Chapitre 36

Alexandre stoppe le deux tons, retire le gyrophare. Pied au plancher, il s’engage enfin rue des Moulins. Il gare la voiture à quelques mètres de la maison, en descend aussitôt, son Sig-Sauer à la main.

Il traverse le jardin, grimpe rapidement les marches du perron. Discrètement, il teste la poignée de la porte d’entrée qui ne lui oppose aucune résistance. Dans le couloir obscur, il rase les murs. Une faible lueur provenant de la salle à manger lui permet de se diriger.

Progressant sans un bruit, il arrive au seuil de la grande pièce où une lampe d’appoint est allumée. Lorsqu’il voit la vaisselle cassée qui jonche le sol, sa tension monte d’un cran. Venant du 91, il a mis du temps à rejoindre le domicile de Cloé, malgré la sirène.

Peut-être qu’il arrive trop tard.

Avec une extrême prudence, il inspecte le reste de la maison. Personne dans la cuisine ni dans la chambre de Cloé. Idem pour la chambre d’amis.

Putain, mais où elle est ?

L’a-t-il kidnappée ? S’est-elle sauvée ?

Pas en voiture, en tout cas. Il a repéré la Mercedes dans la rue.

Revenant sur ses pas, il s’arrête devant la dernière porte. La salle de bains, fermée à clef.

— Cloé, vous êtes là ? chuchote-t-il.

En posant son oreille contre la porte, il perçoit des gémissements.

— Cloé ! C’est moi, Gomez. Ouvrez !

L’agresseur s’est peut-être enfermé là-dedans avec elle.

Alexandre file un coup d’épaule contre la porte, elle ne cède pas. Il entend alors un hurlement atroce de l’autre côté, s’acharne pour défoncer l’obstacle. Enfin, le verrou explose sous la pression et Gomez est projeté en avant, manquant de perdre l’équilibre.

— Cloé !

Elle est recroquevillée dans un angle, entre la baignoire et la vasque. Les mains collées aux oreilles, le front posé sur les genoux.

Il s’accroupit devant elle, saisit ses poignets, la force à relever la tête.

— Cloé ? Je suis là, tout va bien.

Elle est défigurée par les larmes et la terreur. Pupilles dilatées, lèvres tremblantes.

— Je suis là, répète-t-il doucement. Il n’y a personne d’autre, ici. J’ai inspecté toute la maison… Tout va bien, maintenant.

Il la serre contre lui, caresse ses cheveux. Elle respire fort, s’accroche à lui jusqu’à enfoncer ses ongles dans sa nuque.

— Calmez-vous, murmure-t-il. Dites-moi ce qui s’est passé…

Il l’aide à se relever mais elle s’effondre littéralement dans ses bras.

— Vous êtes blessée ? s’inquiète le commandant.

Elle sanglote, incapable de sortir le moindre mot. Alors, il la porte jusque sur le canapé, s’assoit à côté d’elle et attend patiemment qu’elle recouvre un semblant de calme.

Son regard effaré se cogne aux murs, au plafond, tel un oiseau pris au piège d’une cage exiguë. Alexandre l’observe avec angoisse, songe à appeler un médecin.

Puis, soudain, il comprend.

— Mais… vous êtes complètement défoncée !

Sur la table basse, les bouteilles vides, les boîtes de médicaments. Aucun doute.

Le visage de Gomez se transforme.

— Cloé, vous m’entendez ?

Elle ne répond toujours pas, comme si elle était ailleurs. En enfer, visiblement.

Mauvais trip.

Alexandre laisse retomber la pression. Après la peur d’être arrivé trop tard, c’est la colère qui germe dans ses entrailles.

— Eh ! Vous m’entendez ?… Non, vous êtes trop loin pour m’entendre !

Il la prend par les épaules, la secoue un peu fort.

— Allez, Cloé, regardez-moi ! Écoutez-moi, merde !

Il la force à s’asseoir, sa tête bascule sur le côté.

— Qu’est-ce que vous avez pris, exactement ?

Il renonce, elle retombe en arrière sur les coussins. Il va dans la cuisine, vole une bouteille d’eau dans le frigo. La faire revenir, le plus vite possible.

Lorsque Cloé reçoit la douche froide sur le crâne, elle se crispe de la tête aux pieds, pousse des cris de démente. Elle se débat, Gomez reçoit même un coup de poing dans la mâchoire.

— Va-t’en ! hurle-t-elle. Va-t’en !

Le commandant abandonne la lutte, s’écroule dans le fauteuil d’en face et allume une clope.

Cloé se recroqueville sur elle-même, tremblante comme une feuille. Elle continue à gémir des mots qui ne veulent pas dire grand-chose.

— Manquait plus que ça, soupire Gomez.

C’est un bruit qui le réveille.

Épuisé, Alexandre met quelques secondes à se souvenir qu’il n’est pas dans son fauteuil, près de Sophie. Parce qu’elle est morte. Et qu’il s’est endormi chez une autre femme.

Une cliente.

Il se lève, une douleur assassine lui barre le dos. Il pousse la porte entrouverte de la salle de bains, se désole du spectacle.

Cloé, à genoux face à la cuvette des toilettes. Prière ni catholique, ni orthodoxe.

— Ça va aller ? marmonne-t-il.

Lui qui n’a pas bu a pourtant l’impression de tenir la même gueule de bois. Elle se relève, tire la chasse et se rince la bouche. Le regard du flic l’insupporte.

— Je vais prendre une douche. Si vous voulez bien me laisser…

Alexandre migre vers la cuisine avec l’intention de préparer du café. Il bâille à s’en décrocher la mâchoire, s’asperge le visage et la nuque au robinet de l’évier.

Trois heures du matin. Sale nuit.

Il part à la recherche des tasses et du sucre. Il dispose le tout sur un plateau, ça lui rappelle quand il préparait le petit déjeuner à sa chère Sophie.

Quelques minutes plus tard, Cloé le rejoint dans le salon, vêtue d’un peignoir aussi blanc que son visage. Ses longs cheveux mouillés tombent lourdement sur ses épaules.

Ses yeux, explosés, tombent lourdement sur lui.

— J’ai fait du café. Et je vous conseille d’en boire.

— Merci, répond-elle de sa voix cassée. Merci d’être resté.

— Vous abandonner dans cet état aurait été de la non-assistance à personne en danger ! Comment vous vous sentez ?

— J’ai mal au cœur…

— Sans blague ?

Il sert le café, ajoute un sucre dans le sien.

— Vous m’avez fait des cachotteries, mademoiselle… Vous avez oublié de me dire que vous êtes alcoolique.

Cloé fixe ses pieds nus. Une honte foudroyante fait grimper en flèche sa température corporelle. L’impression que son visage se gonfle à l’hydrogène.

— Je ne le suis pas ! se défend-elle. Je… je ne l’étais pas, avant.

— Avant quoi ?

Elle trempe ses lèvres dans le café, fait une grimace. Il est bouillant.

— Avant qu’il transforme ma vie en cauchemar.

— Et votre solution c’est vous saouler la gueule ? Comme c’est intelligent !

Il n’aura aucune pitié, Cloé le sait. Il a dormi trois heures à peine, dans un fauteuil inconfortable, et il faut bien qu’il passe ses nerfs sur quelqu’un. C’est de bonne guerre.

— Je sais que ce n’est pas la solution, rétorque sèchement Cloé. Merci de me le rappeler, c’est très délicat de votre part.

— La délicatesse n’est pas mon fort. Et à part l’alcool, vous avez pris quoi d’autre ?

— Rien du tout.

— Pas de ça avec moi ! ordonne le commandant. Quand je suis arrivé hier soir, vous n’aviez pas simplement bu. Ne me prenez pas pour un con, OK ? Vous aviez pris de la came.

— Mais non ! gémit Cloé.

Un mal de tête sournois est en train de prendre le pas sur la nausée. Chaque parole du flic s’enfonce tel un javelot incandescent dans son pauvre crâne.

— Cocaïne ? Crack ? Cristal ? Speed ball ?… Fumette ou injection ?

— Rien de tout cela, s’épuise Cloé. Je ne sais même pas de quoi vous me parlez.

— Impossible, s’entête Alexandre. L’alcool seul ne met pas dans ce genre d’état.

Elle ferme les yeux, renverse sa tête en arrière. Elle est si fatiguée… Et doit désormais subir un véritable interrogatoire.

— Je vous répète que j’ai seulement bu, murmure-t-elle. Je n’ai même pas dîné… J’ai pris mes médicaments, c’est tout.

— Quels médocs ?

— Des calmants que m’a prescrits le toubib.

Gomez laisse échapper un petit rire.

— Des calmants ? Alors là, je peux jurer sur la Bible que vous avez pris tout, sauf des calmants ! Vous feriez mieux de me dire la vérité, mademoiselle Beauchamp. Sinon, la prochaine fois que vous m’appelez, je ne me donnerai pas la peine de venir.

Cloé prend une longue inspiration et parvient à soutenir le regard du flic.

— J’ai avalé deux verres de Martini-gin et la bouteille de croze-ermitage, dit-elle en articulant chaque syllabe. Ensuite, j’ai pris trois calmants et une gélule d’Ysorine.

— C’est quoi, ce machin ?

— Un truc pour le cœur.

— Vous êtes malade du cœur ?

— Tachycardie de Bouveret. Rien de grave, il paraît.

— Alors, que s’est-il passé, hier soir ?

— J’ai revu Bertrand. Je pensais que… J’ai cru qu’on avait encore une chance, mais…

Alexandre a un léger mouvement d’agacement. Il est flic, pas conseiller conjugal. Et sa cliente commence sérieusement à lui taper sur les nerfs.

— Mais il vous a fait comprendre que c’était définitivement fini, c’est ça ? Alors, pour oublier, vous avez descendu la moitié des bouteilles ici présentes et fumé je ne sais quelle merde…

Elle n’a pas encore la force de s’énerver, pourtant elle le jetterait volontiers dehors. Sauf qu’il est son seul recours. Et qu’elle ne l’oublie pas.

— Je viens de vous dire que je n’ai bu que du vin et…

— Arrêtez de vous foutre de ma gueule, mademoiselle Beauchamp ! Quand je vous ai trouvée, vous étiez hallucinée ! Impossible à calmer… Vous disiez n’importe quoi, vous m’avez même collé un pain !

— Ne hurlez pas, supplie Cloé. Vous pouvez fouiller la maison si vous voulez. Vous ne trouverez pas de drogue ici. Il n’y en a pas et il n’y en a jamais eu. Mais je peux difficilement vous le prouver, c’est sûr. Je pense que c’est l’alcool et les médicaments qui ne font pas bon ménage.

Gomez sourit un peu nerveusement.

— Admettons. Alors, pourquoi m’avoir appelé hier soir ? Ce n’était pas pour vous consoler du départ de votre mec, j’espère ? Parce que je ne rends pas ce genre de services.

De plus en plus humiliée, Cloé ne se rebiffe pourtant pas. La peur de se retrouver seule est trop forte. Il pourrait l’insulter, ça n’y changerait rien.

— J’étais là, sur le canapé, presque endormie. Et brusquement, j’ai entendu qu’on ouvrait la porte d’entrée… Parce qu’elle était verrouillée, vous savez. Mais j’ai entendu une clef tourner dans la serrure. J’ai cru que j’allais faire une crise cardiaque ! Je me suis réfugiée dans la salle de bains et je l’ai entendu marcher dans le couloir. Par chance, j’avais le portable dans ma poche, alors je vous ai appelé. Il a tenté d’ouvrir la porte de la salle de bains, j’ai hurlé que je venais d’appeler la police. Il… il m’a dit qu’il reviendrait, que ce n’était que partie remise.

— Il vous a parlé ? s’étonne Gomez.

— Oui. Je reviendrai, mon ange… Ce n’est que partie remise.

Mon ange ?… Vous avez reconnu sa voix ?

Cloé fait non d’un signe de la tête.

— Elle était bizarre, comme étouffée. Ensuite, je n’ai plus rien entendu, jusqu’à ce que vous arriviez. Voilà.

— Passionnant ! ricane Alexandre en terminant son café.

— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle ! balance Cloé d’un air mauvais.

— Non, rien de drôle, bien sûr… Après, vous avez vu une bande d’horribles petits lutins verts qui sortaient des chiottes, non ?

Cloé ne répond pas, se contente de le fusiller du regard.

— Faut pas jouer avec moi, mademoiselle Beauchamp, prévient Alexandre.

— Il est venu, je vous dis. Et parti avant que vous arriviez.

— Maintenant que je sais que vous êtes une junkie alcoolique, j’ai tendance à ne plus vous croire… Curieux, non ?

— Dans ce cas, partez. Sortez de chez moi.

Il s’enfonce dans le fauteuil, la fixe de ses yeux inquisiteurs.

— Vous n’avez qu’une peur : que je vous obéisse. Je me trompe ?

Elle fixe le mur, croise les bras.

— Au point où j’en suis, ça m’est égal. Il n’a qu’à venir m’égorger.

— Vous égorger ? À mon avis, c’est autre chose qu’il a envie de faire avec vous, s’amuse Alexandre.

Cloé sent l’effroi glacer sa peau encore humide.

— Vous avez fait changer les verrous ?

Elle essaie de recouvrer son calme avant de répondre.

— Le serrurier vient lundi en fin d’après-midi.

— Parfait.

— Je croyais que c’était juste un horrible petit lutin vert !

Gomez se ressert un café, y ajoute cette fois deux sucres.

— On ne se méfie pas assez des lutins, je vous assure. Surtout quand ils sont verts. De vraies teignes.

— Si vous ne me prenez pas au sérieux, je ne vois pas ce que vous faites là, soupire Cloé.

— J’ai passé ma journée à enquêter, révèle-t-il. Si je ne vous prenais pas au sérieux, croyez-vous que je perdrais ainsi mon temps ?

Elle hausse les épaules, à court de répliques.

— La seule chose que j’essaie de vous faire entrer dans le crâne, c’est que boire vous rend plus vulnérable. Et qu’il faut arrêter. Ça, et la came.

— Je ne prends pas de came, merde ! hurle Cloé. Vous me faites chier à la fin.

Il est surpris de l’entendre ainsi hausser le ton.

— Restez polie. Je vous rappelle que vous parlez à un officier de police. OK, vous êtes clean, pas de drogue, je veux bien vous croire. Mais des médicaments qui, mélangés à l’alcool, vous mettent dans le même état qu’un fixe de coke. Alors, plus d’alcool, d’accord ?

— D’accord… Je peux savoir ce qu’a donné votre journée d’enquête ?

— J’ai interrogé vos voisins mais aucun d’entre eux n’a vu un homme rôder dans les parages.

— Qu’avez-vous trouvé comme prétexte ?

— Je leur ai dit qu’il y avait eu une tentative d’effraction chez vous… Ensuite, je suis allé rendre visite à votre femme de ménage. Elle m’a montré où elle range les trousseaux de clefs de ses employeurs. Un placard fermé, rien à redire. Et son mari mesure 1,74 mètre.

— Vous lui avez demandé la taille de son mari ? s’étonne Cloé.

— Vous m’avez bien dit que ce type est grand, non ? Le mari de Fabienne est l’un des seuls à avoir accès aux clefs. Alors j’ai voulu savoir. Mais je suppose que par grand vous entendez plus de 1,80 mètre, non ?

— Oui.

— Bien… D’autre part, je me suis renseigné sur votre ex-mari. Et on peut l’éliminer de la liste des suspects. Parce qu’il est à nouveau à l’ombre. Devinez pour quel motif ?

— Violences conjugales, tente Cloé.

— Raté !… Il a tabassé un mec dans la rue. Bon, je vais aller me pieuter, maintenant.

— Vous pouvez aller dans ma chambre, propose Cloé.

Il la regarde, ébahi.

— Pardon ?

— Si vous avez sommeil, vous pouvez prendre ma chambre. Moi, je vais rester là.

— Mademoiselle Beauchamp, je ne vais pas m’installer chez vous. Je vous le répète, je suis flic, pas garde du corps. Je ne suis pas affecté à votre protection rapprochée…

— Il pourrait revenir.

— Non, c’est peu probable et je ne peux pas passer ma vie ici. Alors, vous allez sagement vous coucher et vous gardez votre portable avec vous, OK ?

Elle lui adresse un regard suppliant, il songe soudain à la locataire perpétuelle du cimetière central, allée 14.

— J’ai un train à prendre demain matin et…

Il lève les yeux au ciel.

— OK, c’est bon, je vais rester.

— Merci, commandant. La chambre est…

— Je sais où est votre chambre. J’ai visité toute la maison hier soir, en cherchant l’homme invisible. Mais je crois que vous avez plus besoin d’un lit que moi. Vous avez vraiment une sale gueule !

— Merci, c’est gentil.

— Je vous en prie. Moi je vais prendre le canapé, comme le bon chien de garde que je suis.

Quand il a les yeux fermés, c’est plus facile de le regarder.

Alors Cloé l’observe, à sa guise. Sans son sourire cynique et son regard de malade mental, il a un visage agréable, resté jeune malgré les marques de fatigue. Des bras puissants terminés par de belles mains que Cloé a soudain envie de prendre dans les siennes.

Il s’est endormi sur le divan, dans une drôle de position.

Pour ne pas l’indisposer – ou ne pas montrer à quel point elle est terrorisée – elle lui a laissé le temps de s’assoupir avant de le rejoindre ici. Car elle, bien sûr, n’a pu trouver le sommeil.

Elle a l’impression d’avoir avalé des litres et des litres de café sucré aux amphétamines. Des semaines qu’elle ne sait plus ce que dormir veut dire. Sauf quand elle avale une dose massive de calmants. Pourtant, Alexandre est là. Enfin en sécurité, elle pourrait fermer les yeux, s’octroyer un repos bien mérité. Mais elle n’y parvient pas.

N’y parvient plus.

Combien de temps peut-on vivre sans dormir ? Quand on a le cœur qui bat déjà beaucoup trop vite ?

Elle a profité que Gomez soit inconscient pour planquer le P38 qui avait glissé derrière le canapé. Qu’il ne s’aperçoive pas qu’elle l’a rechargé et le lui confisque. Car elle n’imagine pas une seule seconde qu’il la place en garde à vue. Maintenant qu’ils se connaissent…

Sur la pointe des pieds, elle se rend dans la cuisine et avale un demi-litre d’eau. Cette soif, tenace, qui ne la quitte pas.

En jetant un œil par la fenêtre, Cloé découvre que l’aube ne tardera plus. Puis elle revient près du flic endormi qui n’a pas bougé d’un millimètre. Ses yeux se posent à nouveau sur lui, le détaillant à l’infini. Pourtant, c’est à Bertrand qu’elle pense. En continu.

Ce salaud, cet infâme salaud.

Elle ferait tout pour qu’il lui revienne. Oui, elle est droguée. Oui, elle est en manque.

— Pourquoi vous n’êtes pas dans votre chambre ?

Elle a un léger sursaut. Les yeux de fou se sont ouverts dans la pénombre.

— J’arrive pas à dormir, chuchote Cloé.

— Pour dormir, vaut mieux aller dans un plumard.

— J’ai essayé.

— Essayez encore, grogne le flic en lui tournant le dos.

— Je vous dérange ?

— Ça me fait bizarre de sentir que vous me fixez comme ça… Je vous plais ou quoi ?

— Je suis insomniaque depuis que j’ai ces problèmes. Et je n’arrête pas de penser à Bertrand.

Il se tourne à nouveau face à elle, pousse un long soupir.

— Oubliez-le.

— J’y arrive pas.

— Vous êtes accro, on dirait… Vous êtes restés longtemps ensemble ?

— Six mois.

Il songe aux dix-huit années partagées avec Sophie. Tellement courtes, tellement fortes.

— C’est pas grand-chose dans une vie, dit-il.

— Peu importe. Ce n’est pas ça qui compte.

— Peut-être… Qu’est-ce qu’il vous a dit, hier soir ?

— Qu’il avait rendez-vous avec une autre femme.

— Un vrai gentleman ! Et vous avez envie de lui arracher les yeux, non ?

— À qui ? À elle ou à lui ?

— Les deux, mon capitaine !… La meilleure façon de vous venger, c’est de vous trouver un autre mec.

— Je n’ai pas envie de me venger. J’ai envie qu’il revienne.

Alexandre s’assoit, ayant perdu tout espoir de se rendormir. Il passe une main dans ses cheveux, retient un bâillement.

— J’y crois pas ! dit-il en secouant la tête. Je suis là, à 6 heures du mat’, à écouter une inconnue qui a la gueule de bois, me raconter ses déboires sentimentaux ! Je dois faire un cauchemar, pas possible autrement !

— Vous voulez un bon petit déjeuner ? sourit Cloé.

— Je crois que je l’ai mérité, en effet.

— À quelle heure est votre train ?

— Neuf heures trente-deux. Gare de Lyon.

— Vous partez en week-end dans le Sud ?

— Je pars une journée dans la région de Lyon. Pour enquêter sur votre mystérieux lutin vert.

— Vous avez une piste ?

— Aucune. J’ai choisi d’aller à Lyon complètement par hasard. C’est sympa comme endroit, non ?

Elle lève les yeux au ciel.

— Pourquoi vous ne me dites pas ?

— Quand je l’aurai chopé, je vous le dirai, promet Alexandre. Alors, ce petit déjeuner ?

— C’est comme si c’était fait, dit Cloé en se levant.

Dès qu’elle a quitté la pièce, Alexandre se rallonge sur le sofa et ferme les yeux. Elle ressemble vraiment à Sophie. C’est frappant, presque effrayant. Chaque fois qu’il la regarde, il a un saignement au niveau du cœur.

Pourtant, s’il le pouvait, il passerait le temps qu’il lui reste à vivre à la regarder.

Juste Une Ombre
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