CHAPITRE V

Obi-Wan accrocha un blaster à sa cheville et s’assura que sa vibrolame était bien dans son holster. Un rapport lui avait signalé des groupuscules Melida qui refusaient de déposer les armes.

Cerasi, Nield et lui résidaient toujours dans le repaire souterrain des Jeunes en attendant de trouver un autre logement. Ils préféraient passer après la multitude de ceux qui n’avaient plus de toit. Obi-Wan se dirigea vers la grande salle où l’attendait son équipe de sécurité. Il se tourna vers Deila, son second, et hocha la tête. Ils étaient prêts.

Ils escaladèrent l’échelle qui donnait sur la grille d’égout et se hissèrent dans la rue. À peine avaient-ils parcouru quelques mètres qu’Obi-Wan entendit des pas précipités derrière lui. Il se retourna. C’était Cerasi.

— J’ai entendu parler de ces groupuscules, dit-elle en remontant la fermeture de sa tunique. Je viens avec vous.

Obi-Wan secoua la tête.

— Cela peut être dangereux.

Ses yeux verts brillèrent d’une lueur malicieuse.

— Ah, oui ? Et la guerre que nous avons faite ensemble n’était qu’une partie de plaisir ?

— Tu n’as pas d’arme, rétorqua Obi-Wan exaspéré.

— T’inquiète, répondit Cerasi en bouclant une lourde ceinture à sa taille. J’ai plus d’un tour dans mon sac.

Malgré ses craintes, Obi-Wan ne put s’empêcher de sourire. Cerasi avait conçu de nombreuses armes improvisées, dont des frondes au bruit évoquant des tirs de blaster.

— Bon, d’accord. Mais obéis aux ordres, pour une fois.

— Bien, mon capitaine, répondit-elle d’un ton railleur.

Il faisait froid, et leurs haleines formaient des nuages de condensation. Ils passèrent devant une place où des envoyés de la Commission d’Histoire Réformée détruisaient un monument aux morts. Une poignée d’Anciens Melida les regardaient, impassibles.

— Ils pensent que nous allons élever des statues à notre propre gloire, remarqua Cerasi. J’ai hâte de les décevoir. Il n’y aura plus jamais de monuments guerriers sur Melida/Daan.

— En es-tu sûre ? questionna Obi-Wan, d’un ton sérieux. Pourtant, je te vois bien sur un piédestal, fronde en main…

Cerasi lui donna un petit coup d’épaule.

— Cause toujours, dit-elle avec un sourire. Je croyais qu’un Jedi ne plaisantait jamais ?

— Bien sûr que nous plaisantons. (Soudain, son visage s’empourpra.) Enfin, ils plaisantent.

Ses traits s’assombrirent. Cerasi cessa de sourire.

— Tu as tout abandonné pour nous aider, dit-elle tristement.

— Et regarde ce que j’y ai gagné, répondit Obi-Wan en tendant le bras d’un geste circulaire englobant Zehava tout entière.

Cerasi ne put s’empêcher de rire.

— En effet. Une ville en ruine, une bouffe horrible, pas de chauffage, un tunnel pour demeure, un boulot qui consiste à désarmer des fanatiques…

— Des amis, termina Obi-Wan.

Cerasi sourit en répétant :

— Des amis.

Le grand bâtiment de deux étages où vivaient les Melida rebelles semblait bien paisible sous ce ciel d’un bleu immaculé. La façade était intacte, mais lorsqu’ils en firent le tour en restant hors de vue, ils constatèrent que l’arrière avait été entièrement démoli. On avait tenté quelques réparations provisoires à base de planches et de feuilles de plastoïde particulièrement résistant.

Obi-Wan remarqua une chose étrange : il n’y avait pas de porte de derrière. Il en fit part à Cerasi.

— Une issue de moins à défendre, dit-elle en scrutant le toit. Comme ça, pas moyen de les prendre par surprise.

— Ce n’est pas dans mes intentions, répondit Obi-Wan. Je veux leur donner une chance de déposer les armes. Nous n’allons pas entrer là-dedans en tirant dans le tas.

Alors qu’il regardait la maison, sa main dériva vers sa ceinture. Mais à la place de son sabre laser, il ne trouva qu’une vibrolame. Il ne s’y faisait pas.

— Il nous faut quelqu’un pour surveiller la rue, continua Obi-Wan. Tu vas t’en charger.

Cerasi allait protester, mais elle se ravisa et acquiesça. Elle tendit les mains, paumes vers le haut. Obi-Wan posa les siennes aussi près que possible sans la toucher.

— Bonne chance.

— Ce n’est pas ce dont nous avons besoin.

— Tout le monde a besoin de chance.

— Pas nous.

Obi-Wan tourna le coin de la rue, son équipe de six garçons et filles sur les talons : les meilleurs combattants que les Jeunes avaient à lui offrir.

Obi-Wan frappa à la porte. Il perçut un mouvement de l’autre côté du panneau, rien de plus. Il se rapprocha de la porte et cria :

— Service de Sécurité des Jeunes. Au nom du gouvernement de Melida/Daan, je vous ordonne d’ouvrir cette porte !

— Reviens nous voir quand ta voix aura mué, rétorqua quelqu’un depuis l’intérieur du bâtiment.

Obi-Wan soupira. Il espérait qu’ils se montreraient coopératifs. Il regarda Deila, leur experte en explosifs, et hocha la tête. Elle s’empressa de déposer des charges près de la serrure de la lourde porte.

— Écartez-vous ! cria-t-elle à ceux qui se trouvaient à l’intérieur.

Ils procédaient souvent ainsi. Bien des Anciens Melida ou Daan refusaient d’admettre leur autorité. C’était un bon moyen de leur montrer qui était aux commandes. Et sans risquer la vie de personne : ils ne détruisaient que des portes.

Deila leur fit signe de reculer, régla le détonateur, puis s’écarta. Une détonation sourde perça le silence. La porte trembla. Deila s’approcha et la fit tomber d’une simple pression du pied. Les membres du Service de Sécurité chargèrent, Obi-Wan en tête.

Tout d’abord, il ne put rien voir. Mais il n’avait pas oublié son initiation Jedi. Il oublia son besoin de contact visuel et accepta l’obscurité. En quelques secondes, il put distinguer des silhouettes…

Six silhouettes munies d’armes.

Les anciens Melida se tenaient tout au bout d’un long couloir. Ils tournaient le dos à un escalier menant aux étages supérieurs. Ils portaient des armures de plastoïde cabossées. Et ils braquaient leurs armes sur les nouveaux venus.

Obi-Wan prit immédiatement la mesure du problème. L’adversaire avait accès à l’escalier. Le suivre dans les étages était dangereux. Il pouvait y avoir des pertes humaines. Il fallait les maîtriser ici et tout de suite.

L’un d’entre eux prit la parole :

— Nous ne reconnaissons pas votre pouvoir.

Obi-Wan connaissait cette voix. C’était celle de Wehutti, le père de Cerasi. Elle ne l’avait pas vu depuis des années. Heureusement qu’elle est restée dehors ! pensa Obi-Wan, tout en répondant d’une voix égale :

— Cela n’a aucune importance. Que vous le vouliez ou non, nous opérons en toute légalité. Vous avez perdu la guerre. Nous avons formé un nouveau gouvernement.

— Justement, je récuse ses lois ! s’écria Wehutti.

Il agrippait un blaster de son unique bras – il avait perdu l’autre au cours d’une bataille lointaine. Mais Obi-Wan avait pu constater, à ses dépens, qu’il était bien plus doué que certains combattants pourvus de leurs deux bras.

— Jeunes crétins ! continua Wehutti d’une voix rogue. Pourquoi devrais-je me plier à vos ordres ? Vous ne valez pas mieux que nous. Vous parlez de paix, mais vous portez des armes ! Pour arriver à vos fins, vous faites la guerre. En plus d’être des idiots, vous êtes des hypocrites. Vous opprimez le peuple afin de conserver vos avantages.

— Déposez vos armes, sinon nous procéderons à votre arrestation. Nous avons appelé des renforts.

Du moins l’espérait-il. Selon les procédures standard, le dernier entré devait signaler l’endroit à investir en cas de résistance. Cerasi avait donc dû contacter Mawat par transmetteur.

— Encore un pas, Jedi, et je tire, menaça Wehutti en brandissant son blaster.

Avant qu’Obi-Wan ait pu réagir, des tirs de blaster explosèrent, provenant de l’étage. Obi-Wan recula pour y échapper, mais il ne put voir exactement d’où ils venaient.

Wehutti battit en retraite. Ce qui signifiait que lui non plus n’en connaissait pas l’origine.

Cerasi ! C’était une gymnaste agile et intrépide. Elle avait dû trouver un moyen d’accéder à l’étage supérieur, et effectuer ce qu’elle appelait un « spécial toit » : des sauts d’un toit à l’autre pour se glisser par une fenêtre.

Obi-Wan profita de la surprise de Wehutti pour s’élancer aussitôt sur le groupe, suivi de toute son équipe. Il bondit tout en tournoyant, afin d’abattre la crosse de sa vibrolame sur le poignet de Wehutti. Même un homme aussi fort ne pouvait encaisser un tel coup. Wehutti poussa un hurlement et lâcha son blaster.

Obi-Wan le ramassa et virevolta pour désarmer l’Ancien suivant. Il entrevit un mouvement rapide derrière lui. Cerasi sautait par-dessus la rambarde pour rejoindre la mêlée. Elle atterrit, les pieds en avant, sur l’un des Anciens. Celui-ci lâcha son arme. Deila la ramassa au passage.

En trente secondes, tout le groupe fut désarmé.

— Merci de votre coopération, dit Obi-Wan.

Ils avaient décidé que si des rebelles étaient désarmés sans entraîner de pertes humaines, aucun d’eux ne serait arrêté. En effet, s’ils avaient dû incarcérer tous ceux qui leur résistaient, ils auraient vite manqué de place.

— Soyez maudits, vous, les Jeunes, qui détruisez notre civilisation ! cracha Wehutti.

Ses yeux étaient du même vert que ceux de sa fille, mais ils flamboyaient de haine.

Cerasi se figea sur place, paralysée par la réaction de son père. Ce dernier n’avait pas reconnu la silhouette mince en tunique brune à la capuche rabattue.

Obi-Wan la tira par le bras. Elle le suivit à l’extérieur. L’air glacial frappa leurs joues empourprées.

— Deila, dit Obi-Wan d’un ton las, rapporte les armes à l’entrepôt. Nous allons faire une pause.

Deila le salua d’un geste de la main :

— Bon boulot, chef.

Le reste de l’équipe s’éloigna de l’entrepôt. Cerasi marchait en silence aux côtés d’Obi-Wan. Ils avaient glissé leurs mains sous leurs tuniques pour se protéger du froid.

Quelques minutes s’écoulèrent avant que Cerasi puisse parler.

— Désolée de ne pas avoir appelé de renforts ! le pensais bien que nous poumons maîtriser la situation.

— Savais-tu que Wehutti serait là ? demanda Obi-Wan.

— Je n’en étais pas sûre. Mais lorsque j’ai entendu parler de groupuscules de Melida dissidents et entêtés, j’ai tout de suite pensé à mon cher père.

Cerasi tourna la tête pour profiter des rayons du soleil. Elle semblait sereine, mais Obi-Wan percevait dans sa voix une tristesse mêlée d’amertume.

— Et dire, que j’ai été assez bête pour croire que cette guerre lui ouvrirait les yeux !

— Il a tort, admit Obi-Wan. Mais il ne connaît pas d’autre mode de vie.

Cerasi se pencha pour ramasser une pierre. Elle la jeta sur un tas de débris en bordure de la route, puis fourra à nouveau ses mains sous sa tunique.

— J’espérais que, si je survivais à la dernière guerre de Melida/Daan, nous nous rapprocherions peut-être. Quelle idiote !

— Ne dis pas ça, répliqua Obi-Wan. Cela peut encore se produire.

— C’est bizarre, Obi-Wan, dit-elle d’un ton pensif. Lorsque nous étions en guerre, je ne ressentais pas le moindre vide. Mon désir de paix et mon amitié pour les Jeunes me comblaient. Et maintenant que nous avons remporté la victoire, mon cœur est plein de tristesse. Je ne croyais pas que ma famille me manquerait. Mais j’ai besoin d’un lien aussi profond que celui du sang.

Obi-Wan avala sa salive. Cerasi ne cessait de le surprendre. Chaque fois qu’il pensait la connaître, il découvrait une nouvelle facette qui lui faisait entrevoir une personne bien différente. Elle lui était apparue d’abord comme une fille dure, mue par la colère, capable de se battre avec presque autant de talent qu’un Jedi. Puis, après la guerre, il avait vu émerger une idéaliste, quelqu’un qui pouvait émouvoir les cœurs et les esprits. Et aujourd’hui, il contemplait une jeune fille qui aspirait juste à retrouver les siens.

— Ce lien, je l’ai avec toi, Cerasi, répondit-il. Tu m’as changé. Nous nous soutenons et nous nous protégeons mutuellement. Cela fait de nous une famille, non ?

— Tu dois avoir raison.

Il s’arrêta et se tourna vers elle :

— Nous serons une famille l’un pour l’autre.

Il présenta ses mains. Cette fois-ci, elle pressa ses paumes contre les siennes.

Le vent se leva et transperça leurs tuniques, les faisant frissonner. Ils gardèrent pourtant leurs doigts joints. Obi-Wan sentait la chaleur de la peau de Cerasi. Il pouvait presque sentir les pulsations de son sang.

— Moi aussi, reprit-il, j’ai tout perdu.