CHAPITRE VII

Obi-Wan parcourait les rues de la ville. Trois jours de service au sein de la Commission de Sécurité l’avaient épuisé. Trois journées bien remplies : son équipe avait réussi à vider de leurs armes des quartiers entiers de la ville. Il ne restait plus que quelques poches isolées. Les armes récoltées étaient sous bonne garde dans un entrepôt. Néanmoins, il serait plus sûr de les transporter hors de la ville pour les détruire. Mais pour cela, un ordre du Conseil était nécessaire. Il aborderait cette question lors de la prochaine réunion.

Quelques flocons de neige tombèrent d’un ciel métallique. L’hiver était proche. Il fallait de quoi alimenter le chauffage. Et jusque-là, personne ne s’en était occupé. Nield avait préféré recruter un maximum d’ouvriers pour accomplir la mission qu’il s’était fixée : détruire les Parcs du Souvenir.

À force d’arpenter les rues, Obi-Wan avait pu sentir la colère du peuple. Ces gens qui, auparavant, ne pensaient qu’à la guerre, se souciaient maintenant de leur survie. La Génération Intermédiaire avait joué un rôle déterminant dans la victoire. Mais son ressentiment ne cessait de croître. Les Jeunes ne faisaient rien pour reconstruire leurs demeures ou nourrir leurs familles. Or, même peu nombreux, les vingt-cinquante ans conservaient une grande influence. À se les aliéner, les Jeunes risquaient gros.

Nous devons faire quelque chose, se dit Obi-Wan.

Un groupe de Jeunes des campagnes déboucha d’une petite rue adjacente. Apparemment, ils avaient quelque chose d’urgent à faire. Obi-Wan appela l’un d’eux :

— Joli ! Que se passe-t-il ?

Un garçon trapu se retourna :

— Mawat nous a appelés. Nous allons détruire un autre Parc du Souvenir. Celui de la rue de la Gloire, près de la plazza.

Obi-Wan ressentit une pointe de regret. Ce Parc du Souvenir contenait les stèles et les hologrammes commémorant les ancêtres de Cerasi. Or, elle-même déplorait de ne pas avoir de famille. Peut-être devait-il la prévenir.

Oubliant sa lassitude, il courut vers les tunnels, se faufila par la bouche d’égout et descendit dans la tanière des Jeunes. Cerasi se tenait devant la tombe qui leur servait de table.

— On m’a déjà prévenue, dit-elle.

— Je peux demander à Nield de…

Cerasi repoussa une mèche couleur de cuivre qui lui tombait sur les yeux.

— Ça ne serait pas juste, Obi-Wan.

Il s’assit à côté d’elle, sur un tabouret.

— La dernière fois que tu t’y es rendue, c’était quand ?

Cerasi eut un soupir.

— Je ne sais plus. Suffisamment longtemps pour que je finisse par oublier à quoi ressemblait ma mère. Son souvenir s’estompe…

Elle se tourna vers Obi-Wan et poursuivit.

— Je pense que Nield a raison. Je hais ces Parcs autant que lui. Du moins, c’était le cas… avant. Mais je n’ai pas d’autre moyen de me souvenir de tous ceux que j’ai perdus : ma mère, mes tantes, mes oncles, les cousins… Et je ne suis pas la seule dans ce cas. Bien d’autres habitants de Melida/Daan n’ont pas d’autres traces de ceux qu’ils ont aimés. Nous avons bombardé nos maisons, nos bibliothèques, nos bâtiments administratifs… Nous n’avons plus de registre des naissances, des mariages ou des décès. Si nous détruisons les hologrammes, nous perdrons à jamais notre histoire. Regretterons-nous, un jour, ce que nous avons fait ?

Cerasi croisa son regard.

— Je ne sais pas, répondit-il lentement. Peut-être que Nield est trop dur. Peut-être vaudrait-il mieux conserver ces hologrammes, mais d’une autre façon. Par exemple, dans un centre dont l’accès serait réglementé, une sorte de conservatoire ouvert aux historiens et aux lettrés. Ainsi, il n’y aurait pas d’incitation à la haine ou à la violence.

— C’est une excellente idée, Obi-Wan ! s’écria Cerasi, enthousiaste. C’est le compromis idéal. Et plus encore, une proposition constructive à faire au peuple de Zehava.

— Pourquoi ne pas proposer à Nield d’interrompre la destruction en attendant une décision du Conseil ?

L’enthousiasme qui brillait dans les yeux de Cerasi s’éteignit.

— Il ne voudra jamais.

— Le Conseil pourrait suspendre le travail des équipes de Nield le temps d’étudier la question. Il en a le pouvoir. Nield sera bien forcé d’obéir.

Cerasi se mordit la lèvre.

— Je n’en suis pas si sûre. Nous ne pouvons pas nous opposer à Nield de façon officielle. Les Jeunes se retrouveraient divisés. C’en serait fini de la paix. Nous ne pouvons prendre un tel risque.

— Cerasi, la ville tombe en ruine, insista Obi-Wan. Les gens veulent reprendre une vie normale. Ce n’est que comme ça que nous maintiendrons la paix. Si Nield ne pense qu’à détruire là où il faut reconstruire, le peuple va se révolter.

Cerasi prit sa tête entre ses mains.

— Je ne sais plus que faire !

Soudain, Mawat fit irruption dans la salle.

— Obi-Wan ! lança-t-il. Nous avons besoin de toi !

Obi-Wan se leva d’un bond.

— Qu’y a-t-il ?

— Wehutti a rameuté les Anciens. Ils manifestent contre la destruction du Parc de la rue de la Gloire. Ils sont déjà très nombreux. Il faut que tu me donnes l’autorisation de distribuer les armes aux Jeunes. Nous devons défendre notre droit de détruire les Parcs !

Obi-Wan secoua la tête.

— Pas question, Mawat. Je refuse de transformer une manifestation en massacre.

Mawat passa ses mains dans ses longs cheveux blonds d’un geste nerveux.

— Mais à cause de toi, nous sommes désarmés !

— À cause d’une décision du Conseil prise à l’unanimité, précisa Cerasi. Obi-Wan a raison.

Écœuré, Mawat tourna les talons.

— Merci pour tout !

— Un instant, Mawat ! lança Obi-Wan. J’ai dit que je refusais de vous donner des armes, pas de vous aider !