CHAPITRE XI

— Je propose qu’on soumette au vote une motion visant à interrompre la démolition des Parcs du Souvenir, fit Cerasi d’une voix forte qui résonna entre les pans éboulés du bâtiment.

Pour une fois, le Conseil resta sans voix. Les Jeunes étaient stupéfaits de la voir s’opposer à Nield. Pour eux, Obi-Wan, Nield et Cerasi formaient quasiment une seule et même personne. Cette soudaine divergence de vue les laissait désorientés.

Au-dessus de leurs têtes, des corneilles sillonnaient le ciel bleu, vrillant l’air de leurs croassements.

Deila se leva :

— Je soutiens cette motion.

La salle explosa en un concert de cris et de requêtes. Obi-Wan ne put en saisir que des bribes.

Nield a raison ! Il faut détruire les Parcs !

Nield est allé trop loin !

Cerasi a raison ! Nous avons besoin de logements, pas de ruines !

Le visage de Nield était blanc comme un linge. En tant que présidente du Conseil, Cerasi se devait de rétablir l’ordre.

Elle se leva et tapa sur la table avec la pierre prévue à cet usage.

— Silence ! tonna-t-elle. Asseyez-vous et taisez-vous !

Garçons et filles obéirent les uns après les autres. Tout le monde fixa Cerasi, attendant la suite. Elle s’éclaircit la gorge et déclara :

— Le Conseil va procéder au vote. Au sujet de l’arrêt de la destruction des Parcs du Souvenir, veuillez voter par oui ou par non. (Cerasi se tourna vers Mawat.) À toi l’honneur.

— Je suis d’accord avec Nield, dit Mawat. Les démolitions doivent continuer. Je suis contre la motion. Je vote non.

Cerasi se tourna vers le membre suivant, et ainsi de suite. Lorsque vint son tour, quatre voix soutenaient l’arrêt des destructions et quatre étaient contre.

Cerasi jeta un bref regard nerveux à Obi-Wan. Il ne restait plus que trois votants : Cerasi, Nield et lui. Cerasi voterait pour l’arrêt des destructions, Nield contre.

La décision finale reviendrait à Obi-Wan.

— Je vote oui, dit Cerasi.

Tous se tournèrent vers Nield.

— Et moi, je vote non, afin que la paix et la sécurité continuent de régner sur Melida/Daan, fit-il.

Maintenant, tous étaient tournés vers Obi-Wan. Il entendit les cris moqueurs des oiseaux et le gémissement du vent. D’un cœur lourd, il prononça ces trois mots.

— Je vote oui.

Cerasi avala sa salive.

— La motion est donc adoptée. L’équipe de l’Histoire Réformée interrompra donc temporairement la destruction des Parcs du Souvenir, et ce, jusqu’à nouvel ordre.

Un grand silence s’abattit.

Puis Nield se leva d’un bond.

— J’appelle à un nouveau vote ! s’écria-t-il. Un vote pour qu’Obi-Wan soit rejeté du Conseil !

Obi-Wan se crispa.

— Quoi ? fit Cerasi.

Nield se tourna vers la foule.

— Comment peut-il avoir le droit de vote, lui qui n’est ni Daan, ni Melida ?

— Obi-Wan est l’un des nôtres ! rétorqua Cerasi, choquée.

— Nield a raison !

C’était Mawat. Il se leva à son tour, et ses yeux jetèrent des éclairs.

— Le vote doit être ajourné ! insista un partisan de Nield.

Obi-Wan était comme paralysé. Il n’aurait jamais cru que Nield puisse lui faire un coup pareil. Ils étaient comme des frères. Et ce n’était pas un banal différend qui allait changer cet état de fait. Du moins pour lui.

— Les membres du Conseil sont élus pour un an, répliqua Cerasi. Nield ne peut exclure l’un d’entre nous uniquement parce qu’il est en désaccord avec lui. (Elle abattit sa pierre sur la table.) Le vote a parlé. La séance est levée.

Elle se leva et fit signe aux autres membres du Conseil de faire de même. Mais ils étaient mécontents.

— Durant la guerre, Obi-Wan s’est comporté en héros, et il a été élu à une majorité écrasante, leur rappela Cerasi.

Des cris s’élevèrent. Au dernier rang, il y eut une bousculade qui dégénéra en bagarre.

— Nous, et seulement nous, les Melida et les Daan, devons être maîtres de notre destin ! hurlait Nield.

Le brouhaha s’accentua. Obi-Wan resta là, figé sur place. Il ne savait que faire. Soudain, il était devenu un intrus.

Il regarda Cerasi. Livide, elle fixait la foule en fureur. Elle croisa son regard, désespérée. La belle unité qui rassemblait les Jeunes se désagrégeait sous leurs yeux.

Durant les jours qui suivirent cette funeste réunion, Obi-Wan et Cerasi ne purent rien faire pour arrêter cette désintégration progressive. Le cœur brisé, ils tentèrent bien de réconcilier ceux qu’ils avaient divisés.

Nous ne pouvons rester désunis, plaidèrent-ils.

Mais la fracture ne fit que s’accentuer.

Nield ne leur adressait même plus la parole. Il ne descendait plus dans les souterrains et dormait dans le parc, avec Mawat et les Jeunes des campagnes, tentant de les rallier à sa cause. S’il disposait de votes en nombre suffisant, il pourrait renverser le Conseil et en composer un nouveau. Du coup, Obi-Wan devint sa cible favorite.

— Je devrais démissionner du Conseil, déclara Obi-Wan. C’est la seule solution.

Cerasi secoua la tête.

— Tu te souviens de notre slogan ? « Nous sommes tous et tout le monde. » Nous voulions en finir avec les rivalités tribales. Si nous jetons l’opprobre sur ceux qui ne sont pas nés sur la planète, cela ne sera guère différent.

— Cependant, le problème serait temporairement résolu.

— Tu ne vois donc pas qu’il est déjà trop tard ? s’écria Cerasi, désespérée.

Obi-Wan se leva et se drapa dans sa cape. La compagnie de Cerasi le réconfortait, mais il avait besoin de réponses qu’elle ne pouvait lui fournir. Il lui souhaita bonne nuit et partit vers la surface.

La nuit était glaciale. Il monta sur un toit avoisinant afin de se rapprocher des étoiles. Il tira de sa tunique le galet que Qui-Gon lui avait offert pour ses treize ans. Comme toujours, la pierre était chaude et lui réchauffa les mains. Obi-Wan ferma les yeux. Il pouvait presque sentir la présence de la Force. Elle ne l’avait pas déserté. C’était impossible. Il devait s’en souvenir.

C’est Qui-Gon qu’il lui fallait. Jusqu’ici, Obi-Wan n’avait pas réalisé à quel point il dépendait de ses conseils. Certes, son Maître n’était pas le plus loquace des compagnons. Mais, en ce moment, il avait vraiment besoin de lui.

Lorsqu’il était encore son Padawan, il lui suffisait de se concentrer pour invoquer Qui-Gon. Maintenant, Obi-Wan avait beau essayer, son Maître restait hors d’atteinte.

Il ne contrôlait plus les événements. Tout ce pour quoi il avait combattu était menacé, et il ne savait comment tout arranger. Sur Melida/Daan, il ne manquait pas de gens pour le conseiller, mais personne n’avait la sagesse et la maturité requises. Même Cerasi était dépassée.

Si la guerre éclatait, pourrait-il se tourner vers les Maîtres Jedi pour qu’ils dépêchent l’un d’eux comme émissaire de la paix ? Enverraient-ils Qui-Gon ? Obi-Wan oserait-il seulement le leur demander ?

Et si même Obi-Wan en avait le courage, Qui-Gon viendrait-il ?