Chapitre 2
Il ne fait pas encore jour, plus vraiment nuit. Et puis ses yeux se sont habitués.
Il la contemple. Profondément assoupie. Sur le ventre, un bras sous l’oreiller, une jambe repliée.
Belle. Davantage encore lorsqu’elle dort.
Sans défense. C’est comme ça qu’il la préfère, qu’il la désire.
Elle a remisé son arsenal de guerrière des temps modernes. Plus de batteries de missiles au fond des yeux, de flingue à la ceinture, de griffes au bout des doigts.
Juste une femme, fragile et désarmée. Comme ça qu’il la veut.
Ça ne fait pas longtemps qu’il l’a rencontrée. Quelques mois, à peine.
Un peu plus longtemps qu’il l’avait repérée.
Seule, parce que traumatisée par son ex-mari.
Seule, parce que trop occupée à gérer sa carrière pour trouver l’âme sœur.
Ravissante mais tellement effrayante pour la plupart des hommes.
Pas pour lui. Dompteur de fauves est le métier qu’il rêvait d’exercer quand il était môme. Alors, il aime les lionnes, les tigresses… Cloé en est une. Qui cache ses faiblesses sous une armure quasiment parfaite.
Impénétrable, indestructible ? Rien ni personne ne l’est.
Failles invisibles à l’œil nu. Mais avec le bon objectif, le bon angle de vue, on peut tout déceler. Et lui, il a vu. Immédiatement. Comment l’approcher, la ferrer. La mettre dans son lit.
Il continue à l’observer ; sa peau laiteuse illumine l’obscurité. Ses cheveux longs, d’un châtain clair aux reflets roux, cachent son visage tourné vers lui.
Bertrand décide de la réveiller. En douceur. Elle ouvre les yeux, arrachée au sommeil par une caresse sur son épaule, son dos.
— Pardonne-moi, murmure Bertrand. Tu avais l’air de faire un cauchemar.
Un cauchemar, oui. Toujours le même, depuis si longtemps.
Un hurlement terrifiant, un corps qui tombe dans le vide et s’écrase à ses pieds.
Cloé se réfugie dans les bras de Bertrand, si rassurant.
— J’ai crié ? suppose-t-elle. C’est moi qui t’ai réveillé ?
— Non, je ne dormais plus.
— Il est encore tôt, non ?
— Oui, mais… j’ai cru entendre du bruit.
Elle se contracte, il sourit à la nuit. Sa respiration s’est accélérée, il sent même son cœur battre contre sa peau. Un délice.
— Ça venait de derrière la maison… J’ai sûrement rêvé !
Cloé s’assoit dans le lit, remontant le drap sur son corps frappé d’effroi.
— Il est là, murmure-t-elle.
— Qui ?… Mais non, il n’y a personne ! s’amuse Bertrand. Je n’aurais pas dû te dire ça, je suis vraiment trop con.
Cloé pose une main sur l’interrupteur de la lampe de chevet. Elle hésite. L’impression que la lumière, tel un bain d’argent, va révéler sa présence au pied du lit.
— Il est là, murmure-t-elle encore.
Sa voix est glacée, son front bouillant.
— Calme-toi. Il n’y a personne, je te dis. J’ai rêvé, c’est tout. C’est peut-être le vent.
— Il n’y a pas de vent. Il est là !
— Mais de qui tu parles ?
— Du type que j’ai vu dans le jardin hier ! Il m’a suivie dans la rue… Appelle les flics !
Bertrand allume la lumière, Cloé ferme les yeux.
— Calme-toi, je t’en prie… Je vais fouiller la maison, histoire de te tranquilliser.
Elle rouvre les paupières, la chambre est vide. Elle regarde Bertrand enfiler son jean, ne peut s’empêcher de le trouver aussi beau qu’héroïque. Heureusement qu’il est là pour veiller sur elle.
— N’y va pas les mains vides, supplie-t-elle. Prends une arme !
Il sourit, un peu moqueur.
— T’as un calibre sous l’oreiller, bébé ?
Elle se rue sur l’armoire, en extirpe quelque chose et le lui tend. Il écarquille les yeux.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
— C’est… C’est un parapluie.
Il éclate de rire, la repousse gentiment.
— Je vois bien que c’est un parapluie ! Laisse-moi faire, ça vaut mieux.
Il commence par tirer les rideaux et scruter le jardin à l’arrière de la maison. Puis il s’engage dans le couloir menant au salon. N’ayant pas très envie de rester seule dans la chambre, Cloé décide de le suivre.
L’une après l’autre, pièce après pièce, Bertrand allume les lumières. Vérifie les placards, inspecte chaque recoin, jette un œil dans l’autre partie du jardin.
— Tu vois, dit-il enfin, il n’y a personne d’autre que nous, ici.
Cloé ne semble pas convaincue.
— Je suis vraiment désolé, ajoute-t-il en la prenant dans ses bras, c’est ma faute. J’aurais mieux fait de me taire… C’est quoi cette histoire de type qui t’a suivie dans la rue ?
— C’est quand je suis sortie de cette soirée. J’étais garée loin et… Un homme m’a suivie, je me suis mise à courir pour le semer. Mais il m’attendait à ma voiture.
— Il t’a… ?
— Non. Il n’a rien dit, rien fait. Au bout d’un moment, il est parti.
— Curieux, souligne Bertrand. Mais tu n’aurais pas dû rejoindre ta voiture seule, c’est vraiment imprudent !
Il semble en colère, Cloé pose le front contre son épaule.
— Y avait pas de mec à cette soirée capable de te raccompagner jusqu’à ta bagnole ? Tu te rends compte ? Heureusement qu’il n’a rien tenté !
— Oui… Hier soir, il m’a semblé que c’était lui qui rôdait.
— Je crois que c’est la trouille que tu as eue la veille qui te file des hallucinations.
— C’est ce que dit Carole aussi.
— Si je comprends bien, tu as raconté ça à Carole et pas à moi, hein ?
— Je voulais pas t’emmerder, se justifie piètrement Cloé.
— M’emmerder ? C’est la meilleure !
Il prend son visage entre ses mains, la fixe droit dans les yeux.
— Tu as confiance en moi, oui ou non ?… Alors, tu dois me dire ce genre de choses, d’accord ?
— D’accord.
Enfin, il sourit. Un si joli sourire. Qui panse les plaies, efface les cauchemars.
Il l’embrasse, la pousse lentement contre le mur.
— J’ai plus sommeil, murmure-t-il. Et toi ?
— Moi non plus ! J’ai tellement de chance de t’avoir rencontré, ajoute-t-elle tandis qu’il aventure ses mains sous le peignoir.
— Non, c’est moi qui suis un sacré veinard !
Elle rigole doucement, le peignoir coule sur le parquet.
Un sacré veinard, oui.