Chapitre 15

Plus que quelques kilomètres et Cloé sera chez elle. Plus qu’une heure et demie et Bertrand la serrera dans ses bras. Il doit passer la chercher à 20 heures pour l’emmener dîner au restaurant.

Le manque de lui devient dangereux. Mais elle n’a pas la force, ni même l’envie, de résister à cette attraction. Tant pis pour l’éventuel prix à payer.

Car il y a forcément un prix à payer.

Dans les embouteillages, Cloé réfléchit. Elle a cherché une bonne partie de l’après-midi, mais le nom sur le Post-it n’est pas celui d’un client de la boîte.

C’est lui, j’en suis sûre. C’est Martins. Je ne sais pas comment, mais il est au courant que Pardieu va me faire nommer directrice et cherche à se débarrasser de moi. Et maintenant, il sait que j’ai des doutes sur lui. Ça peut le calmer ou…

La Mercedes quitte enfin l’autoroute pour entrer en ville. Circulation particulièrement dense, ce soir. Alors, Cloé décide d’emprunter l’itinéraire bis, par les bords de Marne. Plus long, mais plus dégagé. Enfin, elle peut enclencher la vitesse supérieure.

Une voiture vient soudain se coller derrière la sienne, Cloé est douloureusement éblouie.

— Tes phares, abruti ! vocifère-t-elle en abaissant le rétroviseur intérieur.

Le feu passe au rouge, elle s’arrête. Les phares sont toujours derrière.

— Quel con, ce mec !

Elle redémarre, tourne à droite pour s’engager dans un raccourci, dédale de petites rues bordées de pavillons. Les phares la suivent.

Cloé commence à transpirer. Sueurs froides qui coulent le long de sa nuque.

C’est lui. Aucun doute.

Elle accélère, lui aussi.

Elle tourne à gauche, lui aussi.

— Merde ! Merde…

Elle est tellement éblouie qu’elle ne parvient pas à distinguer la marque ou la couleur de la voiture. La seule chose qu’elle devine, c’est qu’il s’agit d’un 4 × 4 ou d’un fourgon, vu la hauteur des feux.

Le dessin sur le capot, la nuit dernière… Façon de l’avertir que sa voiture va se transformer en cercueil ?

— Reste calme ! murmure-t-elle. Reste calme…

Elle freine brusquement, stoppe la berline sur le bas-côté. Prête à redémarrer. Avec l’espoir que l’autre va la doubler et disparaître. Mais bien sûr, il s’arrête un mètre derrière elle.

Cloé vérifie que les portières sont verrouillées, attrape le portable dans son sac.

Appeler les flics. Vite.

Un choc la projette en avant, le téléphone lui échappe des mains. Son poursuivant vient de coller le pare-chocs de sa voiture contre celui de la Mercedes. Cloé cherche son téléphone, ne parvient pas à mettre la main dessus. Il accélère, la Mercedes se met à avancer même si Cloé garde le pied sur la pédale de frein.

Elle passe la première, repart en trombe. Ses mains tremblent.

L’autre voiture la rejoint bien vite.

Totalement paniquée, Cloé ne sait plus où elle va. Elle tourne à gauche, dépasse un panneau sans le voir.

Voie sans issue.

Il est figé au pied du lit.

Debout. Sans réaction. Aussi inerte qu’elle.

Sauf que lui respire encore.

Et c’est peut-être ça qui fait le plus mal.

Toutes ces années qui restent.

À respirer sans elle.

Coup de frein brutal.

Cul-de-sac.

Derrière, les phares se rapprochent dangereusement, mais lentement.

Cloé ne sait plus. Tout va trop vite dans sa tête, la frayeur enraye son cerveau.

Abandonner la voiture, sauter par-dessus une clôture pour se réfugier chez quelqu’un ? Ou attendre ?

Descendre, c’est prendre le risque de quitter son abri. Attendre, c’est prendre le risque qu’il vienne la chercher.

Elle tente encore de récupérer son portable, mais il a glissé sous le siège. Pour l’attraper, il faudrait qu’elle sorte de la voiture.

En se redressant, elle constate que l’autre véhicule s’est arrêté une dizaine de mètres derrière.

Il va venir. L’embarquer de force dans sa bagnole. La rouer de coups, la tuer. Ou pire encore.

Son cœur semble prêt à crever sa poitrine pour aller s’écraser contre le pare-brise.

La portière s’ouvre, il descend. Les yeux braqués dans le rétroviseur, Cloé retient sa respiration. Que va-t-il faire ?

Elle ne voit pas grand-chose, à cause des phares.

Juste une ombre.

Un homme, sans doute. Grand, vêtements sombres, tête couverte. Qui avance vers elle.

Faire le bon choix. Vite.

Cloé appuie alors sur le klaxon, garde la main plaquée dessus. L’Ombre s’immobilise.

Une lumière s’allume enfin dans le jardin d’en face, un homme apparaît sur le seuil de sa porte. Son voisin l’imite quelques secondes plus tard.

Cloé klaxonne toujours.

— Allez, sortez de chez vous ! hurle-t-elle. Venez m’aider !

L’inconnu remonte dans sa voiture. Une marche arrière et il disparaît.

Cloé enlève sa main de l’avertisseur. Elle reprend sa respiration avant de fondre en larmes.

Les riverains rentrent chez eux, enfin tranquilles.

Cloé est assise sur le canapé. Mains jointes entre ses cuisses, visage tendu à l’extrême, léger mouvement de la jambe droite. Bertrand l’observe, debout près de la fenêtre.

— Ça va mieux ?

Elle fait non, d’un signe de tête.

— Puisque tu ne veux pas aller au resto, je vais te préparer un truc à manger, propose-t-il.

— Non… Il n’y a plus rien dans le frigo. J’ai pas eu le temps de… Je n’ai pas faim de toute façon.

Bertrand s’agenouille face à elle, attrape ses mains. Glacées.

— Essaie de te détendre.

— Il veut me tuer !

Elle plonge ses yeux fatigués dans les siens, y cherchant un réconfort qui ne vient pas.

— Ne dis pas ça ! C’est un mauvais plaisantin, assure Bertrand. Quelqu’un qui a seulement voulu te foutre la trouille… Et c’est réussi.

Cloé retient ses larmes, Bertrand la serre contre lui.

— Calme-toi, ma puce. C’est peut-être un mec à qui tu as fait une queue de poisson et qui a voulu se venger. Ou alors qui a vu une belle nana et a eu envie de s’amuser un peu.

— C’était lui ! hurle Cloé.

— Il faisait nuit, je ne vois pas comment tu peux être aussi sûre de toi. Comment tu peux reconnaître quelqu’un que tu n’as jamais vu vraiment…

Elle sait. Que c’était le même homme. Que ce n’est pas un plaisantin. Pourtant, elle ne trouve pas les mots pour convaincre Bertrand. Alors, elle cesse de s’acharner et continue à sangloter dans ses bras.

Juste Une Ombre
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