CHAPITRE IV

Dans les montagnes de Bulgarie – 16 mars 1994 

La maison au sommet de la colline était immense. Et bien qu'il fût largement minuit passé, avec des nuages cachant la lune et les étoiles, aucune lumière ne brillait à l'intérieur.

« Alors, » chuchota Le Clair, « qu'est-ce que je vous avais dit ? L'ancien vit là-dedans tout seul. Les voisins en ont tellement peur qu'ils refusent de prononcer son nom. Ou de passer devant la maison après minuit. Ils disent que c'est la maison du diable. »

« Pas faux, » dit Jean-Paul. « Dziemianovitch est un Tzimisce de la sixième génération. Sa cruauté est légendaire dans ces collines. »

« Les Tzimisces sont tous des maniaques, » déclara Le Clair. « C'est la raison pour laquelle la plupart d'entre eux appartiennent au Sabbat. Ou vivent dans l'isolement complet, comme ce monstre. »

« Nous sommes tous damnés, » dit Jean-Paul, hochant la tète. « Mais certains d'entre nous le sont plus que d'autres. »

« Allons-nous rester plantés là toute la nuit ? » demanda Baptiste, le troisième membre du trio. « Si nous voulons boire le sang de ce vieux bâtard, il vaudrait mieux commencer par le trouver. »

« Juste, » dit Le Clair. « Assez parlé. Dziemianovitch est extrêmement puissant. Cependant, au cours des six derniers mois, il semble avoir disparu de la surface du globe. Les villageois qui nettoient et entretiennent la maison et le terrain ne l'ont pas vu ni eu de nouvelles de lui depuis la fin de l'année dernière. Il a sûrement sombré dans la torpeur. Les Tzimisces ont besoin de beaucoup de repos. Nous devrions réussir à pénétrer dans la maison, à trouver son corps et à le détruire sans gros problème. »

« Problèmes ou pas, » dit Baptiste, « il en vaudra la peine. Vous deux êtes déjà de la septième génération. Je suis toujours de la huitième. »

« Plus pour longtemps, » dit Jean-Paul. Il indiqua la lourde porte en chêne qui donnait accès à la maison. « On frappe ? »

« Je ne crois pas, » dit Le Clair. « Il y a des fenêtres dans le patio arrière. Mieux vaut entrer par là plutôt que d'annoncer notre présence. Dziemianovitch n'est pas un imbécile. Il connaît la valeur de son vitæ. La maison regorge probablement de pièges. Il faudra nous montrer très prudents en l'explorant. Très, très prudents. »

« Ça me rappelle la Grande Guerre, » dit Baptiste. « Un faux mouvement et, pouf. On est mort. »

Les deux autres vampires hochèrent la tête. Malgré les presque quatre-vingt années qui s'étaient écoulées depuis qu'ils avaient participé à la Première Guerre mondiale, les souvenirs qu'ils conservaient de cette époque avaient encore la limpidité du cristal. C'était là qu'ils s'étaient connus, qu'ils étaient devenus compagnons d'armes, qu'ils avaient combattu et trouvé la mort. Et qu'ils étaient devenus des vampires.

Trois jeunes Français mal dégrossis, enrôlés pour la guerre des tranchées contre les Allemands, qui s'étaient endurcis au cours de deux années de lutte contre les Boches. Les circonstances les avaient réunis. La mort avait soudé leur équipe.

Le Clair était le cerveau de la bande, petit homme mince à la fine moustache et des yeux qui voletaient de gauche à droite, jamais en repos. Sa famille dirigeait un cercle de contrebande à Marseille.

Baptiste, large et costaud, venait des fermes du sud. Possédant plus de muscles que de cervelle, le meurtre l'excitait et sa nature cruelle s'épanchait à la pointe de sa baïonnette.

Jean-Paul était du genre détendu, facile à vivre. Grand et séduisant, il avait un penchant pour les femmes et le charme suave et débonnaire du bon vivant parisien. Sous ses airs nonchalants se dissimulait l'âme d'un sadique. Il aimait partager ses conquêtes avec ses deux amis. La malheureuse qui osait s'insurger contre un pareil traitement se faisait battre jusqu'au sang.

Soldats efficaces et meurtriers, ils ne tuaient pas pour la gloire de la France mais pour l'amour du meurtre. Amis comme ennemis en virent bientôt à les surnommer le Trio Impie. Souvent, après une grande offensive, ils rôdaient dans le noir sur le champ de bataille, examinant les corps abandonnés à la recherche de survivants. La question de ce qu'ils infligeaient aux blessés qu'ils trouvaient en train de faire le mort n'était jamais abordée en public. Mais plus d'un soldat allemand gravement atteint avait été retrouvé mort sur le champ de bataille, suicidé avec son propre fusil plutôt que de courir le risque d'une confrontation avec le Trio Impie.

Leur notoriété retint l'attention de Louis Margali, un officier de leur régiment et Brujah de la neuvième génération. Disciple idéaliste des enseignements de Karl Marx et vétéran des soulèvements étudiants du XVIIIe siècle, Margali rêvait d'établir une république socialiste en France après la guerre. Se rendant compte qu'il aurait besoin de partisans capables de tous les excès au nom de la liberté, l'officier Étreignit le Trio Impie pendant la Bataille de la Marne. Cependant, Margali, meilleur étudiant que conspirateur, avait grandement sous-estimé la dépravation de ses infants.

Il découvrit sa terrible erreur la nuit où ils le surprirent dans une ferme abandonnée du no-man's-land. Le Clair en savait beaucoup plus long au sujet des vampires que Margali ne le soupçonnait, notamment le fait qu'un pieu en bois dans le cœur paralyserait même le plus puissant des membres de la Famille. Baptiste procura la force, Jean-Paul la diversion. Avec une expression horrifiée, l'officier Brujah écouta Le Clair lui exposer son plan.

« Mes amis et moi ne sommes pas intéressés par votre projet d'une utopie socialiste, monsieur Margali, » dit le petit homme, ses yeux brillant à la lueur de la lampe. « Nous nous fichons pas mal de l'homme du peuple ou des droits de la classe laborieuse. Notre seule préoccupation, c'est nous. »

« Vous nous avez traités comme des esclaves, » grogna Baptiste, ses gigantesques mains serrées en poings massifs. « Je ne suis l'esclave de personne. Surtout pas d'un aristocrate. »

« C'est peut-être formulé un peu crûment, » dit Le Clair, « mais c'est l'idée générale. Nous refusons tous les trois d'accepter ces Six Traditions de Caïn. Vivants ou morts-vivants, la loi ne signifie rien pour nous. Nous sommes seuls maîtres de notre destin. »

« Nous allons boire votre sang, » dit Baptiste en riant tout bas.

Le Clair acquiesça. « En tant que chef de notre petit groupe, j'ai revendiqué cette première opportunité. Mais il y en aura d'autres pour mes compagnons. Nous sommes tous très ambitieux. Nous envisageons d'abaisser notre génération par diablerie, et ainsi d'accroître nos pouvoirs, aussi souvent que possible. Les humains nous fourniront du sang chaque fois que ce sera nécessaire. Mais c'est dans le corps de nos congénères que nous puiserons notre force. »

Il sourit devant l'horreur qui se lisait dans les yeux de Margali. Le Clair prenait beaucoup de plaisir à torturer psychologiquement ses victimes. « Nous sommes trois. Nous constituons une bonne équipe. Il nous faudra des années, des décennies peut-être, voire même un siècle ou deux. Mais à la fin, nous serons les maîtres de l'Europe. Peut-être même du monde. »

« Arrête de jouer avec la nourriture, » dit Jean-Paul. « Nous devons être à l'abri loin d'ici avant que le soleil ne se lève. Tue-le et qu'on n'en parle plus. »

C'est exactement ce que fit Le Clair. Aujourd'hui, près de huit décennies plus tard, lui et ses camarades étaient sur la piste de leur neuvième vampire. C'était un jeu dangereux, mais dont le prix justifiait les risques.

« Rien ne bouge à l'intérieur, » déclara Jean-Paul. Son ouïe était cent fois supérieure à celle de n'importe quel humain. « L'endroit est désert. »

« J'en doute, » dit Le Clair. « Les Tzimisces ne dorment pas bien pendant la journée s'ils ne sont pas entourés de terre en provenance de leur lieu d'origine. Ce sont de piètres voyageurs. Dziemianovitch se cache quelque part dans cette maison. Toute la difficulté consiste à le trouver. »

« Vous parlez trop tous les deux, » dit Baptiste. Il balança un poing comme un marteau dans les vitres du patio. Trois d'entre elles se brisèrent dans une explosion de particules de verre.

« Autant pour l'élément de surprise, » remarqua Le Clair avec un haussement d'épaules résigné. Son compagnon était immensément fort mais incroyablement stupide. Baptiste intervenait dans toutes les situations d'urgence nécessitant de la force brute. Réfléchir n'était pas sa spécialité. Il s'en remettait à ses deux amis pour penser à sa place. Et, trop souvent, il s'impatientait de les voir agir.

Jean-Paul déverrouilla la fenêtre et l'ouvrit. L'un après l'autre, ils se faufilèrent dans la maison par l'ouverture. Il faisait encore plus noir qu'à l'extérieur. D'épais rideaux bloquaient la lueur de la lune.

« Tu perçois quelque chose ? » murmura Jean-Paul. Une chape de ténèbres semblait étouffer ses paroles. « Je n'entends rien. »

« Il y a un sort d'amortissement sur la maison, » répliqua Le Clair. Reconnaître et neutraliser les sorts faisait partie de ses talents. « C'est ce qui provoque la pénombre et l'étouffement des sons. Il est trop puissant pour que je puisse l'annuler. Mais je crois pouvoir nous guider à l'intérieur. Il y a quelqu'un dans le sous-sol. Je perçois une présence très puissante. C'est forcément Dziemianovitch. »

« Contente-toi de me guider jusqu'au vieux hibou, » dit Baptiste. Trois pieux en bois étaient passés dans sa ceinture. « Je vais l'épingler pour de bon. »

« Suivez-moi, » dit Le Clair, agrippant ses deux compagnons par le poignet. « Restez vigilants. Il y a des pièges partout. J'essaie de les neutraliser en marchant. Mais il se peut que j'en oublie quelques-uns. »

« Quelle sorte de pièges ? » demanda Jean-Paul.

« À terre ! » hurla Le Clair comme en réponse.

Vétérans de guerre, ils se laissèrent tomber au sol sans poser de question. À l'instar de la plupart des Brujahs, ils étaient d'une rapidité inhumaine. À l'instant où ils eurent touché le plancher, une centaine de flèches à pointes d'acier sifflèrent à travers la pièce. S'ils étaient restés debout, ils auraient été transpercés par une douzaine de tiges ou plus.

« Je parie que les rideaux s'écartent automatiquement le matin, » dit Le Clair, couché en sécurité à plat ventre. « Le soleil se déverse à l'intérieur et grille ceux qui se sont fait piéger. »

« Efficace, » commenta Jean-Paul. « Peut-on se relever ? »

« Donnez-moi encore quelques secondes, » dit Le Clair, le visage plissé sous la concentration. « Voilà, ça devrait faire l'affaire. Plus de flèches. J'ai désamorcé tous les mécanismes du même genre dans la maison. »

Les trois vampires se relevèrent. Il faisait toujours aussi noir que dans une mine de charbon. « Plus la peine de se donner la main. Ça nous ralentit trop. Par ailleurs, nous ne risquons plus rien. L'escalier de la cave se trouve dans le couloir à une douzaine de mètres d'ici environ. »

« Tu es certain qu'il n'y a plus de pièges ? » demanda Jean-Paul. Malgré ses airs avantageux et ses fanfaronnades auprès des femmes, il avait le cœur d'un poltron. C'était un trait de caractère qui l'avait bien servi. Trop souvent, les vampires cédaient à la soif de sang, succombaient à l'appel de la Bête. Jean-Paul ne se précipitait jamais. Il avançait à pas comptés, protégeant toujours ses arrières, et prêt à battre en retraite au moindre signe de danger.

« Puisque je te le dis, » répondit Le Clair, progressant petit à petit à travers la pièce. « J'ai trouvé et neutralisé tous les mécanismes dans la… »

Le petit homme hurla en sentant le plancher se dérober soudainement sous ses pieds. Il tomba comme une pierre, sachant qu'une fin atroce l'attendait tout en bas. Mais ses pieds n'eurent pas le temps de toucher le fond.

Au lieu de cela, Baptiste, fort comme un bœuf, l'empoigna par la peau du cou. Sans effort apparent, le colosse maintint Le Clair, le laissant pendouiller au-dessus de la fosse apparue comme par magie au centre de la pièce.

« Ça sent l'acide, » commenta Jean-Paul, avec un soupçon de raillerie dans la voix. « Il doit y en avoir tout un bassin là-dessous. Je me demande quelles seraient les conséquences à long terme d'une pareille chute. À supposer que la solution soit assez forte, la baignade te ferait probablement fondre la chair sur les os, peut-être même qu'elle endommagerait ton squelette. Il te faudrait des années et des années pour régénérer. » Le Parisien ménagea son effet. « Ça m'a tout l'air d'être encore un piège. »

« Toi, le gigolo mielleux, ça va, » aboya rageusement Le Clair tandis que Baptiste le reposait au bord de la fosse. « Je me suis laissé abusé par notre adversaire. De toute évidence, quand il a préparé cette pièce pour recevoir les intrus, il a recouru à la sorcellerie pour vieillir les planches d'ici jusqu'à la porte. Ce n'était pas un piège actif, mais passif. Voilà pourquoi je ne l'avais pas désamorcé. Aucun mécanisme n'était impliqué, seulement mon propre poids. »

« C'est un petit malin, » dit Jean-Paul. Il ne tint pas compte de la sortie de Le Clair. Le petit homme se calmait aussi vivement qu'il s'emportait. « Ce sera un plaisir de le tuer. Mais comment allons-nous atteindre la porte si le reste du plancher est aussi fragile ? »

« Je n'en sais rien, » dit Le Clair. « Laisse-moi réfléchir. »

« Je sais quoi faire, » dit Baptiste. « Tourne-moi dans la direction de la porte, petit homme. »

« Pourquoi ? » demanda Le Clair, perplexe, tout en plaçant son gigantesque compagnon face à la porte de la chambre.

« J'en ai assez de finasser, » dit Baptiste. « On y va. » Avant que Le Clair ne comprenne ce que son compagnon avait en tête, le grand homme le saisit par la taille, le brandit au-dessus de sa tête, et le projeta comme un ballot par-dessus le plancher pourri. Le petit homme s'écrasa tête la première contre la porte close, qu'il fit voler en éclats. Jurant comme un furieux, il s'écroula dans le couloir de l'autre côté. Le Clair nota obscurément qu'au moins cette partie de la maison était bien éclairée.

Une seconde plus tard, un Jean-Paul hurlant le suivit dans le couloir. Avec la disparition de la porte, il n'y avait plus rien pour freiner sa course. Il toucha le sol en plein élan et rebondit deux fois avant de s'arrêter à quelques mètres seulement de l'escalier qui menait au sous-sol.

« Attention ! » rugit Baptiste depuis les ténèbres. « J'arrive. »

Précipitamment, Le Clair roula contre le mur. L'instant d'après, son énorme compagnon jaillissait à travers l'entrée fracassée. Baptiste avait sauté sans effort la fosse d'acide. Les vampires possédaient une force plusieurs fois supérieure à celle des humains ordinaires. Baptiste possédait une force plusieurs fois supérieure à celle des vampires ordinaires.

« Bon, nous sommes passés, » déclara Le Clair, se remettant tant bien que mal sur ses pieds. « Il est temps de descendre et de rencontrer notre adversaire. »

Il se tourna et fit face au géant. « Baptiste, nous apprécions tes efforts. Mais, s'il te plaît, serre la bride à ton impatience. Laisse Jean-Paul et moi nous occuper de la partie réflexion. Entendu ? »

Haussant les épaules, Baptiste acquiesça. « J'essayais seulement de vous aider. »

« Peux-tu percevoir une activité là-dessous ? » demanda Jean-Paul, s'avançant d'un pas incertain vers Le Clair. Jean-Paul n'aimait pas les surprises. En particulier, celles qui l'envoyaient voler inopinément au-dessus d'un puits d'acide. « Nous avons fait assez de vacarme pour tirer Dziemianovitch de la Mort Ultime, à plus forte raison de la torpeur. À l'avenir, je crains qu'on ne se souvienne de nous, non pas sous le nom de Trio Impie, mais plutôt de Trio Comique. »

« Je sens une présence, » dit Le Clair. « Toujours la même. Elle n'a pas bougé. » Le Clair fit la grimace. « Il sait que nous sommes ici. Et il trouve nos singeries… amusantes. »

« Faut-il continuer ? » demanda Jean-Paul avec nervosité. « Si Dziemianovitch est au courant de nos intentions, ne sommes-nous pas fichus ? »

« Bizarrement, » dit Le Clair en fronçant les sourcils, « je ne perçois aucune hostilité dans ses pensées. Il se contente de nous attendre. »

« Il est peut-être fatigué de la mort, » dit Baptiste. Le grand homme ouvrit à la volée la porte de la cave. « Pas question de faire demi-tour. Je veux son sang. »

Le Clair regarda Jean-Paul et haussa les épaules. « Qu'avons-nous à perdre ? Au pire, nous mourrons. »

« Une fois m'a suffit, » dit Jean-Paul.

« Il y a un escalier qui descend, » dit Baptiste, ignorant les remarques de ses camarades. « Et une lumière en bas des marches. Moi, j'y vais. »

« En avant, braves soldats de France, » dit sombrement Le Clair. Il s'élança derrière le géant. « Liberté, égalité, fraternité. »

« N'oublie pas la stupidité, » ajouta Jean-Paul en se hâtant de rejoindre les autres. « Ralentissez un peu, tous les deux. C'est probablement un autre piège. Quel meilleur endroit que ces marches pour en installer un ? »

L'avertissement était bienvenu. À mi-chemin du sous-sol, tout l'escalier se déroba, de la même façon que le plancher au-dessus du puits d'acide. Au lieu d'un bassin d'acide, des pieux en bois d'un mètre de haut étaient fichés par douzaines dans le sol de la cave, n'attendant que les victimes qui viendraient s'empaler sur eux.

La rapidité des Brujahs, doublée de réflexes éblouissants, les sauva. Quand l'escalier s'effondra, ils bondirent instinctivement en avant. Ils se réceptionnèrent quelques mètres au-delà du cercle de pieux. Et se retrouvèrent en équilibre sur la margelle d'un autre bassin d'acide.

« Ce bâtard est diabolique, » maugréa Le Clair en contournant le bassin mortel. Le petit homme indiqua une ouverture sans porte. « Mais pas aussi malin qu'il ne le croit. Son cercueil se trouve dans la salle suivante. »

« Trop facile, » dit Jean-Paul en jetant un coup d'œil avec les autres par l'entrée de la crypte. Une unique ampoule éclairait faiblement la pièce. Au centre se tenait un lourd sarcophage de pierre. « C'est trop facile. »

« As-tu perdu la tête, Jean-Paul ? » demanda Baptiste. « Nous avons triomphé de l'obscurité, des flèches, de l'acide et des pieux. Notre récompense, ma récompense, nous attend. » Le géant tapota les trois pieux en bois dans sa ceinture. « J'ai soif du sang du vieux hibou. »

Baptiste s'avança pesamment. Il était sur le point de franchir le seuil quand Jean-Paul cria : « Non ! » et le poussa sur le côté. « C'est un autre piège. »

« Un piège ? » interrogea Baptiste. « Il n'y a rien dans le passage. »

« Je ne perçois rien de spécial, » dit Le Clair. « Le sol est solide. Et il n'y a aucun mécanisme en action. »

« Les attrape-nigauds les plus simples sont les meilleurs, » dit Jean-Paul. « Une démonstration ? Passe-moi un de tes pieux, Baptiste. »

Le colosse lui tendit un de ses bouts de bois. Le tenant par une extrémité, à la manière d'une épée, Jean-Paul fendit l'air de haut en bas au niveau du seuil. La lame de bois sembla hésiter une fraction de seconde dans sa main, puis continua sa course descendante. Cependant, il y avait désormais trois morceaux de bois. Jean-Paul ne tenait plus qu'un moignon ; les deux autres morceaux tombèrent avec fracas sur le sol.

« Magie, » dit Baptiste, crachant le mot comme une insulte.

« Des câbles, » répliqua Jean-Paul. « Des câbles très fins, tendus à bloc entre les montants de la porte. Probablement du même type de matériau qu'on utilise dans les satellites. Ils sont faits d'un acier incroyablement dense, tranchant comme un rasoir. Si tu t'étais engouffré dans cette pièce, tu te serais proprement décapité. »

« Découpé en rondelles comme un saucisson, » dit Le Clair. « Une fin peu ragoûtante. Comment as-tu deviné ? »

« Pourquoi avoir laissé la porte ouverte ? » demanda Jean-Paul. « Après les pièges auxquels nous avions été confrontés, il semblait extrêmement improbable que Dziemianovitch ne nous ait pas réservé un autre tour dans sa manche. L'entrée était trop anodine, trop évidente. C'est là que j'ai focalisé ma vision dessus et que j'ai aperçu les câbles qui la barraient. »

« Par où va-t-on passer ? » demanda Baptiste avec impatience.

« Par les murs, naturellement, » dit Le Clair. Je suis sûr que les câbles sont solidement fixés à l'encadrement de la porte. Ils sont probablement piégés. Ils doivent être pratiquement impossibles à arracher. La méthode la plus facile de circonvenir un piège est encore d'en rejeter les règles. Nous n'allons pas emprunter la porte. Nous allons en percer une. »

Baptiste se révéla à la hauteur de la tâche. Ses poings immenses creusèrent un large trou à travers la brique et le mortier à un mètre de la porte. Prudemment, Le Clair passa une main à travers l'ouverture avant d'y aventurer son corps. Il commençait à ressentir une certaine paranoïa envers les petites surprises de Dziemianovitch. Une meute de chiens de l'enfer cachés dans l'ombre ne l'aurait pas étonné.

Il n'y avait plus d'autre piège. Mais une dernière surprise les attendait.

Ensemble, les trois tueurs s'approchèrent du sarcophage de pierre. Baptiste tremblait d'excitation. « Je vais boire son sang et diminuer ma génération, » déclara-t-il, secouant la tête comme un drôle d'automate géant. « Je vais boire son sang et devenir encore plus fort. Beaucoup plus fort. »

Le Clair hocha la tête, incapable d'imaginer son compagnon plus puissant qu'à l'heure actuelle. Baptiste possédait déjà la force d'un éléphant. Au lieu de cela, Le Clair espérait que le vitæ de l'ancien pourrait peut-être accroître l'intelligence de Baptiste. Il ne risquait certainement pas de la diminuer.

Prudemment, le trio se pencha au-dessus du gigantesque cercueil. Il était vide et, à en juger par la fine couche de poussière qui reposait au fond, il l'était depuis des mois.

« Impossible, » déclara Le Clair. « J'ai senti sa présence. Je le jure. « Il fit une pause, se concentra. « Il est toujours ici. Quelque part dans la pièce. » 

Grondant de frustration, Baptiste fouilla le cercueil avec un pieu. « Il n'est pas invisible. C'est peut-être un cercueil truqué. Il pourrait être dessous. »

« Ou carrément caché ailleurs dans cette pièce, » dit Jean-Paul.

« À moins, » fit une autre voix, froide comme la glace, « que vous n'ayez pris les pensées d'un autre vampire pour celles de votre gibier. »

« Merde, » dit Le Clair. Il s'écarta du sarcophage. Il recula jusqu'au mur, encadré par ses amis. « Qui êtes-vous ? »

Une silhouette terrifiante sortit de l'ombre à pas traînants. Tout en contrastes, elle avait le visage et la poitrine barbouillés d'écarlate. Grand et mince, l'étranger portait pour tout vêtement un vieux linceul en loques. Son visage était celui d'un cadavre depuis longtemps dans la tombe, avec une chair décomposée, des lèvres fines comme du papier et des joues creuses. « On m'appelle la Mort Rouge. Je vous attendais. »

« Vraiment ? » dit Baptiste, ses énormes mains s'ouvrant et se refermant en poings. « Pourquoi ? Qu'est-ce que vous nous voulez ? »

La Mort Rouge ricana, d'un rire surnaturel qui donna des frissons à Le Clair. « Je voulais voir si vous seriez capables d'éviter les pièges de cette maison. Et, si oui, vous faire une proposition. »

« Où est Dziemianovitch ? » demanda Jean-Paul.

« La Mort Ultime l'a pris il y a quelques mois de cela, » dit la Mort Rouge. « Que je sois resté à vous attendre ou non, vous auriez été déçus, je le crains. » Le visage du monstre se tordit en une grotesque parodie de sourire. « Mais son sang n'a pas été perdu pour tout le monde. »

« Pourquoi devrions-nous vous écouter ? » demanda Baptiste. Le géant fit un pas en avant. « Qu'est-ce qui nous empêche de boire votre sang à la place du sien ? »

« Bonne question, » dit la Mort Rouge. Son corps commença à devenir brillant. De minces filaments de fumée montèrent de ses doigts osseux. Des étincelles fusèrent de sa poitrine, de ses bras, de ses jambes. Une lueur rouge scintilla dans ses yeux. « Aimeriez-vous connaître la réponse ? »

« Non, merci, » dit rapidement Le Clair. Il pouvait sentir la chaleur émanant du corps de la Mort Rouge. Ce n'était pas naturel. Il sut instinctivement que le contact de la main de la créature signifiait la mort. « Quelle était cette proposition dont vous avez parlé ? »

« Je pensais bien que vous sauriez entendre raison, » dit la Mort Rouge. « Par ailleurs, l'aventure n'est pas sans attrait pour des individus tels que vous. Je désire la mort d'un certain vampire. Il gêne mes plans mais je n'ai ni le temps ni la patience de lui faire la chasse. Je veux que vous vous en chargiez tous les trois. Il est de la cinquième génération, mais inoffensif. Son sang vigoureux sera votre récompense. »

« Eh, ça ne se présente pas si mal, » dit Baptiste. « Le sang d'un Mathusalem. Ça me plaît. »

« De plus, il vit à Paris, » dit la Mort Rouge. « Ce sera une sorte de retour au pays pour vous trois. Son nom est Phantomas. C'est un Nosferatu et il habite dans des catacombes de sa confection sous les rues de la ville. »

« Pourrons-nous garder ses possessions personnelles ? » demanda le toujours pragmatique Le Clair.

« Bien entendu, » dit la Mort Rouge. « Mon seul souci est qu'il soit tué. Phantomas vit sous la ville depuis plus de deux mille ans. Je le soupçonne de posséder toutes sortes de babioles d'une valeur non négligeable. Récupérez-en autant que vous le voudrez. Je suis un employeur généreux. »

« Sur de pareilles bases, je ne vois pas comment nous pourrions refuser, » dit Le Clair. « C'est d'accord. »

Prudemment, il souligna l'évidence. « Je suppose que nous n'avions pas vraiment le choix de toute façon. »

« Non, » dit la Mort Rouge, « pas si vous espériez ressortir de cette chambre. »