20.

 

 

 

MERCREDI 27 OCTOBRE

 

À la grande consternation de ses parents, Nikki s’éveilla avec une quinte de toux grasse qui trahissait un encombrement bronchique caractérisé. Tout laissait penser qu’elle avait attrapé la maladie ayant nécessité l’hospitalisation de Caroline, et David se reprocha amèrement d’avoir autorisé sa fille à rendre visite à son amie.

Malgré l’extrême attention portée par David et Angela aux exercices de kinésithérapie respiratoire, la petite fille continua de présenter les symptômes de la congestion pulmonaire. David et Angela décidèrent en conséquence qu’il était plus prudent de la garder à la maison. Prévenue, Alice Doherty accepta de passer la journée chez eux.

Plus que préoccupé par ces événements familiaux, David commença la tournée de ses malades dans un état d’extrême crispation, hanté par les trop nombreux décès survenus au cours des derniers jours. Ses craintes s’avérèrent pourtant sans fondement. Il put constater que tous ses patients se portaient aussi bien qu’il pouvait l’espérer, jusqu’à Sandra qui paraissait aller nettement mieux.

« Ce n’est presque plus enflé, remarqua David en palpant doucement le côté du visage où s’était déclaré l’abcès.

– Je sens la différence, confirma Sandra.

– Et la fièvre est tombée. Trente-sept deux, une bagatelle !

– Grâce à vous, docteur. Je vous suis tellement reconnaissante que je ne vais même pas insister pour que vous me laissiez sortir au plus vite.

– Voilà qui est raisonnable, dit David en riant. Il faut savoir prendre les choses de biais quand on veut négocier, c’est beaucoup plus efficace. Cela étant, je préfère vous garder jusqu’à ce que nous ayons l’absolue certitude que l’infection est maîtrisée.

– Oh, si vous y tenez ! déclara la jeune femme avec une irritation feinte. Mais pourriez-vous me rendre un service, si je dois rester ?

– Il suffit de demander.

– Les commandes de ce lit ne marchent pas. J’en ai averti les infirmières mais elles prétendent n’y rien pouvoir.

– Je m’en occupe, lui assura David. Les lits de ce service ont apparemment une fâcheuse tendance à se bloquer, mais je tiens à ce que vous soyez aussi bien installée que possible. J’en touche tout de suite un mot à la surveillante. »

Dans le bureau des infirmières, David aborda Janet Colburn et lui fit part de la plainte de Sandra. « Cela arrive vraiment trop souvent, lui dit-il. Il n’y a pas moyen de régler ce problème ?

– La maintenance prétend que non. Et je ne sais pas si vous connaissez le responsable du service entretien, mais le dialogue n’est pas facile avec lui. Je ne peux franchement rien faire. En plus, nous n’avons plus un lit disponible. »

David estimait que son rôle n’était pas de traiter directement avec Van Slyke, mais les réticences de Janet ne lui laissaient guère le choix. La seule autre solution consistait à demander à Helen Beaton d’user de son autorité. Par quelque bout qu’on la prenne, la situation était absurde.

Il trouva Van Slyke dans la pièce aveugle qui lui servait de bureau.

« Une de mes malades s’est entendu répondre qu’il n’était pas possible de réparer son lit, déclara David après l’avoir salué. Cela mérite explication, me semble-t-il.

– L’hôpital a acheté des lits trop fragiles, répondit Van Slyke. Le mécanisme se détraque tout le temps.

– Mais vous pouvez le réparer, non ?

– On peut, mais ça ne tiendra pas.

– J’exige que vous le fassiez, ordonna David.

– Chaque chose en son temps, répliqua Van Slyke. Pour le moment, j’ai d’autres urgences.

– Vous êtes d’un sans-gêne incroyable !

– Ce n’est pas moi qui débarque chez-vous en gueulant, que je sache. Si ça ne vous va pas, allez en référer à l’administration.

– Je n’y manquerai pas », répliqua David en tournant les talons.

Il sortit du bureau de Van Slyke avec l’intention de se rendre directement chez Helen Beaton. Mais alors qu’il traversait le hall d’accueil, il aperçut le Dr Pilsner qui s’apprêtait à monter l’escalier.

« Bert ! le héla David. Vous avez un instant à m’accorder ? »

Le rejoignant en trois enjambées, il lui décrivit brièvement la mauvaise toux de Nikki. Il s’apprêtait à lui demander si la prudence n’imposait pas de prescrire des antibiotiques par voie orale quand il remarqua que le Dr Pilsner avait les yeux dans le vague et ne l’écoutait pas.

« Que se passe-t-il, Bert ? Vous avez l’air troublé, remarqua David.

– Excusez-moi. J’ai l’esprit ailleurs, en effet. Contre toute attente, l’état de Caroline Helmsford s’est brutalement aggravé. Je suis resté toute la nuit à ses côtés. Tel que vous me voyez, je rentre de chez moi où je viens de prendre une douche et de changer de vêtements. Je ne vous cache pas que je suis très inquiet.

– Elle avait l’air si bien, hier, balbutia David. Que s’est-il passé ?

– Venez avec moi, vous en jugerez par vous-même », lui proposa Pilsner.

Sans s’attarder davantage, il monta précipitamment l’escalier. David dut allonger le pas pour se maintenir à sa hauteur.

« Elle est dans l’unité de soins intensifs, l’informa Pilsner. Tout a commencé par une attaque qui m’a totalement pris de court. »

David sentit ses genoux se dérober sous lui. Ce que venait de lui déclarer Pilsner ravivait douloureusement le souvenir de son impuissance devant le mal qui avait emporté ses patients.

« Là-dessus, Caroline a fait une pneumonie foudroyante, poursuivait Pilsner. J’ai tout essayé, mais il semble que rien n’agisse. »

Arrivé devant la porte de l’unité de soins intensifs, le Dr Pilsner s’arrêta une seconde, le front appuyé contre le chambranle. Ses yeux cernés disaient son épuisement. « J’ai bien peur que l’infection ne soit généralisée, soupira-t-il. La tension est au plus bas. Je suis extrêmement inquiet. »

Caroline était dans le coma. Elle n’inhalait que grâce au tuyau qui lui insufflait dans la bouche l’oxygène délivré par un respirateur. Le petit corps de l’enfant était comme ligoté sous l’enchevêtrement des fils des capteurs et des tubes des perfusions. En la découvrant ainsi, David ne put réprimer un frisson de terreur : l’espace d’un instant, il crut voir sa propre fille couchée sur ce lit de douleur.

L’infirmière qui s’occupait de Caroline leur résuma brièvement la situation : elle n’avait enregistré aucune amélioration depuis le départ du Dr Pilsner, une heure plus tôt. David accompagna ensuite son confrère jusqu’au bureau placé au milieu de la grande salle et tenta de son mieux de le réconforter. Il ne savait que trop ce que le pédiatre devait ressentir. Puis il essaya de l’intéresser au cas de Nikki. L’écoutant cette fois attentivement, le Dr Pilsner l’encouragea à mettre sa fille sous antibiotiques.

Avant de gagner son cabinet, David appela Angela à son laboratoire pour l’informer des conseils du Dr Pilsner. D’une voix hésitante, il lui parla ensuite de ce qui arrivait à Caroline. Angela reçut la nouvelle comme un coup de massue. « Elle ne va tout de même pas mourir, murmura-t-elle.

– Pilsner n’a pas beaucoup d’espoir, dit David.

– Oh, mon Dieu ! Nikki l’a vue pas plus tard qu’hier.

– Si tu savais comme je m’en veux ! Tout cela est incompréhensible. Caroline était quasiment guérie, hier. Elle n’avait même pas de fièvre.

– Quelle horreur ! soupira Angela. Ça n’en finira donc jamais ! Tu peux t’occuper des antibiotiques de Nikki et les lui apporter à l’heure du déjeuner ?

– Bien sûr, acquiesça David.

– Je m’en serais bien chargée, mais il faut que j’aille à Burlington, lui rappela sa femme.

– Parce que tu y vas toujours ?

– Évidemment. Calhoun m’a appelée pour confirmer. Apparemment, il a déjà tout arrangé avec l’officier que je dois voir tout à l’heure.

– Eh bien, bon voyage », rétorqua David en raccrochant aussi sec.

Les priorités d’Angela le mettaient hors de lui. Alors qu’il était dévoré d’inquiétude au sujet de Caroline et de Nikki, sa femme restait obnubilée par l’affaire Hodges.

*

« Merci de m’avoir accordé cet entretien, déclara Phil Calhoun en s’installant dans un fauteuil placé devant le bureau de Helen Beaton. Ainsi que je l’ai dit à votre secrétaire, je ne vous retiendrai pas longtemps.

– J’ai également une question à vous poser. La longueur de notre entretien dépendra de votre réponse, répliqua Helen Beaton.

– Qui commence ? demanda Calhoun. Vous permettez que je fume ?

– Non. Le tabac est strictement interdit dans l’enceinte de l’hôpital. Et je pense qu’il me revient de vous interroger la première.

– Eh bien, à vous l’honneur, madame la présidente.

– Qui vous a engagé ?

– Voilà une question bien peu loyale, répondit Calhoun.

– Pourquoi donc ?

– Parce que mes clients ont droit au secret, tout simplement. À mon tour, maintenant. Je crois savoir que le Dr Hodges vous rendait souvent visite et…

– Je vous arrête tout de suite, monsieur Calhoun. Libre à vous de protéger l’anonymat de vos clients, mais dans ces conditions rien ne m’oblige à coopérer avec vous.

– À votre guise, dit Calhoun en haussant les épaules. Mais vous avez tort. Vous savez comment sont les gens. Ils risquent de trouver curieux que la plus haute autorité administrative de l’hôpital se refuse à parler de son prédécesseur. Certains pourraient même penser que vous avez votre petite idée sur son meurtrier.

– Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps, dit Helen Beaton en se levant. Aussi longtemps que je ne sais pas pour qui vous travaillez, vous ne tirerez rien de moi. Seul l’intérêt de l’hôpital dicte ma conduite. Au revoir, monsieur Calhoun.

– Au revoir, madame la présidente, lâcha Calhoun en s’extirpant de son fauteuil. Nous aurons sans doute l’occasion de nous revoir. »

Quittant les locaux de l’administration, Calhoun descendit ensuite au sous-sol dans l’intention de s’entretenir avec Werner Van Slyke. Il finit par le dénicher dans l’atelier où il remplaçait le mécanisme électrique d’un certain nombre de lits d’hôpital.

« Werner Van Slyke ? s’enquit Calhoun.

– Lui-même, marmonna Van Slyke.

– Je me présente, Phil Calhoun. J’aurais aimé bavarder un peu avec vous.

– À quel sujet ?

– À propos du Dr Dennis Hodges.

– Je suis occupé, rétorqua Van Slyke en s’absorbant à nouveau dans sa tâche.

– Ces petits mécanismes n’ont pas l’air bien solides, remarqua incidemment Calhoun.

– Autant dire qu’ils ne valent rien, grommela Van Slyke.

– Je croyais que vous aviez ce service sous vos ordres. Pourquoi les réparer vous-même ?

– Autant être sûr que ça marche », répondit Van Slyke.

Calhoun s’écarta de l’établi pour aller s’asseoir sur un tabouret. « Ça ne vous ennuie pas que je fume ? demanda-t-il.

– Comme vous voulez.

– Voilà qui fait plaisir. Je croyais que c’était interdit à l’hôpital. Je vous en offre un ? » proposa-t-il en lui tendant sa boîte de cigares.

Van Slyke s’interrompit. Apparemment, l’offre de Calhoun le plongeait dans un abîme de réflexions. Puis son visage s’éclaira lentement d’un sourire et il accepta un cigare que Calhoun alluma obligeamment avant le sien.

« Vous connaissiez bien le Dr Hodges, n’est-ce pas ? reprit le détective.

– C’était comme un père pour moi, répondit Van Slyke en s’emplissant goulûment les poumons de fumée. Il comptait plus que mon propre père.

– Oh ?

– Sans lui, je n’aurais jamais été au lycée. Il me confiait des petits boulots à faire chez lui. Souvent, je dormais là-bas et on parlait. Il me traitait mieux que mon père.

– Comment ça ? dit Calhoun pour l’encourager à continuer.

– Mon père était un bon à rien de salopard, déclara froidement Van Slyke avant de se mettre à tousser. Il me battait comme un malade.

– Non !

– Il se saoulait tous les soirs et il me rouait de coups. Ma mère n’y pouvait pas grand-chose. Quand elle lui disait d’arrêter, elle se faisait cogner elle aussi.

– Au moins, vous aviez votre mère, dit Calhoun. Vous étiez deux contre lui.

– Pour ça, vous vous trompez. Elle prenait tout le temps sa défense. D’après elle, je ne devais pas lui en vouloir puisque c’est par amour qu’il me rossait.

– C’est absurde, commenta Calhoun.

– N’est-ce pas ! Mais pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça ? Qu’est-ce que vous cherchez à savoir, au juste ?

– J’aimerais bien savoir comment Hodges est mort.

– Après tout ce temps ?

– Pourquoi pas ? Ça ne vous plairait pas de pincer celui qui l’a tué ?

– À quoi ça m’avancerait ? À le tuer à mon tour ? » La perspective eut l’air d’amuser Van Slyke qui poussa un petit gloussement, très vite interrompu par une nouvelle quinte de toux.

« Vous ne fumez pas un peu trop ? » s’enquit Calhoun d’un ton prévenant.

Van Slyke, qui essayait de maîtriser sa toux, eut un geste de dénégation. L’effort le rendait cramoisi. Tournant les talons, il se dirigea vers un évier placé dans un coin et but une gorgée d’eau. Quand il revint, il était dans un tout autre état d’esprit. « Assez rigolé comme ça, dit-il d’un air moqueur. J’ai du boulot par-dessus la tête. Il faut que je termine ces lits.

– Je m’en vais, je m’en vais, acquiesça Calhoun en glissant au bas de son tabouret. J’ai pour principe de ne jamais m’imposer. Mais cela ne vous ennuie pas si je repasse un de ces jours, à l’occasion ?

– On verra », répondit Van Slyke, d’humeur à nouveau taciturne.

Remonté au rez-de-chaussée, Calhoun sortit par l’entrée principale de l’hôpital pour gagner le Centre d’imagerie médicale. Là, il tendit sa carte à l’hôtesse d’accueil et l’informa qu’il aimerait s’entretenir quelques minutes avec le Dr Cantor.

« Vous avez rendez-vous ? demanda la jeune femme.

– Non. Mais je pense qu’il me recevra quand vous lui aurez dit que je voudrais lui parler du Dr Hodges.

– Le Dr Dennis Hodges ? précisa-t-elle sans cacher sa surprise.

– Lui-même », confirma Calhoun.

Il s’installa dans un fauteuil et la regarda de loin décrocher son téléphone. Les yeux au plafond, il contemplait d’un œil appréciateur la décoration somptueuse du Centre d’imagerie médicale quand une femme d’un certain âge s’approcha et le pria de la suivre.

« Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? l’interpella Cantor au moment où il pénétrait dans son bureau. Vous voulez me parler de Dennis Hodges ?

– Exactement, dit Calhoun.

– Mais pourquoi, bon sang ?

– Vous permettez que je m’assoie ? » demanda poliment le détective.

Les sourcils froncés, Cantor lui désigna un des sièges placés devant son bureau, tous encombrés de piles de revues médicales. Calhoun en choisit un, le débarrassa en posant les magazines par terre et s’y installa. Puis, observant le rituel dont il était coutumier, il sortit sa boîte de cigares de sa poche et s’enquit de savoir s’il pouvait fumer.

« Si vous m’en offrez un, pas de problème, dit Cantor. Je ne fume plus mais j’ai du mal à résister à la tentation. »

Après lui avoir tendu la boîte de cigares et du feu, Calhoun lui expliqua qu’il était chargé de découvrir l’assassin de Hodges.

« Je n’ai franchement pas envie de parler de ce vieux schnoque, déclara Cantor.

– Vous m’étonnez, dit Calhoun.

– Pourquoi faudrait-il que ça m’intéresse ?

– Pour que le meurtrier puisse être arrêté et présenté à la justice, tout simplement.

– Si vous voulez mon avis, la mort du vieux n’était que justice. Il faudrait décorer le type qui nous a débarrassés de ce fléau.

– Je vois que vous ne pensiez pas grand bien du Dr Hodges, remarqua Calhoun.

– Vous êtes en dessous de la vérité ! Et lui il était en dessous de tout !

– Vous pourriez être un peu plus précis ?

– Il n’avait aucun égard pour les autres, reprit Cantor en se ressaisissant.

– Les autres ? Tout le monde en général ou surtout ses confrères ?

– Surtout ses confrères, bien sûr. Il se fichait de tout ce que nous pouvions dire. Il aurait vendu sa chemise pour sauver cet hôpital, mais sa sollicitude ne s’étendait pas jusqu’aux médecins qui y travaillaient. En décidant d’annexer les services de radiologie et d’anatomopathologie, il savait pertinemment qu’il condamnait la plupart d’entre nous au chômage. L’envie de l’étrangler en a démangé plus d’un, à l’époque.

– Qui, par exemple ?

– Oh, ce n’est un secret pour personne ! s’exclama Cantor avant de lui citer cinq noms, dont le sien, en comptant sur ses doigts.

– Vous êtes le seul du groupe à être resté sur place, si je comprends bien, reprit Calhoun.

– Le seul radiologue, oui. Dieu merci, j’ai eu la bonne idée de créer le Centre d’imagerie médicale. Mais Paul Darnell est toujours là, lui aussi. En anat’pat’.

– Vous savez qui a tué Hodges ? » lui demanda le détective à brûle-pourpoint.

Cantor ouvrit la bouche pour parler puis s’arrêta avec un regard soupçonneux en direction de son interlocuteur. « C’est drôle, dit-il, mais brusquement je me rends compte que je vous débite des sottises alors que je n’avais pas envie de parler de Hodges.

– Je pensais justement la même chose, répliqua Calhoun. Et je suis bien content que vous ayez changé d’avis. Alors ? Vous savez qui a tué Hodges ?

– Si je le sais, ça me regarde », répondit Cantor.

Brusquement, Calhoun se frappa sur le front et s’empressa de tirer de sa poche la montre de gousset attachée par une petite chaîne à l’un des passants de sa ceinture. « Oh, ma parole ! s’ écria-t-il en bondissant sur ses pieds. Je suis désolé, mais je ne peux poursuivre cette discussion plus longtemps. C’est fou comme le temps file ! Il faut que je vous quitte, j’ai un rendez-vous urgent. »

Sous les yeux de Cantor médusé, le détective écrasa à la hâte son cigare dans un cendrier et sortit de la pièce au pas de course. Il était grand temps qu’il aille chercher Angela.

Comme convenu, la jeune femme l’attendait devant la bibliothèque. Calhoun s’arrêta à sa hauteur et lui ouvrit la portière.

« Désolé d’être en retard, lui dit-il. Je m’amusais si bien avec le Dr Cantor que je n’ai pas vu passer l’heure.

– Ce n’est pas grave, répondit la jeune femme en s’installant à ses côtés. Je suis moi aussi arrivée avec cinq minutes de retard. » Elle fronça le nez, un peu incommodée par l’odeur de tabac froid. « Je suis curieuse de savoir ce que vous a raconté le Dr Cantor, reprit-elle.

– Ce n’est pas lui qui a tué Hodges. Mais ses commentaires n’en étaient pas moins intéressants. Ma rencontre avec Helen Beaton aussi, d’ailleurs. Ces gens-là ont quelque chose à cacher, j’en jurerais. Ça ne vous ennuie pas que je fume ? demanda-t-il en baissant sa vitre.

– Nous avons pris votre voiture, vous êtes chez-vous.

– C’est quand même plus poli de demander, dit Calhoun.

– Vous êtes sûr que nous n’allons pas avoir d’ennuis à Burlington ? lui demanda la jeune femme en changeant de sujet. Je ne peux pas m’empêcher d’être un peu angoissée. Ce qui me gêne, c’est que je vais en quelque sorte abuser de ma position. Je travaille à l’hôpital, c’est vrai, mais étant donné ma spécialité, je n’ai pas vraiment besoin de consulter les dossiers des malades.

– Ne vous inquiétez pas, la rassura Calhoun. On ne vous demandera rien. J’ai pris les devants, ce matin, et j’ai tout expliqué à l’inspecteur que nous allons voir. Ça ne posera pas de problèmes.

– Je l’espère, soupira la jeune femme.

– Faites-moi confiance. Cela étant, moi aussi il y a quelque chose qui me tracasse. J’ai repensé à la réaction de votre mari, hier soir, et je ne voudrais surtout pas causer le moindre problème entre vous. Pour être tout à fait franc, cette enquête est de loin la plus passionnante que j’aie eu à mener depuis que j’ai quitté la police et ça m’embêterait de ne pas aller jusqu’au bout. Si ça peut vous simplifier la vie, je suis prêt à diminuer mon tarif horaire.

– C’est vraiment très aimable, le remercia Angela, mais j’aurais des scrupules à accepter. Tout se passera bien avec David pourvu que nous respections les délais fixés. »

Malgré les paroles apaisantes de Calhoun, la jeune femme se sentait un peu anxieuse lorsqu’elle pénétra dans les bureaux de la brigade criminelle de Burlington. Ses inquiétudes furent toutefois vite dissipées. La présence de Calhoun aplanit toutes les difficultés et l’inspecteur qui les reçut aurait difficilement pu se montrer plus prévenant et plus serviable.

« Vous ne pourriez pas nous en faire deux jeux, pendant que vous y êtes ? lui demanda le détective alors qu’il soulevait le cache de la photocopieuse.

– Pas de problème », acquiesça l’inspecteur qui avait enfilé des gants pour manipuler les originaux.

Calhoun adressa un clin d’œil à Angela.

« Comme ça, nous aurons chacun le nôtre », souffla-t-il.

Dix minutes plus tard, ils remontaient ensemble dans la fourgonnette.

« C’était un jeu d’enfant ! s’extasia la jeune femme en sortant son jeu de photocopies de l’enveloppe que lui avait remise l’inspecteur.

– Je ne dis jamais : "Je vous l’avais bien dit", glissa Calhoun avec un sourire. Jamais. Ce n’est pas mon genre. »

Angela se mit à rire. Elle commençait à apprécier le sens de l’humour du détective.

« C’est intéressant ? lui demanda-t-il pendant qu’elle commençait à feuilleter les papiers.

– Ce sont des formulaires d’admission. Il y en a huit en tout.

– Ils ont quelque chose de spécial ?

– Je n’ai pas l’impression, dit Angela un peu désappointée. À première vue ils n’ont d’ailleurs rien en commun, ni l’âge, ni le sexe, ni la raison de l’hospitalisation. Fracture de la hanche, pneumonie, sinusite, douleur abdominale dans le quadrant inférieur droit, phlébite, infarctus et colites néphrétiques. Je ne sais pas trop ce que nous allons pouvoir en tirer.

– Ne vous découragez pas trop vite », lui conseilla Calhoun.

Angela remit les papiers dans l’enveloppe et regarda par la fenêtre.

« Oh ! s’exclama-t-elle tout à coup. Arrêtez-vous. »

Calhoun se rangea sur le bord du trottoir.

« Nous venons juste de passer devant la morgue, lui expliqua Angela. Si nous allions voir le médecin légiste ? C’est lui qui s’est chargé de l’autopsie de Hodges.

– Bonne idée, répliqua Calhoun. Je serais ravi de le rencontrer. »

Il fit aussitôt demi-tour pour repartir dans l’autre sens, s’engageant dans une manœuvre si périlleuse qu’Angela, crispée, ferma un instant les yeux en s’attendant à une collision imminente.

« Détendez-vous », grommela Calhoun en pilant devant la morgue.

Quelques minutes plus tard, ils retrouvaient Walter Dunsmore qui les invita à l’accompagner à la cafétéria.

« Vous mangez quelque chose ? » leur proposa Walt.

Tous deux optèrent pour des sandwiches.

« J’ai chargé M. Calhoun d’enquêter sur le meurtre du Dr Hodges, expliqua Angela en s’asseyant à la table. Nous sommes venus à Burlington chercher des photocopies des papiers trouvés près du corps et j’ai eu envie de passer chez-vous, au cas où vous auriez du nouveau.

– Je ne crois pas, non, mais laissez-moi réfléchir. Voyons… j’ai reçu les résultats des tests toxicologiques, mais tous étaient négatifs à l’exception du taux d’alcoolémie dont je vous ai déjà parlé. Depuis, les choses en sont restées là. Comme je vous l’ai dit, personne n’a l’air de s’exciter beaucoup sur cette affaire.

– Vous n’avez pas non plus d’autre précision sur ces fameuses particules de carbone ?

– J’avoue que je ne m’en suis pas beaucoup occupé », confessa Walt.

Son sandwich avalé, la jeune femme vérifia que Calhoun avait lui aussi engouffré le sien et se leva.

« J’ai pris sur mon temps de déjeuner pour venir, dit-elle en tendant la main au médecin légiste. Je ne peux m’attarder plus longtemps. »

Le trajet de retour vers Bartlet lui parut plus rapide encore que l’aller. Calhoun la déposa devant la bibliothèque, à l’endroit où il l’avait prise un peu plus tôt.

« Je vous contacterai, lança-t-il avant de s’éloigner. Et n’oubliez pas d’être prudente, hein ? Restez en dehors de tout ça.

– Tout ira bien », dit la jeune femme en agitant le bras. Puis elle regarda sa montre et accéléra le pas. Il était déjà une heure et demie.

De retour au laboratoire, elle rangea les photocopies dans le premier tiroir de son bureau afin de ne pas oublier de les ramener chez elle dans la soirée. Elle enfilait sa blouse blanche quand Wadley poussa la porte de communication sans s’être donné la peine de frapper.

« Cela fait près de vingt minutes que je vous attends, dit-il sèchement.

– J’ai dû m’absenter, rétorqua Angela.

– Je m’en suis aperçu. Votre absence a duré plus d’une heure.

– Je rattraperai en restant plus tard ce soir. Cela m’arrive de toute façon assez souvent. Et j’avais prévenu le Dr Darnell, pour qu’il n’y ait pas de problème en cas d’urgence.

– Je dirige ce service et je n’apprécie pas que ceux qui y travaillent disparaissent au milieu de la journée.

– Je n’appelle pas ça disparaître, protesta la jeune femme. Je suis tout à fait consciente de mes responsabilités et je les assume. Jamais je ne me serais absentée si j’avais été affectée au laboratoire des salles d’opération. Cette course m’a d’ailleurs permis de rencontrer le médecin légiste de Burlington.

– Vous avez vu Walt Dunsmore ? demanda Wadley interloqué.

– Vous pouvez l’appeler, il vous le confirmera. »

Constatant que sa remarque avait ébranlé son chef de service, Angela se félicita d’avoir eu la présence d’esprit de s’arrêter à la morgue.

« J’ai autre chose à faire que de vérifier à quoi vous passez votre temps, repartit Wadley dédaigneusement, mais je vous engage fermement à modifier votre attitude. Je vous rappelle que vous êtes toujours en période d’essai. Votre contrat dépendra de la confiance que je peux vous accorder. »

Sur ces mots, Wadley tourna les talons, laissant comme à son habitude la porte claquer violemment derrière lui.

Angela resta un moment les yeux fixés sur cette porte close. L’hostilité ouverte de Wadley lui pesait, mais tout bien réfléchi elle la trouvait préférable au comportement équivoque et grivois qu’elle avait eu à subir auparavant. Cela étant, se dit-elle avec un soupir, même sur le plan professionnel leurs rapports paraissaient bien compromis.

*

En fin de journée, David quitta son service pour aller voir ses malades Hospitalisés. Avant de commencer sa tournée, il passa par l’unité de soins intensifs pour prendre des nouvelles de Caroline, mais un regard lui suffit pour comprendre que la pauvre enfant n’en avait sans doute plus pour longtemps. Assis devant le bureau installé au milieu de la salle, le Dr Pilsner la veillait sans espoir, accablé, et David sentit son cœur se serrer.

Sans s’attarder davantage, il se rendit au chevet de ses patients, pris d’angoisse chaque fois qu’il poussait une porte et aussitôt soulagé de découvrir que le ou la malade poursuivait son rétablissement. Mais son anxiété ne s’apaisa hélas pas lorsque, entrant dans la chambre de Sandra, il la trouva plongée dans une semi-léthargie.

Le changement était spectaculaire, même si les infirmières eurent l’air de penser qu’il exagérait. Quand il était passé la voir, dans la matinée, la jeune femme qui disposait manifestement de toutes ses facultés avait plaisanté avec lui. Or elle semblait à présent indifférente à tout, y compris au filet de salive qui lui coulait sur le menton. Ses yeux avaient perdu leur éclat et sa fièvre était à nouveau montée.

David la pressa de questions auxquelles elle répondit de la façon la plus vague. Tout ce qu’il parvint à comprendre fut qu’elle souffrait de crampes abdominales, un symptôme certes assez banal mais dont ses défunts patients s’étaient également plaints. David éprouva alors un début de panique. La perspective de perdre à son tour Sandra lui était intolérable.

Gagnant le bureau des infirmières, il s’absorba dans la lecture du dossier de la jeune femme afin de vérifier qu’aucun élément ne lui avait échappé. Une note signée d’une infirmière lui apprit simplement que Sandra avait refusé son déjeuner de midi, signe qu’elle n’avait plus d’appétit. Par ailleurs, tous les dosages des goutte-à-goutte étaient bons, et les résultats de laboratoire normaux. Refermant le dossier d’un geste las, David envisagea l’éventualité d’un début de méningite. C’est d’ailleurs la crainte que l’abcès de Sandra ne provoque une inflammation des membranes cérébrales qui l’avait conduit à hospitaliser sa patiente.

Il retourna auprès d’elle, l’examina une nouvelle fois, et bien qu’il n’ait pu déceler aucun signe de méningite, même précoce, décida d’effectuer une ponction lombaire pour en avoir le cœur net. Les résultats, demandés en urgence au laboratoire, s’avérèrent négatifs ; le dosage glycémique qu’il avait exigé dans la foulée était lui aussi satisfaisant.

La seule chose susceptible de tirer Sandra de son apathie était la douleur qu’elle éprouvait à la palpation de la mâchoire. En conséquence, David ajouta un antibiotique à la perfusion, mais il se sentait toutefois démuni et perdu, sans l’ombre d’une piste ou d’une idée. L’espoir constituait son unique recours.

En rentrant à vélo chez lui, il ne goûta pas comme d’habitude aux joies de sa promenade. Il avait trop de chagrin pour Caroline et se sentait trop inquiet pour Sandra. Dès qu’il eut poussé la porte, toutefois, il comprit que cet apitoiement sur lui-même n’était plus de mise. Malgré les antibiotiques qu’il lui avait apportés à midi, Nikki respirait nettement moins bien et avait trente-neuf de fièvre.

Composant directement le numéro de l’unité de soins intensifs, David demanda à parler au Dr Pilsner. Après s’être excusé de le déranger dans ces circonstances, il lui expliqua que les médicaments qu’ils avaient choisis ensemble pour Nikki n’avaient pas l’air d’agir.

« Il vaut mieux continuer, lui conseilla Pilsner d’une voix lasse. Et prévoyez également un agent mucolytique et un broncho-dilatateur, tout en poursuivant la kinésithérapie respiratoire, bien entendu.

– Toujours pas de changement chez Caroline ? demanda David.

Toujours pas. »

Il était presque sept heures lorsque Angela rentra enfin. Après avoir ausculté Nikki, qu’une séance de kinésithérapie respiratoire avec David avait un peu soulagée, elle s’éclipsa rapidement pour prendre une douche. David la suivit dans la salle de bains.

« Caroline est au plus mal, lui annonça-t-il.

– Mon Dieu, ce doit être terrible pour ses parents. Je les plains de tout cœur mais je suis encore plus angoissée pour Nikki. Pourvu que Caroline ne l’ait pas contaminée.

– Je suis fou d’inquiétude, moi aussi. En plus j’ai encore une autre de mes patientes, Sandra Hescher, dont l’état me paraît plus que préoccupant. »

Angela écarta légèrement le rideau de la douche pour glisser sa tête à l’extérieur. « Pourquoi l’as-tu hospitalisée ?

– À cause d’un énorme abcès dentaire. Les antibiotiques l’ont d’abord soulagée. Et puis, en l’espace de quelques heures, ses capacités psychiques se sont effondrées.

– Désorientation ?

– Surtout une apathie prononcée et des difficultés évidentes à rassembler ses idées. Bien sûr les choses n’ont pas l’air si graves, présentées comme ça, mais je n’en reviens pas.

– Tu penses à une méningite ?

– J’y ai pensé malgré l’absence de migraine. Pourtant la ponction lombaire est tout ce qu’il y a de normale.

– Et un abcès au cerveau ?

– Elle aurait plus de fièvre, répondit David. Si elle ne va pas mieux demain, je demanderai quand même un IRM. Tout cela me rappelle trop ces malades que je n’ai pas réussi à guérir.

– Je suppose évidemment que tu préfères ne pas consulter de spécialistes ?

– Si je m’y résous, on me retirera le cas de Sandra. Je prends déjà des risques à demander un IRM.

– C’est vraiment moche d’être obligé de travailler dans de telles conditions. »

David garda le silence.

« Mon voyage à Burlington s’est très bien passé, reprit la jeune femme.

– Ah bon, dit simplement David.

– En revanche, les choses se sont gâtées quand je suis revenue au labo. Wadley ne sait plus quoi inventer. Il m’a même menacée de ne pas prolonger ma période d’essai.

– Non ! ? s’écria David hagard. Ce serait une catastrophe.

– Je ne m’inquiète pas trop, le rassura la jeune femme. Wadley crache son venin, c’est tout. Dans l’immédiat, ma petite conversation avec Cantor devrait le dissuader de se livrer à un abus de pouvoir. Rien que pour cela, je suis finalement contente d’en avoir parlé à Cantor.

– Je ne suis tout de même pas tranquille, dit David en hochant la tête. Jamais je n’aurais imaginé que tu risquais quoi que ce soit sur le plan professionnel. »

Au moment de passer à table, Nikki déclara qu’elle n’avait pas faim, mais Angela insista pour qu’elle essaie au moins de manger quelque chose. Pendant le dîner, contrariée de voir sa fille chipoter dans son assiette, elle lui demanda d’y mettre un peu plus de bonne volonté. David intervint en disant qu’il ne servait à rien de forcer l’enfant. La riposte d’Angela transforma bientôt le désaccord en querelle, et Nikki, qui ne supportait pas les conflits, quitta la table en larmes.

Ses parents continuèrent un moment à se disputer en s’accusant mutuellement d’irresponsabilité puis, chacun boudant dans son coin, ils regardèrent en silence les informations télévisées. Quand l’heure fut venue de coucher Nikki, Angela décréta qu’elle se chargeait de sa kinésithérapie respiratoire, laissant à David le soin de débarrasser et de faire la vaisselle.

Ce dernier commençait à peine à remplir l’évier d’eau quand Angela poussa la porte de la cuisine. « Nikki vient de me poser une question embarrassante, lui dit-elle. Elle voudrait savoir si Caroline va bientôt rentrer chez elle.

– Que lui as-tu répondu ? demanda David.

– Que je n’en savais rien, avoua Angela. Je n’ai pas osé lui dire la vérité.

– Ce n’est pas la peine de me regarder comme ça, je ne lui en parlerai pas non plus. Je crois plus sage d’attendre qu’elle soit débarrassée de cette congestion.

– Très bien. Je retourne là-haut », lança Angela.

David appela l’hôpital vers neuf heures et discuta longuement avec la surveillante de l’équipe de nuit qui lui affirma sur tous les tons qu’elle n’observait pas de changement notable dans l’état de Sandra. Elle reconnut toutefois que la jeune femme n’avait pas touché à son dîner.

« David ! l’appela Angela quand il eut raccroché. Tu veux jeter un œil sur les papiers que j’ai ramenés de Burlington ?

– Cela ne m’intéresse pas, répondit-il.

– Merci, dit Angela décontenancée. Tu sais pourtant l’importance que j’y attache.

– J’ai trop de soucis en tête pour me pencher là-dessus, en ce moment.

– Moi aussi, j’ai mes soucis, et ils ne m’empêchent pas de prendre le temps de discuter des tiens. Tu pourrais au moins me témoigner la même courtoisie.

– Excuse-moi, mais je trouve que nos préoccupations ne sont guère comparables, répliqua David.

– Comment peux-tu dire une chose pareille ? Le meurtre de Hodges me rend malade, tu le sais.

– Si tu te rends malade, c’est parce que tu le veux bien. Pour moi, c’est clair.

– Oh, pour être clair, c’est clair. Ce qui te tient à cœur est important et ce qui me tient à cœur compte pour des prunes.

– Avec tout ce qui nous tombe dessus en ce moment, je trouve ahurissant que tu continues à faire cette fixation sur l’affaire Hodges. Mon sentiment est que tu te trompes de priorité. Pendant que tu cours à Burlington sous n’importe quel prétexte, c’est moi qui amène à Nikki les antibiotiques dont elle a besoin pendant que sa meilleure amie est en train de mourir à l’hôpital.

– David, ce que tu dis est incroyable.

– Et par-dessus le marché, poursuivit David sans se laisser interrompre, j’apprends que Wadley menace de te mettre à la porte. Tout cela parce qu’il a absolument fallu que tu files à Burlington. Mais je te préviens : si tu perds ton travail, tu nous mets tous les trois dans une situation épouvantable.

– Tu crois que je suis cinglée et que tu es raisonnable, c’est ça ? se mit à hurler Angela. Mais tu te leurres, David. Ta tactique consiste à nier que les problèmes existent au lieu d’essayer de les résoudre. Toi aussi tu te trompes de priorité en refusant de me soutenir alors que je me ronge d’inquiétude. Quant à Nikki, elle ne serait peut-être pas malade si tu ne lui avais pas permis d’aller voir Caroline sans même savoir ce qu’avait cette pauvre gosse.

– Tais-toi », hurla David en retour.

Mais très vite il reprit son empire sur lui-même. Il se jugeait effectivement comme quelqu’un de raisonnable et mettait un point d’honneur à ne pas perdre son sang-froid.

Plus il se contrôlait, cependant, plus Angela s’emportait, et la colère grandissante de sa femme le poussait à lui répondre sur un ton de plus en plus froid et incisif. À onze heures, de guerre lasse, ils mirent fin à leur dispute après s’être entendus au moins sur un point : David dormirait dans la chambre d’amis.