clair. Madame Zorza était petite en taille, mais sa puissance était grande. « Je sais pourquoi tu es ici. » « Naturellement, » dit Alicia. « Comme toujours. Quel sera ton prix cette fois ? »
La diseuse de bonne aventure ne répondit pas. Au lieu de cela, elle passa la main au-dessus de la chandelle dans le crâne, traçant d'étranges symboles dans l'air. La flamme vacilla, comme sous l'effet d'une brusque rafale. Sa danse semblait reproduire la trame complexe tissée par les doigts vénérables. « Ce soir, il n'y a pas de prix. Je te dirai ce que tu veux savoir pour rien. »
« Pour rien ? » dit Alicia, immédiatement soupçonneuse. « Pourquoi ? »
La diseuse de bonne aventure sourit mais ne dit rien. Alicia soupira de frustration. L'esprit de madame Zorza était un livre fermé. Lire ses pensées était impossible. Quels que fussent les secrets que renfermait l'esprit de la vieille vampire, ils étaient bien dissimulés.
Un coup de feu claqua à l'extérieur. Puis un autre. Le brusque crépitement d'un pistolet-mitrailleur emplit l'air.
Alicia s'agita, mal à l'aise. Jackson pouvait se débrouiller tout seul. Malgré tout, tôt ou tard, ce genre de fusillade finissait par attirer l'attention de la police. Elle n'avait pas de temps à perdre avec madame Zorza.
Comme si elle avait lu dans les pensées d'Alicia, la diseuse de bonne aventure se mit à parler. La flamme de la chandelle tremblotait à chaque mot.
« Treize, trois, et un, » murmura madame Zorza. « Les nombres ont toujours leur importance. Beaucoup ne sont pas ce qu'ils paraissent. Les nombres ont toujours leur importance. La réponse est dans le passé. La réponse est dans l'avenir. Les enfants jouent le jeu. Les règles sont bousculées. Les nombres ont toujours leur importance. L'homme-rat connaît la réponse. Mais on ne lui a pas posé la question. Et plus que tout, les nombres ont toujours leur importance. »
Alicia regarda fixement madame Zorza. « C'est tout ? C'est tout ! Je suis supposée tirer quelque chose de sensé de ce galimatias ? »
La diseuse de bonne aventure hocha la tète. Un mince sourire jouait sur ses lèvres. La légende rattachait le clan Gangrel aux loups-garous. Nombre de vampires de cette lignée avaient des traits lupins. Pas madame Zorza. Son visage évoquait celui d'un monstre mythologique – le Sphinx.
« Va, » dit-elle. « Tu as ce pourquoi tu es venue. Fais bon usage de ce savoir. L'avenir de la Famille dépend de ton action. »
« L'avenir de la Famille ? » répéta Alicia avec un rire cruel. « Depuis quand la Reine de la Nuit se soucie-t-elle du sort des Enfants de Caïn ? »
« Nous sommes tous des danseurs dans une Mascarade de Sang, » dit madame Zorza. « Ton déguisement ne peut pas dissimuler ton intérêt, Anis. »
« Diable, » dit Alicia en se levant. « Encore ce nom. C'est la deuxième fois dans la nuit qu'on m'appelle ainsi. Je dois perdre la main. Bientôt, je recevrai du courrier adressé à Anis. Peut-être même des prospectus publicitaires. »
Madame Zorza ne répondit pas. Alicia ne s'était pas attendue à ce qu'elle le fasse. Sur un signe de tête respectueux, Alicia quitta l'appartement et se dirigea vers l'escalier. La nuit avait été longue. Elle avait besoin de repos. Et d'un peu de temps pour soupeser les paroles de la diseuse de bonne aventure.