CHAPITRE XIX

Afin de retrouver l’origine de l’arsenal dont disposaient les Anciens, Qui-Gon décida de commencer son enquête à l’endroit le plus évident : l’entrepôt qui servait à stocker les armes confisquées. Nield devait avoir pioché dedans avant la confrontation. Mais les Anciens, comment avaient-ils pu y avoir accès ?

Ils marchèrent vers le hangar, silencieux. Le silence… C’était tout ce qu’ils semblaient partager désormais, réalisa Qui-Gon. Et pas celui de deux compagnons qui ne ressentent aucunement le besoin de meubler le vide. Il perçut les émotions qu’Obi-Wan cherchait tant à cacher. En tout premier lieu, l’espoir du pardon de Qui-Gon.

Or, il n’avait pas à s’inquiéter.

Bien sûr que Qui-Gon lui avait pardonné. Il ne savait trop quand – lorsqu’il l’avait entendu annoncer la mort de Cerasi, ou quand son ancien Padawan l’avait accueilli aux portes de la ville d’un air plein d’espoir. Peut-être son pardon avait-il été plus progressif que cela, mais il était là, dans son cœur, et il le savait.

Qui-Gon ne pensait pas être quelqu’un de sévère. Obi-Wan avait fait un choix impulsif dans des circonstances particulières, un choix qu’il avait fini par regretter. Voilà qui faisait partie du processus qui le mènerait à l’âge adulte.

Mais cela n’était plus l’essentiel. Qui-Gon était déjà passé au stade suivant. Si Obi-Wan le lui demandait, le reprendrait-il ? Il en doutait fort.

Cependant, en un sursaut d’honnêteté, Qui-Gon se dit qu’il pouvait toujours changer d’avis. Cela ne serait pas la première fois. Ainsi, mieux valait attendre et ne rien dire. Obi-Wan devait supporter les conséquences de sa décision. L’incertitude en faisait partie.

L’entrepôt était désert. La porte était scellée par un énorme verrou. Qui-Gon le découpa au sabre laser et poussa le battant. Un garçon et une fille discutaient, assis à même le sol dans l’immense espace vide. Ils levèrent les yeux, surpris, lorsque Qui-Gon entra. Il reconnut Deila, une des Jeunes, mais pas ce garçon trapu au visage rond.

En voyant Obi-Wan, Deila s’empressa de se lever. Elle semblait gênée, ne sachant pas si elle devait présenter ses respects à Obi-Wan, bien qu’il ne soit plus son chef ? Elle prit la chaise du gardien et s’assit. Le garçon tenta vaguement de se lever, mais Deila, d’un regard, lui intima l’ordre de ne pas bouger.

Qui-Gon vit Obi-Wan virer à l’écarlate. Jadis ces deux-là étaient ses amis. Mais Nield les avait divisés en deux camps et, maintenant, ils étaient de son côté. Qui-Gon se demanda quelle était l’étendue de leur loyauté. Pourquoi étaient-ils là, dans un entrepôt vide, derrière une porte bouclée à double tour ? Ils devaient être passés par une fenêtre. Pourquoi se cachaient-ils ainsi ?

— Bonjour, Deila, fit Qui-Gon d’un ton amical. Content de te revoir.

Deila salua Qui-Gon d’un hochement de tête.

— Je ne vous savais pas de retour sur Melida/ Daan.

— Certaines factions ont demandé l’arbitrage des Jedi, répondit Qui-Gon. Je suis là pour vous aider.

Deila jeta un coup d’œil à Obi-Wan.

— Je crois savoir quelle faction.

— Beaucoup d’habitants de Melida/Daan veulent la paix, dit Obi-Wan. Il y eut un temps où tu en faisais partie.

Deila rougit.

— La paix est et reste notre principal objectif. Que voulez-vous ?

— Des réponses à nos questions, rien de plus, répondit Qui-Gon.

— Je ne peux rien vous dire.

— Je ne vous ai pas encore posé la moindre question.

— Nous cherchons à savoir comment les Jeunes et les Anciens ont pu se réarmer, dit Obi-Wan. Comment et grâce à qui ? De toute évidence, on a vidé cet entrepôt. (Il se tourna vers le garçon.) Et toi, Joli ? Raconte-moi tout.

— Ne lui dis rien, fit Deila d’un ton cassant. Nous n’avons pas de comptes à rendre à un étranger.

Qui-Gon se rapprocha et fixa Deila de son regard d’un bleu perçant. Il pouvait toujours en appeler à la Force pour influencer cette fille, mais il préférait qu’elle se laisse guider par ses propres émotions. Il sentit son malaise. Et aussi le respect qu’elle éprouvait pour Obi-Wan.

— Comme vous le savez, reprit Qui-Gon, Obi-Wan a combattu au nom de Melida/Daan. Il a risqué sa vie pour abattre les tours de déflection. Il a combattu à vos côtés durant ce conflit. Nield, Cerasi et lui ont défini les plans qui vous ont permis de gagner la guerre. Et après l’avoir gagnée, il a de nouveau risqué sa vie. C’est peut-être un étranger, mais il a tout fait pour sauver votre monde. Même actuellement, il court d’autres dangers en restant ici, parce qu’il croit pouvoir vous aider. Alors pourquoi lui manquez-vous de respect ?

Malgré ses fanfaronnades, Deila ne put supporter le regard de Qui-Gon et marmonna d’une voix de petite fille :

— Je ne sais pas.

— Lorsqu’on ne sait pas en quoi croire, on préfère se fier à ce que pensent les autres. Es-tu sûre que Nield dise forcément la vérité ?

Deila jeta un coup d’œil à Joli. Peut-être Qui-Gon venait-il d’aborder un sujet dont ils avaient déjà discuté. Joli acquiesça.

— Non, marmonna-t-elle.

— En ce cas, répondras-tu à ma question ? Ainsi, tu aideras la cause pacifiste.

Deila se tourna vers Obi-Wan et se mordit la lèvre.

— Bien sûr que je veux servir cette cause.

Qui-Gon fit un signe à Obi-Wan.

— Où sont les armes ?

— Mawat les a emportées, répondit-elle. Il voulait les mettre là où elles seraient en sécurité. Je n’en sais pas plus.

— Les a-t-il remises à Nield et aux Jeunes ? demanda Obi-Wan.

Deila jeta un regard en direction de Joli avant de répondre.

— Il a entendu dire que les Anciens avaient refait leur arsenal. Nield lui en a donné l’autorisation. Que pouvais-je faire ? Nield est le Gouverneur.

Donc, Mawat n’avait eu qu’à se servir. Il savait qu’Obi-Wan s’opposerait à la réouverture de l’arsenal. Mais comment les Anciens avaient-ils pu se réarmer, eux aussi ?

Joli était rouge comme une écrevisse. Il se tourna vers Deila d’un air nerveux.

— Je crois qu’on ferait mieux de tout leur dire, fit-il.

— Tais-toi, Joli ! rétorqua Deila.

— Je ne veux pas que la guerre reprenne ! s’écria le garçon. Et toi non plus, tu me l’as dit ! C’est bien pour ça que nous nous terrons ici, non ?

— Que veux-tu dire, Joli ? demanda Qui-Gon.

— Ce jour-là, Mawat a aussi armé les Anciens.

— Mawat ? fit Obi-Wan, scandalisé. Mais pourquoi ?

— Parce qu’il voulait une confrontation, affirma Qui-Gon. C’est bien ça. Joli ?

Il acquiesça.

— Si celle-ci dégénérait en bataille rangée, Nield en serait tenu responsable. Mawat voulait absolument relancer le conflit. Il… il a même posté des tireurs d’élite sur les toits. Comme ça, si Nield et Wehutti reculaient, il avait les moyens de déclencher l’affrontement. Pour parvenir à ses fins, il fallait que la rencontre tourne mal.

— Afin qu’il puisse prendre le pouvoir, suggéra Qui-Gon.

Joli s’adossa à un mur comme si toutes ses forces l’abandonnaient.

— Nield est trop faible à son goût. Et maintenant, il a prévu une autre attaque.

— Aujourd’hui ? intervint Obi-Wan. C’est pour ça que vous vous cachez ?

Deila se mordit la lèvre :

— Il a voulu nous recruter pour son armée. Nous avons préféré rester à l’écart. Nous ne voulons pas combattre. Surtout maintenant que Nield se terre, Dieu sait où. Mawat se prépare à frapper un grand coup, mais nous n’en savons pas plus. Il agit à son compte. Il voulait que je pose des explosifs. Mais il n’a pas l’autorité nécessaire pour déclarer la guerre aux Anciens !

— Pour moi, Mawat et Nield sont aussi fous l’un que l’autre, dit Joli. Nous avions réussi à pacifier notre monde. Pourquoi ne peuvent-ils s’en contenter ?

— C’est une bonne question, Joli, répondit Qui-Gon. Si seulement toutes les planètes de la galaxie pouvaient y répondre.

— Donc, c’est un des tueurs d’élite de Mawat qui a abattu Cerasi, dit Obi-Wan, encore sous le choc. C’est à cause de lui qu’elle est morte. Et le pire, c’est qu’il aimait Cerasi, lui aussi.

— Le plus important, reprit Qui-Gon alors qu’ils regagnaient la rue, c’est de savoir que Nield est innocent. Il faut le lui dire, et qu’il apprenne la trahison de Mawat. Sais-tu où nous pouvons le trouver ?

Obi-Wan y réfléchit un instant.

— Il y a une douzaine de possibilités. Les tunnels. Le parc…

— Séparons-nous, fit Qui-Gon, lugubre. Nous n’avons pas beaucoup de temps devant nous.

Il fouilla sous sa cape et en tira le sabre laser d’Obi-Wan. Il le lui jeta.

— Tiens. Je me suis dit que tu pourrais en avoir besoin.

À peine les doigts d’Obi-Wan s’étaient-ils refermés sur la crosse qu’il sentit la Force jaillir en lui.

Il glissa le sabre dans sa ceinture, puis leva la tête et croisa le regard de Qui-Gon. Pour la première fois depuis son arrivée, il n’avait pas honte.

Quoi que Qui-Gon puisse penser, il était toujours un Jedi.