CHAPITRE III

Obi-Wan s’assit entre Nield et Cerasi à la grande table de conférence. Les Jeunes avaient investi le bâtiment du Congrès Unifié des Melida/Daan. Ils l’avaient choisi pour sa valeur symbolique : il était resté intact trois ans, durant la seule période où les Melida et les Daan avaient tenté d’aboutir a un accord. Puis une nouvelle guerre avait éclaté et l’immeuble avait été bombardé.

L’édifice était très délabré. Les vitres avaient été soufflées, les poutres et les colonnes abattues, et la moitié du toit était démolie. Le froid et l’humidité s’infiltraient.

Malgré tout, Obi-Wan était heureux d’être là, attelé à une tâche essentielle : former un nouveau gouvernement. Il avait vécu des journées longues et fatigantes, mais il n’avait pas le temps d’y penser. Il y avait encore tant à faire, tant de problèmes à résoudre !

Les Jeunes avaient gagné la guerre, mais le plus dur était à venir. Avant la victoire, un même objectif les soudait : la paix. Aujourd’hui, cette belle unité avait volé en éclats. Il y avait beaucoup de décisions à prendre et bien trop d’opinions divergentes.

De plus, la ville de Zehava n’était plus que ruines. La plupart des habitants n’avaient plus de chauffage, et les provisions étaient rares. Les hôpitaux manquaient de tout. Il ne restait quasiment plus de carburant pour alimenter les flotteurs et les transports. Pire encore, nombre d’armes étaient toujours aux mains des citoyens, notamment d’une majorité d’anciens soldats. La tension était vive, et le moindre désaccord pouvait, à tout moment, dégénérer en bataille rangée.

Depuis que les générations intermédiaires, décimées au fil des guerres, leur avaient accordé leur soutien, les Jeunes étaient majoritaires sur Melida/Daan. Tous furent d’accord pour nommer Nield Gouverneur temporaire. Un Conseil consultatif de dix membres fut mis en place. Obi-Wan en faisait partie, tout comme Mawat et d’autres leaders des Jeunes. Cerasi en assurait la Présidence. En tant que Gouverneur, Nield était tenu d’appliquer toute décision prise à la majorité. Au moment du vote, lui-même disposait d’une voix.

Nield et le Conseil s’étaient immédiatement mis au travail, assignant à des commissions spécifiques distinctes les différents problèmes qui se présentaient. Le poste le plus dangereux échut à Obi-Wan. Il dirigeait la commission chargée de la sécurité. Ce qui consistait à nettoyer la ville de ses armes en allant de foyer en foyer. En effet, jusqu’à nouvel ordre, seuls les membres de la Sécurité avaient le droit de porter une arme. Tous les autres devaient déposer les leurs, qui resteraient entreposées jusqu’à ce que la situation soit moins explosive.

Dès la première réunion du Conseil, cette motion avait été longuement débattue. La discussion avait tourné à la dispute générale. Beaucoup refusaient de coopérer, même parmi les Jeunes. Cela n’avait pas surpris Obi-Wan : ils vivaient depuis toujours dans un monde en guerre…

C’est alors que Cerasi les avait tous défiés. Elle s’était campée au beau milieu du bâtiment en mine, regardant un à un chacun des participants. Puis, calmement mais avec intensité, elle avait pris la parole.

— Pour moi, la paix est plus qu’un concept. C’est ma vie, mon souffle. Plus jamais je ne veux tenir une arme. J’ai vu ce dont elles sont capables. Si j’ai sur moi un instrument de destruction, tôt ou tard, je serai tentée de l’utiliser. Or, je refuse de causer une mort de plus sur Melida/Daan !

Un grand silence accueillit ses mots, puis les Jeunes l’acclamèrent. Cerasi rougit de bonheur et de fierté en voyant les Jeunes s’avancer en bon ordre vers la table du Conseil et déposer leurs armes. Ce fut un moment glorieux, un de ces événements qui marquent l’histoire.

Cerasi tira Obi-Wan de sa rêverie en annonçant d’un ton sec :

— Premier sujet à l’ordre du jour. Que les directeurs de commission fassent leur rapport. Nield, tu veux bien commencer ?

Nield se leva. Il était à la tête de la Commission d’Histoire Réformée, chargée de détruire les symboles de haine et de division qui pullulaient sur Zehava : les monuments de guerre, les statues militaires… Et surtout les Parcs du Souvenir avec leurs hologrammes de guerriers racontant des récits de vengeance et de sang.

— Comme nous le savons tous, commença Nield d’une voix de stentor, notre nouvelle société ne pourra voir le jour que si nous éradiquons toute trace des anciennes rivalités. Cette paix si fragile, comment peut-elle durer si les Melida ou les Daan disposent de mémoriaux où l’on glorifie la haine ? Pour ma part, une priorité s’impose : la destruction des Parcs du Souvenir !

Quelques acclamations saluèrent son intervention. Mais Taun, le chef de la Commission de Maintenance, qui était chargée de rétablir la chaleur et l’énergie dans les nombreux bâtiments endommagés, leva la main.

— Le peuple a faim et froid, dit-il. N’est-ce pas plus important de lui venir en aide ?

— La faim et le froid, répondit Nield, ils en rejettent la cause sur l’autre camp. Alors ils se massent dans les Parcs du Souvenir. Et pour se réchauffer, ils préfèrent la haine aux couvertures.

Dor, un garçon paisible et silencieux, prit la parole :

— Mais les centres médicaux ? Les malades ne peuvent se rendre aux Parcs. Ils ont besoin de médicaments.

— Et les orphelins ? lança quelqu’un d’autre. Les centres sont débordés.

Puis ce fut au tour de Nena, responsable de la Commission du Logement :

— Je dirais que nous devrions donner la priorité à la reconstruction de l’habitat. La guerre a fait tant de sans-abri !

Soudain, Nield abattit sa main sur la table avec autorité. Les conversations se turent.

— Tous ces problèmes sont dus à cette interminable guerre, s’écria-t-il. C’est elle qui a engendré cette haine sans fin ! Nous devons absolument commencer par détruire les Parcs. Alors, le peuple reprendra espoir : l’espoir de pouvoir oublier le passé aussi aisément que nous effaçons les symboles de nos divisions !

Le silence retomba. Ses mots étaient frappés au coin du bon sens. Tout le monde fixait Nield. Il reprit :

— Je sais qu’en demandant au peuple de détruire les mausolées de nos ancêtres, nous leur proposons de sacrifier leur mémoire. Voilà pourquoi j’ai choisi de raser en premier celui où reposent mes ancêtres. Je veux qu’on se souvienne des miens en tant qu’êtres humains, et non en tant que guerriers ! Que l’on pense à eux avec amour, non avec haine. Suivez-moi ! (Sa voix retentit jusqu’aux moindres recoins de la salle.) Je vais vous montrer un grand symbole d’unité. Vous êtes avec moi ?

— Nous sommes avec toi ! crièrent les Jeunes.

— Alors allons-y ! répondit Nield en quittant la salle à grandes enjambées.

Tous, garçons et filles mélangés, sautèrent sur leurs pieds et le suivirent en l’acclamant. Obi-Wan et Cerasi firent de même, le sourire aux lèvres.

— Nield trouvera toujours le moyen de nous unir, s’exclama Cerasi, radieuse.

La foule suivit Nield en secteur Daan, jusqu’à un immense Parc du Souvenir en suspension au-dessus des flots bleus d’un lac. L’énorme structure lévitait là, amarrée à ses répulseurs, recouvrant presque entièrement l’étendue d’eau.

Déjà sur place, des hommes de l’équipe de Nield emportaient sur leurs petits speeders des stèles de pierre qu’ils déposaient sur une pile qui ne cessait de croître.

Mawat salua Nield d’un geste de la main.

— J’ai préféré les mettre de côté, lui dit-il à voix basse. Je ne savais pas si tu voulais les garder.

Obi-Wan regarda les stèles. Sur l’une d’entre elles, il vit gravés les mots MICAE, avec les dates de naissance et de décès de ce guerrier. À côté se trouvait celle de Leidra. Les parents de Nield.

— Je suis heureux que tu les aies conservées, murmura-t-il.

Obi-Wan et Cerasi échangèrent un regard surpris. Face à la dernière trace de l’existence de ses parents, Nield changerait-il d’avis ?

Il caressa le globe doré qui activait la projection. L’hologramme de son père jaillit, couvert d’une armure et brandissant un blaster.

— Je suis Micae, fils de Terandi de Garth, des contrées du Nord, commença l’hologramme.

Nield se retourna et activa celui de sa mère, Leidra. Une grande femme arborant les mêmes yeux sombres que Nield apparut.

— Je suis Leidra, épouse de Micae, fille de Pei de Quadri, fit-elle.

Les deux voix se mêlèrent. Obi-Wan put saisir un mot ou une phrase au hasard parlant de batailles gagnées, d’ancêtres morts et de villages rasés.

Nield se saisit d’un marteau à particules. La foule s’était rassemblée autour de lui. D’un air solennel, il se tourna vers la stèle de son père.

— Je n’étais qu’un enfant lorsque ces maudits Melida ont envahi Garth et mis mon peuple dans des camps, continuait Micae. Là…

Nield attaqua la sépulture avec l’outil et la fracassa en mille morceaux. L’hologramme se dilua en fragments lumineux avant de disparaître.

Il ne resta plus que la voix de la mère de Nield.

— Et à mon fils Nield, ma joie, mon espérance, je lègue l’amour que je lui porte et ma haine pour ces maudits Melida…

Le bruit strident du marteau à particules vrilla l’air. La voix se tut. L’hologramme de Leidra s’évanouit à son tour. La pierre se brisa en une myriade d’éclats qui tailladèrent les bras de Nield. Il ne sembla pas s’en rendre compte. Il continua son martelage jusqu’à ce que les stèles de ses parents ne soient plus que poussière.

— Maintenant, ils sont partis à tout jamais, chuchota Cerasi, les larmes aux yeux.

Nield se retourna et essuya son front couvert de sueur. Le sang de ses coupures se mêla à la poussière. Il se pencha pour ramasser un des débris et le tendit devant lui.

— Ces pierres serviront à bâtir de nouvelles habitations où les Daan et les Melida vivront ensemble et en paix, cria-t-il. Aujourd’hui, nous récrivons l’histoire !

Un rugissement s’éleva de la foule qui se précipita vers le Parc pour aider à le détruire. Certains levèrent des morceaux de pierre en signe de joie.

Obi-Wan se tenait aux côtés de Nield et Cerasi. C’était un moment historique, et il y avait contribué.

Il ne regrettait pas d’avoir quitté l’ordre Jedi. Il se sentait chez lui.