CHAPITRE XVII

Qui-Gon ne s’attendait pas à ce que leurs retrouvailles soient si douloureuses.

Il avait bien pressenti qu’il serait mal à l’aise. Il avait conscience d’être trop dur. Mais, à la vue du visage jeune et plein d’espoir d’Obi-Wan, la fureur l’avait envahi.

Luttant pour contrôler ce sentiment, Qui-Gon avait préféré se taire. Ses premiers mots devaient être prononcés avec le plus grand calme, non d’une voix vibrante de colère. D’où son hochement de tête en guise de salut.

Il comprit alors que sa froideur avait blessé le garçon. Et Obi-Wan avait déjà tant souffert ! D’un coup, sa hargne se dissipa pour faire place à la compassion.

— La nouvelle de la mort de Cerasi m’a beaucoup touché, articula-t-il enfin. Je suis vraiment désolé, Obi-Wan.

— Merci, répondit Obi-Wan d’une voix pincée.

— Nous avons bien des choses à nous dire, continua Qui-Gon, mais pour l’instant, nous avons d’autres préoccupations. Ce qui se passe entre nous n’est rien à côté d’une planète en guerre. Nous devons nous concentrer sur ce problème.

Obi-Wan s’éclaircit la gorge.

— Je suis d’accord.

— Quelles sont les dernières nouvelles ? Où en sont Nield et Wehutti ?

— Nield rassemble ses hommes. Il a déjà obtenu le soutien de Mawat et des Jeunes des campagnes, et tente de s’allier la Génération Intermédiaire. Selon la rumeur, une nouvelle bataille aura bientôt lieu à l’endroit même où Cerasi a été tuée. Je sais que les partisans de Wehutti se sont réarmés, eux aussi.

Qui-Gon acquiesça, plongé dans ses pensées.

— Wehutti dirige-t-il ses partisans, ou ceux-ci sont-ils livrés à eux-mêmes ?

— Je doute que Wehutti soit seulement en contact avec eux, répondit Obi-Wan. Il vit en reclus et ne veut voir personne.

— Il sera bien forcé de nous voir, affirma Qui-Gon.

La porte des quartiers de Wehutti était fermée à double tour. Qui-Gon tambourina bruyamment. Pas de réponse.

— Ah, il ne veut pas de visiteurs ! (Qui-Gon tira son sabre laser.) Eh bien ! nous nous passerons de son invitation.

Qui-Gon activa son arme et s’en servit pour découper la serrure. Il n’eut plus qu’à pousser la porte.

Le hall était désert, tout comme les deux chambres à l’avant de la maison. Ils fouillèrent méthodiquement la bâtisse, jusqu’à ce qu’ils trouvent Wehutti dans une petite pièce reculée.

Des plateaux-repas jonchaient le sol. D’épais rideaux obstruaient les fenêtres, empêchant toute lumière d’entrer. Bien qu’il ne pût rien voir de l’extérieur, Wehutti se tenait assis sur une chaise devant l’une d’elles. Lorsqu’ils entrèrent, il ne se retourna même pas.

Qui-Gon s’accroupit devant lui.

— Wehutti, il faut que nous parlions, dit-il.

Wehutti tourna lentement les yeux vers Qui-Gon.

— Tout était si confus ! Bien sûr, j’étais prêt à faire usage des armes. Mais je ne crois pas l’avoir fait.

Qui-Gon interrogea Obi-Wan du regard. Wehutti revivait la mort de Cerasi.

— Les Jeunes étaient plus nombreux que nous ne l’aurions cru, continua Wehutti. Nous ne pensions pas avoir à utiliser notre arsenal : nous les croyions désarmés. Et que ma fille, ma chère Cerasi, soit là ! je ne m’y attendais pas du tout. Elle ne portait aucune arme, vous savez ?

— Oui, répondit Qui-Gon.

— Vous avait-elle révélé qu’elle était venue me trouver ? Peu de temps auparavant.

— Non, reprit doucement Qui-Gon.

— Nous avons discuté. Elle voulait que je cesse de m’opposer aux Jeunes. Je me suis défendu. Nous étions mal partis… Elle m’a alors suggéré de ne pas parler des choses telles qu’elles sont, mais telles qu’elles étaient, dans son enfance. Nous avons eu quelques bonnes années avant que la guerre n’éclate à nouveau. Et soudain, je me suis souvenu de tout ça. Il y avait si longtemps que je n’y avais pas pensé !

Des larmes coulèrent le long de ses joues.

— Les souvenirs affluèrent. De sa mère. De mon fils. Cerasi était notre petite dernière. Elle avait peur du noir. Je devais rester dans sa chambre jusqu’à ce que le sommeil la gagne. Je demeurais à son chevet, une main sur son lit pour qu’elle sache que j’étais là. Elle finissait par s’endormir. Elle était si jolie !

Soudain, il se courba sur sa chaise, et son front heurta ses genoux. Des sanglots le secouèrent.

— Dans la bousculade, dit-il, je ne l’ai pas vue. Je n’avais d’yeux que pour Nield. Ma femme est enterrée dans ce Parc. Ses cendres y reposent. Je ne pouvais les laisser tout détruire.

— Ce n’est rien, Wehutti, dit Qui-Gon. Vous avez fait ce que vous deviez faire. Tout comme Cerasi.

Wehutti leva la tête.

— C’est ce que vous dites. C’est ce que vous dites tous, fit-il d’une voix atone.

— Mais vos partisans sont prêts à déclarer une nouvelle guerre, continua Qui-Gon. Vous seul pouvez les en empêcher. Le ferez-vous, en mémoire de Cerasi ?

Wehutti regarda Qui-Gon. Ses yeux étaient vides et son visage exsangue. Des larmes ruisselaient sur ses joues.

— Et quel bien cela fera-t-il à Cerasi ? Que m’importent les guerres et les batailles. Je ne peux plus rien empêcher. Je ne ressens même plus la haine. Je ne ressens plus rien.

— Cerasi aurait souhaité que vous nous aidiez ! répliqua Obi-Wan.

Wehutti se tourna vers la fenêtre aveuglée.

— Dans toute cette confusion, dit-il, j’étais prêt à tirer. Peut-être l’ai-je fait, peut-être pas. Peut-être est-ce moi qui l’ai tuée. Peut-être pas. Je ne le saurai jamais.