Feuilles volantes découvertes pliées, insérées, entre les cinquième et sixième parties de Cendres : l’Histoire oubliée de la Bourgogne, (2001) British Library.
Message n° 155
(Anna Longman)
Sujet : Cendres, découvertes archéologiques
Date : 18/11/00 à 10 : 00
De : Ngrant@
Adresse et format effacés ; autres détails codés par mot de passe personnel non identifié.
Anna –
J’ai l’impression que vous venez d’essayer de m’envoyer un mail, sans succès.
Pour répondre aux questions que vous devez vous poser, je le sens, sur cette dernière section : non, je ne peux trouver aucune autre mention historique d’une bataille à Auxonne aux environs du 21 août 1476 – bien que l’histoire de Cendres présente quelques ressemblances avec ce que nous savons d’une bataille livrée le 22 août 1485. Cette date correspond évidemment à la bataille de Bosworth, qui mit un terme aux rois Plantagenêt en Angleterre. Et quelque chose de très semblable au remarquable incident des flèches est consigné plus tôt, le 29 mars 1461, à Towton, en Angleterre, où les lancastriens « ne jaugèrent pas avec exactitude la distance qui les séparait de leurs ennemis » en raison des rafales de vent et de neige ; et par conséquent perdirent cette « bataille des Rameaux » (et l’Angleterre) face aux yorkistes.
À nouveau, Charles Mallory Maximillian note en bas de page, dans son édition de 1890, qu’il s’agit d’un autre exemple où les documents « Cendres » ont été étoffés par ses contemporains (en particulier Del Guiz, qui écrit au début des années 1500) avec des détails de leurs propres batailles célèbres.
J’estime que cela ne satisfait plus à la question.
Je n’arrive pas à concilier ce que nous avons ici – deux jeux d’éléments distincts. Des manuscrits qui, semble-t-il, sont (maintenant) des fictions ; des vestiges archéologiques qui, de façon évidente, physique, sont réels. Je conseille Isobel sur l’Europe du XVe siècle, je travaille sur ma traduction, mais tout ce que j’arrive à faire, en réalité, c’est de réfléchir. Comment puis-je expliquer tout ça ? Quelle théorie pourrait l’éclairer ?
Je n’en ai pas. Peut-être, quand Cendres qualifiait le soleil en train de s’éteindre de « noir miracle », aurais-je dû l’écouter ! Je commence à croire que seul un miracle me fournira l’explication dont nous avons besoin.
— Pierce
Message n° 95
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres
Date : 18/11/00 11 : 09
De : Longman®
Adresse et format effacés ; autres détails codés par mot de passe personnel non identifié.
Pierce –
Moi non plus, je ne sais pas pourquoi nous avons un conflit d’éléments ; et je dois en discuter avec mon DG. Il ne s’agit pas simplement de votre travail et de ma carrière. Nous ne pouvons pas publier un livre dont nous savons qu’il a des sources frauduleuses – non, attendez, pas de panique ! – et nous ne pouvons pas NE PAS le publier, avec un élément aussi stupéfiant qu’un golem carthaginois du Xve siècle pour le confirmer.
En lisant votre dernier courrier, je commence à me demander ce qu’en dirait votre Vaughan Davies – peut-être pas que les ressemblances entre Auxonne et Bosworth sont un exemple de téléphone arabe historique, mais que c’est un écho de sa « Bourgogne perdue » parallèle et idéalisée. C’est poétique, et ça m’a fait réfléchir, parce que c’était un savant, en même temps qu’un écrivain. Peut-être que son idée n’est PAS poétique, mais scientifique.
Une de mes amies, Nadia, m’a fait une remarque très intéressante. Je me suis documentée sur le sujet : nous discutions de la théorie que vous avez évoquée – qu’il existe un nombre infini d’univers parallèles créés à chaque seconde, dans lesquels tous les différents choix ou décisions possibles à un moment donné engendrent une nouvelle « branche », etc. (Je ne la connais vraiment que par des romans et des livres de vulgarisation scientifique.)
Ce que m’a dit Nadia, c’est qu’elle ne regrettait pas les occasions perdues – se dire qu’on aurait pu emprunter une autre route et éviter un accident, par exemple –, mais le fait que, si cette théorie du nombre infini d’univers est exacte, elle ne pourra jamais vivre une existence morale.
Elle dit que, si elle choisit de ne pas assommer et dévaliser une petite vieille dans la rue, alors l’acte précis de se refuser à agir ainsi détermine un univers parallèle dans lequel elle AGIT AINSI. Il est impossible de NE PAS faire les choses.
Je ne suggère pas que vous avez eu accès à un univers ou à une histoire parallèle – je ne suis quand même pas descendue si bas ! –, mais c’est vrai, Davies passerait moins pour un doux dingue si sa théorie était basée sur des spéculations scientifiques. Je me disais que si nous POUVIONS mettre la main sur le reste de son introduction, peut-être contiendrait-elle une explication SCIENTIFIQUE parfaitement raisonnable, qui pourrait nous aider à l’heure actuelle ? Même une science datant de 1939 serait DÉJÀ un début.
— Anna
Message n° 156
(Anna Longman)
Sujet : Cendres
Date : 18/11/00 11 : 20
De : Ngrant®
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Anna –
L’argument de votre Nadia est intéressant au point de vue philosophique, mais pas valide, d’après ce que je comprends à nos physiciens. (Compréhension de pur néophyte, je vous assure.)
Si ce que les éléments actuels semblent indiquer est correct, alors nous ne nous trouvons pas en présence d’une infinité d’univers possibles, mais seulement d’un nombre infini de FUTURS possibles, qui s’effondrent pour créer un seul moment concret et réel : le PRÉSENT. Qui devient dès lors un seul PASSE concret.
Donc, votre amie décide de ne pas attaquer sa petite vieille, et c’est cet état de ne pas l’avoir fait qui devient le passé immuable. C’est seulement dans l’instant de transition entre le potentiel et le concret que s’opère un choix. On peut donc ne pas agir d’une certaine façon.
Pardon : levez un lièvre philosophique devant un universitaire, et il ne résistera pas à l’envie de lui courir après ! Pour changer d’animal et mélanger les métaphores : revenons à nos moutons…
J’accepterais l’aide de N’IMPORTE QUI, en ce moment, même d’une théorie scientifique des univers parallèles remontant aux années trente ! Mais je me suis évertué à chercher le livre de Vaughan Davies, sans succès ; et je ne crois pas pouvoir accomplir davantage sur ce plan, assis dans une tente dans la région de Tunis.
J’ai envie d’essayer de discuter en détail de ces dernières semaines avec mes collègues, et les amis savants d’Isobel, pour voir s’ils ont des théories à proposer. Je n’ose pas, pour le moment. Cela attirerait sur nos fouilles ici une attention indésirable ; cela causerait pas mal de consternation pour Isobel – et, soyons franc, cela ruinerait mes chances d’être le premier à traduire FRAXINUS. C’est vénal, je sais, mais les occasions de réussite spectaculaire se présentent rarement ; vous vous en apercevrez, en prenant de l’âge.
Nous pourrions peut-être faire ça d’ici un mois ou deux ? Commencer à poser des questions, auprès des experts, pour obtenir de VÉRITABLES réponses ? Ça nous situerait encore avant la date de publication.
— Pierce
Message n° 96
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres
Date : 18/11/00 11 : 37
De : Longman@
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Pierce –
Mais pas avant la relecture des épreuves et l’impression ! Pierce, qu’est-ce que vous essayez de me faire ?
Et si nous disions à Noël ? Si le problème n’est pas résolu d’ici là, ou que nous n’avons pas au moins découvert de quoi il s’agit – alors, je serai obligée d’aller trouver Jonathan.
Première semaine de janvier AU PLUS TARD.
— Anna
Message n° 157
(Anna Longman)
Sujet : Cendres, textes
Date : 18/11/00 16 : 18
De : Ngrant@
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Anna –
Très bien. J’accepte. Nous ne donnons pas l’alarme avant la première semaine de janvier. Bien sûr, si nous n’avons toujours pas obtenu de réponse d’ici là – c’est quand même dans sept semaines ! – je serai probablement devenu fou. Mais après tout, si je suis fou, je n’aurai plus beaucoup de raisons de me faire du souci, non ?
John Monkham vient de passer. Les photos du golem sont magnifiques, incroyables. Je regrette que vous ne puissiez ni les copier ni les garder : la sécurité obsède de plus en plus Isobel, au fur et à mesure que les heures passent. Je crois que si John n’était pas son fils, elle ne le laisserait pas les emporter loin du site.
J’ai eu une matinée pour peaufiner ma traduction. Le voici enfin, Anna. Le « Fraxinus », comme promis. Ou, du moins, la première partie. Désolé, je n’ai eu le temps de rédiger qu’un strict minimum de notes.
— Pierce
Message n° 163
(Anna Longman)
Sujet : Cendres
Date : 19/11/00 9 : 51
De : Ngrant@
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Anna –
Ça y est, J’AI TROUVE. J’ai la RÉPONSE.
J’avais raison : en général, l’explication la plus simple est la bonne. Nous compliquions trop les choses : en les compliquant sans raison ! C’est tout simple. Pas la peine de nous tracasser pour la théorie de Davies, quelle qu’elle soit ; pas la peine de s’inquiéter de ce que dit le catalogue de la British Library !
Je viens de m’en apercevoir à l’instant même : ce n’est pas parce qu’un document est CLASSE en fiction, mythe ou légende, QU’IL NE DIT PAS LA VÉRITÉ.
Aussi simple que ça !
C’est une réflexion que vient de me faire Isobel – j’étais bien obligé de lui dire que j’avais des problèmes, je lui ai parlé de la théorie de Vaughan Davies. Elle m’a simplement dit : « Pierce, c’est quoi, toutes ces bêtises ? » et ensuite, elle m’a remis en mémoire…
Heinrich Schliemann, l’archéologue (même si ses méthodes laissaient quelque peu à désirer), a découvert le site de la ville de Troie en 1871, en creusant exactement à l’endroit où Homère avait dit qu’elle se trouvait, dans L’Iliade.
Et L’Iliade n’est pas un « document historique », c’est un POÈME ! Avec des dieux, des déesses et toutes les licences artistiques de la fiction !
C’a été un véritable coup de tonnerre – je ne comprends toujours pas comment la reclassification des documents Cendres a pu m’échapper, mais, dans un sens très concret, ça n’a aucune importance. L’important, c’est que nous avons ici sur le site des preuves physiques qui montrent – QUOI QU’AIT PU EN PENSER je ne sais quel expert – que les chroniques du XVe siècle de Cendres contiennent bel et bien du vrai. Ils parlent de golems technologiques postromains, et nous les DÉCOUVRONS. On ne peut pas discuter devant l’évidence.
La vérité peut se transmettre jusqu’à nous par le biais de la FABLE.
Tout va bien, Anna. Ce qui va se passer, c’est que les bibliothèques et les universités vont simplement devoir reclasser les manuscrits Cendres parmi les documents historiques.
Et l’expédition d’Isobel et mon livre fourniront la preuve indiscutable de la raison qui les y oblige.
— Pierce