25.

 

 

 

LUNDI 1er NOVEMBRE

 

Réveillée en pleine nuit par un nouveau cauchemar, Nikki se retrouva pour finir dans le lit de ses parents qui, de toute façon, ne dormaient que d’un œil. Rusty lui-même paraissait particulièrement agité. Il grogna et aboya à plusieurs reprises, obligeant David à bondir hors du lit et à se précipiter sur le palier, le fusil à la main, mais chaque fois pour une fausse alerte.

Le matin amena tout de même une raison de réconfort : Nikki se portait comme un charme et l’auscultation au stéthoscope confirma que ses poumons étaient parfaitement dégagés. David et Angela préférèrent néanmoins qu’elle reste à la maison, et contrairement à son habitude leur fille n’émit aucune protestation.

Une fois le petit déjeuner avalé, Angela essaya à nouveau de joindre Calhoun, mais là encore elle n’obtint que le répondeur. Ni elle ni David n’arrivaient à se résoudre à prévenir la police de la disparition du détective privé. Calhoun s’était toujours conduit de manière passablement excentrique, ils ne le connaissaient pas vraiment et ils s’alarmaient peut-être à tort. Mais c’est surtout l’attitude exécrable des policiers de Bartlet à leur égard qui motivait leurs hésitations.

« Il n’y a qu’une chose dont je sois sûre, déclara Angela, je ne supporterai pas de passer une nuit de plus dans cette maison. Je n’ai qu’une envie, prendre mes cliques et mes claques et laisser cette ville à ses horreurs et à ses secrets.

– S’il est question que nous déménagions, il vaudrait mieux passer à la banque avant, remarqua David.

– Appelle Sherwood, dit Angela. Je t’assure que je ne plaisante pas. Pour rien au monde je ne dormirais ici ce soir. »

David décrocha le téléphone et expliqua à la secrétaire qu’il devait s’entretenir de toute urgence avec Barton Sherwood. Le premier rendez-vous qu’elle put lui proposer était à trois heures de l’après-midi. David n’avait pas le choix ; il accepta cet horaire bien qu’il eût préféré se rendre tout de suite à la banque.

« Il serait plus prudent de prendre conseil auprès d’un avocat, remarqua Angela lorsqu’il eut raccroché.

– Très juste, dit David. Essayons Joe Cox. »

Joe Cox, un de leurs meilleurs amis, était de surcroît l’un des plus habiles avocats de Boston. Toutefois son assistante leur dit qu’il était injoignable car il plaidait au tribunal et risquait d’y être retenu toute la journée. Angela, qui s’était chargée de ce coup de fil, déclara simplement qu’elle essaierait de le rappeler plus tard.

« Où pourrions-nous aller coucher ce soir ? demanda la jeune femme en reposant le combiné.

– Nous ne connaissons guère que les Yansen, à Bartlet, et ce ne sont pas à franchement parler des amis, répondit David. J’ai évité Kevin depuis cette ridicule partie de tennis et je n’ai guère envie de le prier de nous rendre ce service. Tu accepterais d’aller chez mes parents ?

– Je n’osais pas te le suggérer », dit Angela en l’embrassant.

David composa donc le numéro de ses parents à Amherst, dans le New Hampshire, expliqua vaguement à sa mère qu’ils avaient un petit ennui avec la maison et lui demanda si elle acceptait de les recevoir quelques jours. Elle acquiesça le plus naturellement du monde, en affirmant qu’elle préparait tout de suite les chambres et les attendait avec impatience.

Un peu plus tard, après un nouveau coup de fil infructueux à Calhoun, Angela proposa à David d’aller directement chez le détective. Rutland n’était pas très loin de Bartlet et cela leur permettrait peut-être de se faire une idée de ce qui se passait. Heureux de cette diversion, David appela Nikki et bientôt tous trois s’installèrent dans la Volvo comme pour une promenade en famille.

« C’est par là », dit Angela en indiquant à David la rue où habitait Calhoun. David s’arrêta sur le bateau aménagé devant le garage et sortit de la voiture, suivi d’Angela. Tous deux remarquèrent très vite les journaux du week-end posés sur le paillasson, devant la porte d’entrée, et se lancèrent un regard désappointé. De toute évidence, il était inutile qu’ils s’attardent davantage.

Sur le chemin du retour, Angela, pour essayer de se rassurer, misa sur le comportement parfois imprévisible de Calhoun. Après qu’elle l’eut engagé, il avait déjà attendu plusieurs jours avant de la contacter… Vaguement inquiets tout de même, les deux époux décidèrent d’alerter la police s’ils n’avaient pas de nouvelles du détective d’ici vingt-quatre heures.

Dès qu’ils furent rentrés, Angela entreprit de préparer avec l’aide de Nikki les affaires dont ils auraient besoin pendant leur séjour chez les parents de David. Quant à ce dernier, il releva dans l’annuaire les adresses des cinq employés de l’hôpital porteurs d’un tatouage. Puis il monta avertir Angela qu’il avait l’intention de passer chez eux en voiture, histoire de vérifier comment ils vivaient.

« Il n’est pas question que tu sortes, répliqua sèchement Angela.

– Mais… pourquoi ? s’enquit David désarçonné.

– Un, parce que je refuse de rester seule ici avec Nikki. Et, deux, parce que nous savons maintenant que tout cela peut-être extrêmement dangereux. Je ne veux pas que tu ailles rôder dans les parages de la maison d’un assassin éventuel.

– C’est bon, répondit David sur un ton apaisant. Le premier de tes arguments aurait suffi. Mais je ne pense sérieusement pas que tu coures un risque quelconque à cette heure-ci de la journée. Et cela vaut aussi pour l’assassin éventuel qui est très probablement parti travailler.

– Probablement ne veut pas dire sûrement, rétorqua Angela. Tu devrais plutôt nous donner un coup de main. »

À midi, les valises étaient prêtes. David et Angela s’assurèrent une dernière fois qu’ils avaient bien pensé à verrouiller les portes, puis tout le monde s’engouffra dans la voiture, y compris Rusty qui se coucha en boule sur le siège arrière à côté de Nikki.

Jeannie, la mère de David, leur réserva un accueil des plus chaleureux et s’empressa de les installer du mieux qu’elle put. Son mari, Albert, était parti aux aurores pour une partie de pêche et il ne devait rentrer que dans la soirée.

Quand tous les bagages eurent été transportés à l’intérieur, Angela se laissa tomber de tout son long sur le lit de la chambre d’amis qu’elle devait partager avec David. « Je suis éreintée, soupira-t-elle. Si je m’écoutais, je m’endormirais tout de suite.

– Écoute-toi, lui dit David en soulevant le quilt confectionné par sa mère pour qu’elle se glisse dessous. Nous n’avons pas besoin d’être deux pour discuter avec Sherwood.

– Ça ne t’ennuie pas, c’est vrai ?

– Pas du tout, affirma-t-il en la bordant. Repose-toi. »

Alors qu’il refermait doucement la porte derrière lui, il entendit sa femme lui recommander d’une voix brouillée d’être prudent au volant.

Redescendu au rez-de-chaussée, il prévint sa mère qu’Angela faisait la sieste et conseilla à Nikki de suivre son exemple. Mais la petite fille que sa grand-mère avait enrôlée dans la préparation d’un gâteau affirma qu’elle ne se sentait pas fatiguée. David les quitta après leur avoir expliqué qu’il devait retourner à Bartlet où il avait rendez-vous.

Il arriva sur place avec trois quarts d’heure d’avance et s’arrêta le long du trottoir pour consulter la liste d’adresses qu’il avait établie dans la matinée. Clyde Devonshire était celui des cinq qui habitait le plus près. David redémarra, un peu coupable de trahir ainsi la confiance d’Angela mais persuadé que les craintes de sa femme étaient injustifiées. De surcroît, se dit-il, même si sa curiosité était un peu déplacée elle ne le mettait pas en danger.

Un peu étonné de trouver une supérette à l’endroit où était censé habiter Devonshire, il entra dans la boutique, acheta une bouteille de jus d’orange et, l’air de rien, demanda à l’un des vendeurs s’il connaissait Clyde Devonshire.

« Clyde ? Bien sûr, il habite juste au-dessus, répondit l’homme.

– Il vient souvent ici ? reprit David.

– Pas mal, oui. C’est pratique d’avoir la boutique en bas.

– J’ai entendu dire qu’il avait un tatouage.

– Un ? s’esclaffa le vendeur. Il en a plein !

– Et, euh… vous savez à quel endroit il est tatoué ? poursuivit David embarrassé.

– Autour des poignets, intervint le second vendeur. On dirait qu’il porte des menottes. Et puis sur le bras, en haut, et aussi sur la poitrine. »

David le remercia, paya son jus d’orange et ressortit dans la rue. Il s’avança jusqu’au coin de l’immeuble, jeta en passant un coup d’œil à la porte d’entrée et hésita à poser la main sur la poignée. Puis il y renonça en pensant qu’il ne pouvait pas abuser Angela à ce point.

Regagnant sa voiture, il se glissa derrière le volant et vérifia l’heure à sa montre. Sherwood ne l’attendait pas avant vingt minutes, ce qui lui laissait le temps de passer chez un autre des cinq suspects. Il choisit Van Slyke.

Quelques minutes plus tard, s’engageant dans la petite rue tranquille où ce dernier résidait, David ralentit pour lire les numéros inscrits sur les boîtes aux lettres. Soudain, il pila net ; il venait de passer devant une fourgonnette qui ressemblait à s’y méprendre à celle de Calhoun. Il se gara juste derrière en marche arrière.

Descendu sur le trottoir, il s’en approcha et regarda à l’intérieur. La boîte à gants était ouverte sur un fouillis indescriptible et le cendrier débordait de mégots de cigare. Un examen plus attentif permit à David de reconnaître la garniture défraîchie des sièges et la petite capsule de parfum d’ambiance accrochée au rétroviseur. Il n’y avait pas de doute, ce véhicule était bien celui de Calhoun.

Se redressant, David contempla la maison située juste en face. Il ne vit pas de boîte aux lettres mais distingua en revanche nettement le numéro apposé sur le muret du perron : 66.66, rue du Pommier, l’adresse de Van Slyke.

Il traversa la rue pour examiner la bâtisse de plus près et s’étonna de son état de délabrement. Elle paraissait abandonnée depuis longtemps, et David commençait à se convaincre que tel devait être le cas quand il remarqua des traces de pneus sur le gravier de l’allée. Van Slyke devait tout de même y venir de temps en temps.

Sans même se donner la peine de frapper, David contourna la maison et s’arrêta devant la grange convertie en garage. Elle était vide, signe que le propriétaire des lieux s’était absenté.

Escaladant alors les quelques marches du perron, il essaya la porte qui céda à la première pression puis poussa lentement le battant. Les gonds grincèrent épouvantablement.

Tendu, prêt à prendre la fuite à la première alerte, il regarda à l’intérieur où il ne vit que quelques meubles couverts de poussière et de toiles d’araignée. De plus en plus surpris, il cria pour prévenir de sa présence mais personne ne lui répondit. Il régnait dans ces lieux un silence de mort.

David n’en menait pas large, mais le besoin de savoir eut raison de sa prudence. Il se glissa dans l’entrée, décidé à découvrir si Calhoun s’était aventuré ici avant lui.

Seul l’écho répondit à l’appel qu’il venait de réitérer. Le bruit de la porte qui claquait dans son dos le figea soudain sur place, tétanisé. Pris de panique à l’idée que la serrure ait pu se bloquer d’elle-même, il se précipita sur le battant qui cette fois encore ne lui offrit aucune résistance et, pour plus de sûreté, le bloqua avec un parapluie poussiéreux déniché dans une grande jarre placée à côté.

Là-dessus, il inhala profondément à deux ou trois reprises pour se ressaisir et entreprit de visiter systématiquement le rez-de-chaussée. Passant rapidement d’une pièce à l’autre, il arriva jusque dans la cuisine où un objet attira tout de suite son attention. Posé sur la table, il y avait un cendrier, et dans le cendrier un mégot de cigare identique à ceux que fumait Calhoun. Juste derrière la table, une porte ouverte donnait sur l’escalier menant à la cave.

David se hasarda sur le premier degré et bascula l’interrupteur situé contre le mur. Un faible rai de lumière filtra entre les marches disjointes.

Lentement, il les descendit une à une avant de s’arrêter à mi-hauteur pour essayer de reconnaître les lieux. Le sous-sol était encombré de tout un tas de meubles bancals et de cartons empilés au milieu desquels David parvint à distinguer un tuyau de poêle et tout un bric-à-brac d’outils et de vieilleries diverses. L’endroit lui parut aussi abandonné et sale que le reste de la maison, à l’exception du coin situé près de la chaudière où se trouvait une dalle en ciment à l’air quasiment neuf.

Intrigué, il s’avança jusque-là et posa la main par terre. Le ciment était encore frais. Frissonnant à ce contact humide et froid, il s’empressa de revenir vers l’escalier en se disant qu’il en avait assez vu pour alerter la police de la disparition du détective. Mais cette fois, au lieu d’en référer à Robertson il prévoyait de contacter directement la brigade criminelle. Il en était là de ses réflexions lorsqu’il s’immobilisa en entendant le bruit caractéristique d’une voiture roulant sur le gravier, bientôt suivi d’un crissement de freins.

Son ouïe devenue hypersensible lui transmit le claquement d’une portière puis le crépitement des graviers écrasés sous de lourdes semelles. Pris de panique, il monta en courant jusqu’à la porte de la cave, la claqua et redescendit tout aussi rapidement. Il fallait qu’il y ait un autre accès au sous-sol. Son salut en dépendait.

Vers le fond, il découvrit une rangée de portes. Le loquet de la première n’était pas fermé ; il la poussa et tomba sur une resserre chichement éclairée par une ampoule nue.

Les pas résonnaient maintenant au-dessus de sa tête, dans la maison. Sans perdre une seconde, David tourna la poignée de la deuxième porte qui, elle, lui résista. S’acharnant à coups d’épaule contre le battant, David réussit à l’entrouvrir, de quelques centimètres d’abord puis complètement.

Derrière se trouvait ce qu’il avait de toutes ses forces espéré découvrir : une volée de marches de pierre menant à une porte basse qui devait donner sur l’extérieur, à en juger à la faible clarté qui perçait par en dessous. Refermant la porte qu’il avait si difficilement ouverte, David se rua jusqu’en haut et s’accroupit, l’oreille collée contre le bois, sans percevoir quoi que ce soit de suspect à l’extérieur. Il poussa alors des deux mains contre les battants qui ne se déplacèrent qu’à peine. Par l’interstice ménagé entre eux, David, découragé, aperçut la chaîne d’un cadenas.

La tête entre les mains, il s’obligea à se calmer mais son cœur cognait à tout rompre dans sa poitrine. Il était pris au piège et il ne servait à rien de se leurrer. Son dernier espoir, celui de passer inaperçu, disparut lorsqu’il entendit distinctement les pas pesants descendre une à une les marches de l’escalier débouchant dans la cuisine.

Blotti dans un coin, David retint son souffle. L’homme approchait. Ce n’était plus qu’une question de secondes. Bientôt la porte de sa cachette s’ouvrit brutalement et David se retrouva à quelques mètres seulement de Werner Van Slyke.

Le légitime propriétaire de cet endroit était en proie à une terreur plus forte encore que la sienne, dont témoignaient ses yeux exorbités et ses pupilles dilatées. Des gouttes de sueur perlaient sur son front et son corps tout entier était agité d’un tremblement nerveux. Il tenait dans la main droite un pistolet qu’il braqua en direction de David.

Un instant durant, ils restèrent tous deux figés sur place, comme paralysés. David cherchait désespérément une excuse plausible susceptible de justifier sa présence dans la cave, mais toute tentative d’explication lui parut vite dérisoire face à la menace de l’arme pointée vers lui, qui tressautait au rythme des spasmes agitant le bras de Van Slyke. Le coup risquait de partir d’une seconde à l’autre.

Repensant au passé psychiatrique de Van Slyke, David se dit qu’il traversait une crise d’angoisse aiguë qui portait sans doute à leur paroxysme ses tendances paranoïaques.

Il fut presque tenté de lui dire qu’il était entré dans la maison après avoir remarqué la fourgonnette de Calhoun garée devant le trottoir, puis renonça aussi vite à cette idée. Dieu seul savait ce qui avait bien pu se passer entre les deux hommes, et la seule mention du nom du détective risquait de déclencher la fureur de Van Slyke.

Le plus raisonnable était encore d’adopter une attitude amicale qui pourrait peut-être l’ébranler, lui faire prendre conscience de son état de tension, le rassurer peut-être si David lui rappelait qu’il était médecin et, partant, en mesure de l’aider.

Mais Van Slyke ne lui laissa pas le loisir de mettre ce plan à exécution. Gravissant soudain les degrés quatre à quatre, il l’empoigna par sa veste et le précipita rudement en bas de l’escalier, et de là hors de la petite pièce.

David alla buter de tout son long contre une pile de cartons sur laquelle il s’écroula.

« Debout ! » hurla Van Slyke.

David se remit sur ses pieds et se retourna avec précaution. Van Slyke tremblait à présent si fort qu’il était presque agité de convulsions.

« Là-dedans, reprit-il d’une voix qu’il avait du mal à contrôler, tout en ouvrant la resserre que David avait visitée quelques instants plus tôt.

– Calmez-vous », tenta le jeune médecin du ton le plus neutre qu’il put, avant d’essayer d’expliquer à Van Slyke qu’il comprenait son courroux.

Pour toute réponse, Van Slyke pressa la détente de son arme. David s’accroupit sur le sol pendant que les balles sifflaient autour de lui pour aller se ficher au hasard dans le bois des solives, des marches ou des portes.

Terrorisé, David se rua dans la resserre où il s’aplatit contre le mur du fond. Van Slyke cédait à un épisode psychotique grave, il en était maintenant convaincu, et aussi longtemps que cela durerait, il ne pourrait entendre raison.

Van Slyke rabattit le lourd battant de son cachot avec une force telle que le plâtre du plafond s’effrita. Sans bouger d’un pouce, David l’écouta ensuite se déplacer d’un point à l’autre de la cave, puis pousser le loquet de la porte et passer une chaîne autour pour plus de sécurité. Il perçut distinctement le déclic d’un cadenas qui se refermait.

Puis Van Slyke s’éloigna, remonta dans la cuisine, et le silence tomba sur la cave. David se leva et examina les lieux à la lumière de l’ampoule nue qui se balançait au bout de son fil. Creusée au niveau des fondations, sa cellule était ceinte d’épais murs en granit. Sur l’un d’eux s’alignaient des caissons au fond desquels traînaient quelques fruits desséchés, comme momifiés. En face se trouvait une série d’étagères garnies de bocaux.

Allant jusqu’à la porte, David écouta attentivement. Le calme était à présent absolu. Il passa la main sur le bois lisse, à la recherche d’une prise, et fut étonné de découvrir à hauteur de sa tête des espèces de stries, comme des égratignures, des griffures que quelqu’un aurait creusées à la force de ses ongles.

Terrifié, David s’arc-bouta de toutes ses forces contre la porte qui ne bougea pas d’un millimètre. S’enfuir par là paraissait impossible. Il se préparait à faire à nouveau le tour de la resserre quand, brusquement, l’ampoule s’éteignit, le plongeant dans l’obscurité la plus totale.

*

Barton Sherwood pressa le bouton de l’interphone qui lui permettait de communiquer avec Sharon, sa secrétaire, et lui demanda à quelle heure David Wilson avait pris rendez-vous.

« À trois heures, monsieur, s’entendit-il répondre.

– Et quelle heure avez-vous, je vous prie ? reprit-il en extirpant sa montre à gousset de la poche de son gilet.

– Trois heures et quart, monsieur.

– C’est bien ce qu’il me semblait. Vous n’avez pas vu le Dr Wilson ?

– Non monsieur.

– Très bien. S’il arrive, fixez-lui un nouveau rendez-vous. À condition qu’il y tienne, bien sûr. Et n’oubliez pas de me taper l’ordre du jour de la réunion du conseil d’administration de l’hôpital qui doit avoir lieu ce soir. »

Sherwood relâcha le bouton, irrité par le retard de David Wilson qu’il interprétait comme un affront personnel. La ponctualité était à ses yeux une vertu cardinale.

Décidément de mauvaise humeur, il décida d’appeler Harold Traynor afin de s’assurer que la réunion du conseil n’avait pas été annulée sous un prétexte ou sous un autre. Le cas s’était produit une fois, en 1981, et Sherwood en gardait toujours rancœur au président.

« Nous nous voyons à six heures, comme prévu, lui confirma Traynor. Voulez-vous que nous y allions ensemble ? Ce serait l’occasion d’une petite promenade à pied, un plaisir dont l’hiver risque de nous priver bientôt.

– Je vous attendrai devant la banque, accepta Sherwood. Vous m’avez l’air en pleine forme, dites-moi.

– La journée a été bonne, reconnut Traynor. Je viens d’apprendre que mon ennemi juré, Jeb Wiggins, a changé de position et qu’il ne s’oppose plus au projet de parking. Le conseil municipal devrait officiellement nous donner son aval d’ici la fin du mois. »

Sherwood sourit. C’était effectivement une bonne nouvelle. « Je lance l’émission des bons de souscription ? demanda-t-il.

– Absolument. Il va falloir mettre les bouchées doubles, maintenant. De mon côté, je contacte sans tarder l’entrepreneur pour savoir s’il arrivera à creuser les fondations avant la mauvaise saison. »

Sharon entra dans le bureau de Sherwood et lui tendit l’ordre du jour de la réunion.

« Comme je vous le disais, poursuivit Traynor, c’est un jour faste. Ce matin, Helen Beaton m’a laissé entendre que le bilan financier d’octobre serait loin d’être aussi mauvais que nous le craignions.

– Ah, mais tout s’arrange, déclara Sherwood d’un ton satisfait.

– Il y a tout de même un petit point noir. Toujours d’après Helen Beaton, il semble que Van Slyke ait disparu.

– Il est peut-être souffrant. Il n’a appelé personne ?

– Pas que je sache, mais ce n’est pas très étonnant puisque cet original n’a même pas le téléphone. Il faudra que je pousse jusque chez lui, après la réunion. Et la perspective ne m’enchante pas : je déteste mettre les pieds dans cette maison, cela me déprime.

*

La lumière qui venait de s’éteindre se ralluma de façon tout aussi inattendue. À distance, David entendit Van Slyke redescendre l’escalier de la cave dans un tintement d’objets métalliques. Puis il y eut un grand vacarme ; Van Slyke avait vraisemblablement jeté son attirail par terre.

Il effectua un deuxième aller-retour jusqu’à la cuisine avant de lâcher à nouveau quelque chose de particulièrement lourd, cette fois. Puis un troisième, suivi d’un bruit sourd et mou. David, avec un frisson, crut reconnaître le heurt d’un corps inanimé contre la terre battue.

La faible lueur de l’ampoule lui permit de continuer l’exploration de la resserre à la recherche d’une issue quelconque, mais ainsi qu’il le soupçonnait déjà il n’y en avait pas d’autre que la porte.

Les pas de Van Slyke approchèrent. David reconnut le cliquetis de la chaîne du cadenas puis le déclic du loquet glissant hors de son encoche. Tapi contre le mur du fond, il se fît tout petit quand la porte tourna sur ses gonds.

Van Slyke semblait plus agité encore que quelques instants plus tôt. Ses cheveux bruns se dressaient sur son crâne, comme sous l’effet d’une décharge électrique. Ses pupilles dilatées au maximum mangeaient l’iris de ses yeux et la sueur dégoulinait à grosses gouttes sur son visage. Il avait retiré sa veste de travail verte et portait un tee-shirt sale qu’il ne s’était pas donné la peine de rentrer dans son pantalon.

Impressionné par la musculature puissante qu’il devinait sous la mince étoffe de coton, David élimina tout de suite la possibilité de s’engager dans une lutte au corps à corps avec son geôlier. Presque hypnotisé, il contempla le tatouage dessiné sur l’avant-bras de Van Slyke : la bannière étoilée brandie par l’aigle servant d’emblème aux États-Unis et barrée par une mince cicatrice de sept à huit centimètres de long. Ainsi, se dit-il atterré, Van Slyke était l’assassin de Hodges.

« Dehors ! » éructa Van Slyke accompagnant cet ordre d’un chapelet de jurons et de mouvements désordonnés de la main qui tenait le pistolet.

David sentit son sang se glacer à l’idée qu’il puisse, comme tout à l’heure, se mettre à tirer en tous sens. Obtempérant, il se faufila hors de la resserre, la tête légèrement tournée pour garder Van Slyke dans son champ de vision. Les dents serrées, ce dernier lui indiqua par quelques brusques signes de tête d’avancer en direction de la chaudière.

« Stop ! » aboya-t-il au bout d’une petite dizaine de mètres en pointant son arme vers le sol.

David regarda à ses pieds, où se trouvaient un pic et une pelle jetés sur le sol à côté de la plaque de ciment frais.

« Creusez, reprit Van Slyke. Là ! Là où vous êtes. »

Se baissant, David s’empara du pic et hésita un quart de seconde à s’en servir pour frapper Van Slyke. Mais comme s’il lisait dans ses pensées, celui-ci s’éloigna à une distance prudente sans cesser de brandir le pistolet vers son prisonnier. Certes, son bras tremblait, mais David n’osa pas prendre ce risque inconsidéré.

Des sacs de sable et de ciment étaient posés sur le sol. Sans doute était-ce leur chute qui avait provoqué ce bruit mat et sinistre qu’il avait entendu de la resserre.

David leva le pic au-dessus de sa tête et le laissa retomber. La terre, beaucoup plus dure qu’il ne l’avait imaginée, ne se laissa entamer que de quelques centimètres. Après plusieurs tentatives qui n’eurent guère pour résultat que d’effriter un peu la poussière agglutinée, il s’empara de la pelle pour écarter le petit tas de débris. Le projet de Van Slyke lui apparaissait clairement : il l’obligeait ni plus ni moins à creuser sa propre tombe. David eut une pensée pour Calhoun qui avait dû lui aussi passer par la même terrible épreuve. Sa seule chance, il en était sûr, était de faire parler celui qui projetait de le tuer.

« À quelle profondeur voulez-vous que je creuse ? demanda-t-il en se débarrassant de la pelle pour s’emparer du pic.

– Je veux un grand trou, répondit Van Slyke. Un gros trou comme dans un beignet rond. Maman va me le donner et je le mangerai tout entier. »

David avala sa salive. La psychiatrie n’avait jamais été sa matière préférée, mais il en savait toutefois assez long pour reconnaître dans les propos décousus de Van Slyke un exemple typique de la pensée dissociée qui accompagnait les crises de schizophrénie aiguë.

« Votre mère vous faisait souvent des beignets ? » reprit-il un peu au hasard, dans le besoin éperdu d’entretenir cette conversation dont dépendait sa vie.

Van Slyke le dévisagea d’un air étonné, comme s’il s’apercevait de sa présence. « Ma mère s’est suicidée, déclara-t-il. Elle s’est tuée. » Et à ces mots il partit d’un grand rire de dément.

Cette fois, se dit David, il s’agissait à n’en pas douter de ce que la nosographie qualifiait pudiquement de « déplacement d’affects », une réaction souvent observée chez les grands paranoïaques.

« Dépêchez-vous de creuser ! » se mit à crier Van Slyke en sortant brusquement de son état de quasi-transe.

David obtempéra mais, toujours désireux de faire parler Van Slyke, il lui demanda sur le ton de la conversation ordinaire comment il allait, à quoi il pensait, sans obtenir de réponse à aucune de ces questions. Totalement absorbé en lui-même, Van Slyke ne réagissait plus. Même son visage s’était maintenant vidé de toute expression.

« Est-ce que vous entendez des voix ? » s’enquit David en essayant une autre tactique. Inquiet du silence persistant du malade, il se retourna pour le dévisager et constata qu’il paraissait sous le coup d’une immense surprise. Ses yeux tout à l’heure exorbités n’étaient plus qu’une mince fente entre ses paupières et son tremblement avait repris avec une force accrue.

« Que vous disent ces voix ? reprit David, persuadé qu’il venait de toucher juste.

– Rien ! hurla Van Slyke.

– Ce sont les mêmes que celles qui vous parlaient autrefois, sur le sous-marin ? »

Les épaules de Van Slyke s’affaissèrent brusquement et la surprise peinte sur ses traits se transforma en un masque de stupéfaction.

« Comment vous savez que j’étais sur un sous-marin ? Comment vous savez que les voix me parlent ? » questionna-t-il.

À sa voix devenue plus humaine, David comprit qu’il venait de marquer un point. La dure carapace de Van Slyke commençait à se fissurer.

« Oh, j’en sais long sur vous, poursuivit-il. Je sais tout ce que vous avez fait. Mais je ne suis pas comme les autres. Je suis venu pour vous aider. Je peux vous aider, je suis médecin. »

Van Slyke resta muet, mais il ne quittait pas David des yeux.

« Vous avez l’air si fatigué, reprit David. Bouleversé, même. Ce sont les malades qui vous bouleversent à ce point ?

– Les malades ? Quels malades ? » répéta Van Slyke.

David se sentait la bouche sèche. Il jouait gros, et il le savait. La mise en garde que lui avait adressée Angela lui revint en mémoire, mais il était trop tard pour hésiter. Il fallait qu’il mise son va-tout.

« Les malades que vous avez aidés à mourir, dit-il lentement.

– Ils seraient morts, de toute façon. Condamnés ! » brailla Van Slyke.

Un frisson parcourut l’échiné de David. Le meurtrier de Hodges et « l’Ange de la Mort » ne faisaient qu’un, ainsi qu’il l’avait pressenti.

« Et puis je ne les ai pas tués, continua Van Slyke au bout d’un moment. Ce n’est pas moi qui ai appuyé sur le bouton, c’est eux.

– Eux ?

– Les types de la radiothérapie. C’est eux qui ont envoyé les ondes. »

David hocha la tête d’un air entendu et s’obligea à esquisser un sourire de pitié. Il était à présent manifeste qu’il avait affaire à un grand schizophrène sous l’emprise de terribles hallucinations auditives.

« Ce sont les ondes radio qui vous parlaient, c’est cela ? » demanda-t-il.

Le regard que lui lança Van Slyke était sans équivoque : il prenait de toute évidence David pour un fou. « Bien sûr que non, déclara-t-il avec mépris avant de s’emporter à nouveau. Comment êtes-vous au courant, pour le sous-marin ?

– Je vous ai dit que j’en savais long sur vous, répondit David. Et que je voulais vous aider. C’est pour vous aider que je suis venu. Mais il faut me dire qui vous entendez quand les voix vous parlent.

– Je croyais que vous en saviez long, rétorqua Van Slyke.

– Oui, mais pas tout. J’ignore qui vous dit de tuer les malades, et comment ils meurent…

– La ferme ! le coupa Van Slyke. Plus vite, le trou ! »

Puis, braquant maladroitement son arme sur David, il tira une balle qui alla se perdre dans la porte de la resserre.

David se remit à creuser, taraudé par la peur de voir tous ses efforts anéantis. Le sort terrible que lui réservait le dément le décida à ouvrir la bouche. Il devait reprendre l’avantage en révélant à Van Slyke une partie des informations qu’il détenait.

« C’est vrai que je sais beaucoup de choses, déclara-t-il tout en levant et en abattant le pic sur le sol. Je sais que vous touchez de l’argent pour ce que vous faites, et je sais que vous avez ouvert des comptes dans des banques d’Albany et de Boston. Mais il faut que vous me disiez qui vous paie. Qui est-ce, Werner ? »

Van Slyke poussa un gémissement inarticulé puis, avec une grimace de douleur, se prit la tête à deux mains en se couvrant les oreilles comme s’il était assourdi par un bruit insupportable.

« Les voix crient, n’est-ce pas ? » cria lui-même David qui craignait que Van Slyke ne l’entende pas.

Van Slyke parcourut la cave d’un regard affolé, comme s’il cherchait quelque issue par où s’échapper, et David qui avait lâché son pic pour la pelle essaya d’évaluer la distance qui les séparait, tenté de lui porter un coup mais se demandant toutefois s’il réussirait à frapper assez fort pour le neutraliser.

Van Slyke se ressaisit trop tôt pour lui laisser une chance d’exécuter son projet. Sa terreur s’évanouit d’un coup et ses yeux, un instant plus tôt affolés, se posèrent sur David.

« Qui est-ce ? Qui vous parle ? reprit ce dernier qui voulait à toute force maintenir la pression.

– Les ondes et les ordinateurs, comme sur le sous-marin, répondit Van Slyke d’une curieuse voix haut perchée.

– Vous n’êtes plus sur un sous-marin en mission dans le Pacifique, Werner. Vous êtes chez-vous, à Bartlet, dans la cave de votre maison. Ici, il n’y a pas d’ondes, pas d’ordinateurs.

– Comment savez-vous tout ça ? s’enquit Van Slyke en basculant de nouveau de la peur à la colère.

– Je veux vous aider, affirma David. Je vois trop que vous souffrez et que vous n’avez pas de répit. Vous vous sentez coupable, Werner. Vous avez tué le Dr Hodges, n’est-ce pas ? »

Van Slyke en resta bouche bée. David se demanda alors s’il n’était pas allé trop loin et s’il ne provoquait pas trop la paranoïa de Van Slyke. Il fallait à tout prix éviter d’attirer sur lui la colère de cet homme, pensa-t-il, mais sans pour autant laisser la conversation dévier. Il voulait savoir qui rémunérait Van Slyke.

« Ils vous ont aussi payé pour tuer le Dr Hodges ? » reprit-il.

Van Slyke laissa échapper un rire dédaigneux. « Maintenant je vois bien que vous n’en savez pas si long, déclara-t-il. Hodges est en dehors de tout ça. Je l’ai tué parce qu’il m’accusait d’agresser les bonnes femmes sur le parking. C’est faux, je n’ai pas fait ça, mais lui il disait que si je ne quittais pas l’hôpital il allait le raconter à tout le monde. Alors je l’ai battu pour lui apprendre. »

À nouveau, le visage de Van Slyke se vida de toute expression. Puis, avant que David ait eu le temps de lui demander s’il entendait des voix, il secoua vivement la tête, se frotta les yeux comme s’il émergeait du sommeil et fixa sur David un regard étonné, surpris semble-t-il de le découvrir devant lui, une pelle à la main. Très vite toutefois, ce trouble céda la place à la fureur et Van Slyke leva son arme qu’il braqua sur David.

« Je vous ai dit de creuser », éructa-t-il.

David s’empressa d’obéir, s’attendant à ce que le dément lui tire dessus d’un instant à l’autre. Puis, la menace semblant au moins provisoirement écartée, il chercha avec la dernière énergie une remarque susceptible de faire à nouveau fléchir Van Slyke, mais cette fois de façon plus déterminante. Il ne fallait surtout pas laisser la tension retomber.

« J’ai discuté avec ceux qui vous donnent de l’argent, affirma-t-il le plus calmement possible sans cesser de manier sa pelle. C’est une des raisons pour lesquelles je sais à peu près tout sur vous. Ils ne se sont pas gênés pour tout me raconter.

– Non ! s’écria Van Slyke.

– Mais si, Werner. Ils m’ont même dit que si jamais Phil Calhoun commençait à se douter de quelque chose, c’est sur vous que tout retomberait.

– Vous savez aussi, pour Phil Calhoun ? bégaya Van Slyke pendant que son tremblement reprenait.

– Oui, répondit David. Toute cette belle construction va bientôt s’écrouler. Dès que ceux qui vous paient apprendront ce qui s’est passé avec Phil Calhoun, ce sera fini. Ils vont vous sacrifier, Van Slyke, ils n’hésiteront pas. Et c’est pour cela que je suis ici. Pour vous aider, parce que je sais que vous souffrez. Ne vous laissez pas avoir, Van Slyke. Pour eux, vous ne comptez pas, vous n’êtes rien. Ils vous veulent du mal, ils veulent tous vous faire du mal.

– Taisez-vous ! gémit Van Slyke.

– Ils parlent de vous à tout le monde, Werner. Je ne suis pas le seul à être au courant. Et vous savez comment vont réagir les autres, n’est-ce pas ? Ils seront bien trop contents que ce soit vous qui preniez tout à leur place.

– Taisez-vous ! » répéta Van Slyke, en s’avançant vers lui pour pointer le canon de son arme sur son front.

Paralysé d’effroi, David laissa la pelle retomber sur le sol.

« Dans la resserre ! Retournez dans la resserre », hurla Van Slyke en agitant nerveusement le revolver à quelques centimètres de son prisonnier.

Le coup pouvait partir d’une seconde à l’autre. Croyant sa dernière heure arrivée, David s’exécuta, glacé jusqu’à la moelle, et regagna le réduit. La lourde porte se rabattit brutalement derrière lui, puis Van Slyke poussa le loquet et bloqua le cadenas.

David l’entendit ensuite qui courait çà et là à travers la cave, en poussant des cris chaque fois qu’il se heurtait rudement contre un obstacle ou un autre. Quand cette course folle se fut calmée, il perçut le bruit des pas pesants sur les marches, suivi du claquement de la porte de la cuisine. Très peu de temps après, la lumière s’éteignit.

Sans esquisser le moindre geste, l’oreille aux aguets, David reconnut le ronflement d’un moteur de voiture qui démarrait puis disparaissait rapidement dans le lointain.

Dans le silence maintenant absolu, il se prit la tête entre les mains, effrayé par la violence qu’il venait de déchaîner pour essayer de sauver sa peau. Van Slyke s’était précipité hors de chez lui dans un état de démence aiguë, et si David ignorait où il s’était rendu et dans quel but, il fallait de toute évidence craindre le pire.

Aussi épouvanté que découragé, il sentit les larmes lui monter aux yeux. Certes, il avait atteint son objectif en réveillant la psychose paranoïaque de Van Slyke, mais le résultat n’était pas brillant : au lieu de se sortir d’affaire, il n’avait réussi qu’à lâcher dans la ville un fou furieux aux prises avec ses démons. La seule pensée un peu réconfortante était de savoir Angela et Nikki en sécurité à Amherst.

Luttant pour reprendre son contrôle sur lui-même, David essaya d’examiner objectivement la difficile situation dans laquelle il se trouvait et de réfléchir à un moyen de s’évader. Mais le fait de simplement imaginer les solides murs de pierre de son cachot eut pour effet de le précipiter dans une crise de claustrophobie.

Tout son sang-froid disparu, il éclata en sanglots désespérés tout en s’acharnant vainement contre la porte massive qu’il cognait à grands coups de poing et d’épaule en implorant qu’on le laisse sortir.

Bientôt vaincu par l’inanité de ses efforts, il se calma, s’essuya les yeux de sa manche et, résigné, s’assit sur le sol, décidé à attendre. Il plaçait maintenant tous ses espoirs dans la Volvo bleue et la fourgonnette de Calhoun garées sur le trottoir. Il fallait que quelqu’un les remarque, se dit-il. Ces deux véhicules ne pouvaient passer inaperçus bien longtemps.