CHAPITRE PREMIER

Dans les profondeurs souterraines de la ville de Zehava, entre les rangées de pierres tombales d’une vaste crypte, Obi-Wan Kenobi faisait les cent pas. Il n’imaginait que trop bien les ravages causés en surface, ressentant presque dans sa chair chaque explosion des torpilles à neutrons. Les chasseurs stellaires de l’ennemi bombardaient l’armée des Jeunes.

Cela faisait quatorze jours que la bataille faisait rage et Obi-Wan ne pouvait se rappeler la dernière fois qu’il avait mangé quelque chose ou dormi quelques heures. La pénombre, qui donnait aux tombes des formes sinistres, ajoutait encore à sa nervosité.

— Assieds-toi, Obi-Wan, dit son amie Cerasi. Tu me donnes le tournis.

Même dans les pires moments, Cerasi gardait toujours son calme. Nield, un garçon grand et mince aux yeux sombres, restait silencieux. De ce mausolée reconverti en quartier général, tous trois avaient dirigé les Jeunes dans leur quête pour pacifier le monde Melida/Daan.

Leur bataille contre les Anciens n’était qu’une de plus parmi toutes celles qui jalonnaient l’histoire sanglante de Melida/Daan. Depuis des siècles, en effet, les Melida et les Daan se livraient un combat sans merci pour le contrôle de leur territoire. De guerre lasse, le mouvement des Jeunes avait sommé les deux factions de faire la paix, ce que les Anciens avaient refusé. Et maintenant, à la différence de leurs aînés, les enfants de Melida/Daan combattaient pour sauver leur planète.

Obi-Wan n’avait jamais trouvé cause plus juste, allant jusqu’à renier son initiation Jedi pour pouvoir la défendre. Il n’en revenait toujours pas d’avoir pris une telle décision. Cependant, il lui suffisait de regarder ses compagnons pour se souvenir des raisons qui l’y avaient poussé. Il ne s’était jamais senti aussi proche de quelqu’un. Nield et Cerasi étaient ses amis, sa famille. Ensemble, les traits tirés, ils attendaient des nouvelles qui tardaient à arriver.

Les yeux d’un vert cristallin de Cerasi étincelaient au milieu de son visage maculé de poussière et de sueur. Elle tapota un espace libre de la tombe sur laquelle Nield et elle étaient assis.

— Je suis sûre que Mawat ne tardera pas à déblayer le tunnel menant au spatioport, fit-elle, rassurante.

Obi-Wan vint s’asseoir entre eux.

— Il le faut, répondit-il. Nous devons frapper pendant que les chasseurs stellaires viennent se ravitailler. C’est notre ultime espoir.

Sur Melida/Daan, les hostilités duraient depuis si longtemps que l’essentiel des armements perfectionnés était usé jusqu’à la trame. Ainsi, tous les chasseurs stellaires, à bout de souffle, devaient constamment faire le plein et vérifier la mécanique. Or, les Anciens avaient commis la grave erreur de lancer leurs engins à l’attaque tous en bloc. En conséquence, ils ravitaillaient toute leur flotte en même temps.

Ce qui les rendait d’autant plus vulnérables.

Obi-Wan avait immédiatement repéré cette faiblesse et entendait bien l’exploiter. Le jeune homme avait eu l’idée d’envahir le spatioport durant l’opération de ravitaillement avec une équipe réduite : une personne pour désactiver les convertisseurs d’énergie des appareils, trois autres pour monter la garde et détourner l’attention des gardes, si nécessaire.

La manœuvre était risquée, mais s’ils la menaient à bien, ils seraient sûrs de remporter la victoire. D’autant que la Génération Intermédiaire – Melida et Daan confondus – s’était récemment ralliée à la cause des Jeunes. Elle ne les rejoindrait définitivement que si elle sentait la victoire à portée de main. Le renfort des vingt-cinquante ans, du moins ce qu’il en restait, assurerait aux Jeunes l’avantage sur les Anciens, dès lors largement inférieurs en nombre.

— Tout ce qu’il nous faut, reprit Cerasi, c’est un peu de chance et un bon minutage.

— Qui, nous ? répondit Obi-Wan en souriant. Nous n’avons pas besoin de chance.

— Tout le monde en a besoin, rétorqua Nield.

— Pas nous.

Ils tendirent leurs paumes et les rapprochèrent autant que possible sans toucher celles du voisin. C’était un rituel qu’ils avaient développé ces dernières semaines, au fil des batailles.

Soudain, une fille petite et mince surgit dans la caverne.

— Mawat dit que la voie est libre.

Mawat, le chef des Jeunes des campagnes, avait été chargé d’agrandir un petit tunnel qui menait tout droit à la réserve d’énergie du spatioport. Une grille d’égout leur permettrait d’y accéder.

— Merci, Roenni, répondit Obi-Wan en se levant d’un bond. Tu es prête ?

Elle acquiesça en tendant deux cutters à fusion.

— Je suis prête.

Cela ne plaisait guère à Obi-Wan d’entraîner Roenni dans cette histoire ; elle était plus jeune qu’eux et n’avait aucune expérience du combat. Mais, comme son père était un spécialiste des chasseurs stellaires, elle avait grandi au milieu de tous les engins aériens possibles et imaginables. De ce fait, Roenni savait manier un cutter à fusion et désactiver un convertisseur d’énergie. En outre, sa petite taille et son agilité lui permettraient de se glisser dans les chasseurs par la trappe de la soute sans se faire repérer. Du moins Obi-Wan l’espérait-il.

Obi-Wan, Nield et Cerasi parcoururent les galeries souterraines à vive allure. Lorsqu’ils atteignirent le tunnel situé sous le spatioport, ils prirent mille précautions. Maintenant, le commando se trouvait juste au-dessous des gardes.

Mawat vint à leur rencontre. Son visage en lame de couteau disparaissait sous la crasse et la boue ; ses vêtements ne valaient pas mieux.

— J’ai été un peu lent, murmura-t-il, mais c’était pour ne pas faire de bruit. Vous déboucherez juste derrière les réservoirs de carburant. Trois des chasseurs sont alignés devant, deux autres, plus près de l’entrée. Il y a six gardes et deux droïdes de maintenance. Ils ne s’attendront pas à vous voir sortir du sol.

N’oublie pas, Padawan, face à un ennemi supérieur en nombre, la surprise est ton meilleur allié.

La voix calme de Qui-Gon résonna dans son cerveau, apaisant ses angoisses… mais faisant naître aussi une pointe de remords. Après avoir fait des pieds et des mains pour que le grand Chevalier Jedi Qui-Gon Jinn le prenne comme Padawan, il s’était détourné de lui afin de mieux lutter pour instaurer la paix sur cette drôle de planète. En outre, il n’avait jamais mené sans son Maître une entreprise de cette envergure.

Obi-Wan en appela à la Force. Il en aurait bien besoin au moment de combattre. Mais, telle une invisible ondine qui l’aurait frôlée pour sitôt s’éloigner et disparaître dans les ténèbres, elle lui échappa. Il ne pouvait ni l’invoquer, ni s’y immerger. Il pouvait tout au plus entrevoir son infini pouvoir.

La Force l’avait abandonné.

Te laisser, la Force ne peut. Constante, elle est. Si tu ne peux l’appeler, chercher en toi, et non à l’extérieur, tu dois.

Certainement, Yoda, pensa-t-il. Puiser en moi, je dois. Mais comment puis-je fouiller les profondeurs de mon âme alors que je suis au beau milieu d’une guerre sans merci ?

Cerasi lui toucha l’épaule.

— Obi-Wan ? C’est le moment.

Obi-Wan repoussa avec précaution la bouche d’égout. Il aida Roenni à monter et la suivit. Cerasi se hissa par l’ouverture avec sa souplesse habituelle, puis Nield, un peu plus maladroitement mais sans le moindre bruit.

Ils s’accroupirent derrière les réservoirs. Ni les droïdes de maintenance, trop occupés à ravitailler les engins, ni les gardes, qui leur tournaient le dos, ne les virent. D’un hochement de tête, Obi-Wan désigna le premier des trois chasseurs garés côte à côte. Roenni se glissa dans la soute.

Cerasi, Nield et Obi-Wan regardèrent avec inquiétude la frêle jeune fille passer d’un appareil à l’autre. Ils se tenaient prêts à tirer. Cependant, la chance aidant, elle réussit à les mettre tous hors d’usage, rapidement et silencieusement. Lorsqu’elle eut terminé, Roenni se tourna vers eux, les interrogeant du regard. Et maintenant ?

Pour les deux derniers, c’était autrement moins évident : les chasseurs étaient plus près de l’entrée… et donc des gardes.

Obi-Wan ne voulait pas la laisser se débrouiller seule. Il se rapprocha de Nield et Cerasi.

— Je vais avec Roenni, chuchota-t-il. Nous n’avons plus qu’à espérer que les gardes ne se retournent pas. Couvrez-nous !

Ses amis acquiescèrent. Tout en évitant les droïdes d’entretien, Obi-Wan dépassa les trois engins sabotés. Il alla se placer aux côtés de Roenni. Celle-ci mesura d’un œil apeuré la distance qu’il leur fallait parcourir. Il lui posa la main sur l’épaule afin de la rassurer ; elle hocha la tête, un peu plus confiante. Ils partirent en courant sur l’espace découvert, rapides et silencieux. Plus que quelques mètres à parcourir et ils auraient réussi.

À l’instant même où ils pensaient toucher au but, un des droïdes de maintenance renversa un bidon d’essence vide. Celui-ci roula bruyamment sur le tarmac et s’arrêta à quelques centimètres de leurs pieds. L’un des gardes se retourna. Obi-Wan vit son expression de surprise lorsqu’il remarqua les deux intrus.

Mais Obi-Wan avait déjà réagi. Il avait poussé Roenni vers les appareils, puis filé en direction d’un amas de caisses en acier trempé. D’un bond prodigieux, il se propulsa sur le tas, puis profita de son élan pour se jeter sur les gardes. Lorsque des tirs de blaster sifflèrent au-dessus de sa tête, il regretta de ne pas avoir son sabre laser. Il avait remis le sien à Qui-Gon pour qu’il le ramène au Temple. Car seul un Jedi pouvait porter un sabre laser.

Le garde resta bouche bée d’étonnement quand Obi-Wan se jeta sur lui, pieds en avant, et le percuta de plein fouet. Au passage, Obi-Wan s’empara de son blaster.

Le deuxième garde eut à peine le temps de voir son collègue rouler à terre. Obi-Wan tournoya et lui décocha un coup de pied au menton. En tombant, l’homme se cogna le crâne contre le sol de béton et laissa échapper son blaster. Obi-Wan battit en retraite pour rejoindre Nield et Cerasi, qui s’avançaient déjà en tirant sur les quatre gardes restants.

Ceux-ci se dispersèrent pour échapper aux décharges. Tout en courant, ils ouvrirent le feu au hasard. Obi-Wan sauta par-dessus les caisses pour s’abriter. Une fraction de seconde plus tard, Nield et Cerasi le rejoignirent.

— Ils ont probablement appelé des renforts par comlink, fit Cerasi d’un ton lugubre.

Elle continua de mitrailler les gardes accroupis derrière un amas de flotteurs en miettes. L’un d’entre eux, qui passait la tête par-dessus son abri pour mieux viser, s’empressa de la baisser.

Obi-Wan vit les grands signes que leur faisait Roenni, toujours dissimulée par l’appareil.

— Il faut la couvrir, dit Obi-Wan. Tirez dans le tas.

Ils continuèrent à arroser les soldats d’un feu nourri. Roenni sauta pour s’abriter sous le fuselage de l’un des chasseurs, puis passa au suivant.

— C’est le dernier, remarqua Obi-Wan.

Soudain, deux gardes quittèrent leur cachette et, passant d’un pilier à l’autre, s’élancèrent vers l’autre côté du spatioport.

— Ils cherchent à nous prendre à revers ! s’écria Obi-Wan.

Il se rua à son tour, à moitié accroupi, vers l’autre bout de la rangée de caisses.

Roenni n’avait pas vu le manège des gardes. Elle jaillit à l’arrière de l’appareil au moment même où l’un des deux gardes, masqué par un pilier, faisait un pas de côté. Obi-Wan le vit pointer son arme sur la jeune fille, ajuster son tir avec soin et ouvrir le feu.

Dans une ultime tentative, Obi-Wan en appela à la Force. Cette fois-ci, il sentit sa présence l’envelopper. Il tendit les mains : le blaster fut arraché des doigts du garde surpris. La décharge fut déviée vers le mur.

Tandis que les tirs soutenus de Nield et Cerasi clouaient sur place les autres gardes, Obi-Wan rejoignit Roenni, paralysée par la peur.

— Je suis là, dit-il. Il ne t’arrivera rien.

Les yeux bruns de la fillette s’éclaircirent. La confiance prit le pas sur la terreur. Cependant, Cerasi et Nield ne pouvaient contenir indéfiniment leurs adversaires. Ils s’exposaient dangereusement. Obi-Wan remarqua le bidon de carburant vide que le droïde avait renversé. Il en appela à la Force. En vain.

Disparaître, elle ne peut. Toujours là, elle est.

Obi-Wan eut un grognement. Ah, vraiment ? Désolé, Yoda, mais elle m’a abandonné.

Des décharges de blaster ravagèrent les fuselages juste au-dessus de sa tête. Obi-Wan obligea Roenni à se baisser. Puis, lui faisant un rempart de son corps, il l’entraîna vers le bidon. Ce n’était pas la meilleure des protections, mais ils devraient s’en contenter.

— Il va falloir ramper, dit-il à Roenni. Reste bien derrière le bidon.

Côte à côte, ils progressèrent en direction de Nield et Cerasi tout en poussant leur bouclier de fortune. Des décharges de blaster ricochaient sur le métal. Roenni tremblait de tous ses membres. Enfin, ils atteignirent les caisses ; la jeune fille se glissa derrière avec un soupir de soulagement.

Obi-Wan fit rouler le lourd jerricane vers le premier garde. L’arme improvisée le faucha, et l’homme tomba, déséquilibrant le garde posté juste derrière lui.

Les quatre amis profitèrent de la confusion pour détaler et se réfugier derrière les réservoirs de carburant. Cerasi réagit avec célérité. Elle poussa Roenni vers la bouche d’égout et la suivit aussitôt. Nield lâcha une dernière décharge, puis sauta par l’ouverture. Avant d’en faire autant, Obi-Wan déposa une bombe à retardement.

Tous partirent en courant – puis les réservoirs explosèrent, détruisant la moitié du hangar.

— Voilà qui devrait les occuper un moment, dit Obi-Wan aux autres.

Nield prit son comlink et appela Mawat.

— C’est fait, dit-il. Les Anciens n’ont plus de chasseurs stellaires. Tu peux contacter la Génération Intermédiaire.

La voix de Mawat s’éleva dans un concert de crachotements. Malgré la mauvaise réception, ils sentirent la joie qui l’animait.

— Je crois bien qu’on vient de gagner la guerre ! exulta-t-il.