CHAPITRE II

Le sabre laser s’abattit, frôlant Qui-Gon. Surpris, le Chevalier Jedi fit un bond en arrière. Le coup semblait venir de nulle part. Il n’était pas sur ses gardes.

Il tournoya en levant son propre sabre en position défensive. Son adversaire virevolta pour tenter une attaque sur la gauche. Leurs sabres laser s’entrechoquèrent dans de grands crépitements. Soudain, son opposant changea de pied d’appui et chargea de la droite. Qui-Gon ne s’y attendait pas. Il para le coup, mais avec une seconde de retard : la lame lui brûla le poignet. Cependant, la douleur n’était rien par rapport à la colère qu’il ressentait… envers lui-même.

— Troisième round, fit Yoda depuis les gradins. Attaquer de deux coins opposés, vous devez.

Qui-Gon s’essuya le front. Lorsqu’il avait accepté de participer à une séance d’entraînement avec les élèves les plus avancés du Temple, il ne s’attendait pas à une telle épreuve.

Bruck Chun salua et retourna dans son coin. Qui-Gon entendit le murmure des autres élèves. Bruck s’en tirait bien mieux que prévu. Il avait tenu six rounds contre des adversaires chaque fois différents. Il abordait son dernier match.

Qui-Gon se souvenait de Bruck : il l’avait rencontré lors de sa dernière visite au Temple. L’adolescent aux cheveux blancs avait affronté Obi-Wan en un combat long et acharné. Les deux garçons étaient des ennemis jurés. Ils s’étaient battus, aiguillonnés tant par la haine que par la volonté d’impressionner Qui-Gon. Mais si Obi-Wan avait emporté l’estime de Qui-Gon, c’était grâce à ses dons de combattant, et non à cause de sa fureur belliqueuse. Celle-ci l’aurait plutôt décidée à ne pas le prendre comme Padawan.

Pourquoi n’avait-il pas suivi son instinct ?

Qui-Gon revint au moment présent. Il devait se concentrer. Il aurait dû remporter ce duel sans difficulté, mais il avait du mal à ne pas se laisser distraire. Bruck, lui, s’était considérablement amélioré et l’avait déjà pris plusieurs fois par surprise. Ignorant la fatigue, le jeune homme luttait avec obstination, prêt à profiter de la moindre baisse de concentration de son adversaire.

Bruck se mit à tourner autour de lui, tendant son sabre laser devant lui en position défensive. Ces sabres d’entraînement étaient réglés au minimum de leur puissance. Si le coup portait, il ne causait qu’une brûlure réduite. Le sol était jonché de blocs de pierre afin de le rendre inégal. Pour corser le tout, la lumière était tamisée. Celui qui réussirait à porter un coup à la gorge serait déclaré vainqueur.

Qui-Gon ne quitta pas Bruck des yeux, attendant son prochain assaut. Le garçon se déplaça vers la gauche. Qui-Gon remarqua que ses mains s’étaient crispées sur son sabre laser. Bruck manquait de patience. C’était sa principale faiblesse, tout comme Obi-Wan…

Peut-être qu’en ce même instant, sur cette planète dangereuse qu’était Melida/Daan, le manque de patience de son Padawan l’entraînait vers sa perte ?

Qui-Gon vit l’éclair du sabre laser – trop tard. Il n’aurait jamais dû se laisser avoir ainsi. Bruck avait utilisé un des plus vieux trucs au monde : il s’était contenté de changer de direction. Le coup s’abattit alors que Bruck sautait en l’air et pivotait pour frapper Qui-Gon par derrière. Celui-ci se baissa juste à temps : la lame frôla son cou et atterrit sur son épaule. Sous la violence du choc, Qui-Gon faillit perdre pied. Il entendit le hoquet de surprise des spectateurs.

Il en avait assez. Sa propre inattention le décevait. Autant en finir une bonne fois pour toutes.

Qui-Gon accentua délibérément son déséquilibre, afin de duper à son tour Bruck. Et, en effet, le garçon se précipita sur lui avec une hâte excessive. Qui-Gon tournoya et passa à l’attaque. Surpris, le garçon recula d’un pas mal assuré. Il tenta de fouetter Qui-Gon à l’aide de son arme. Encore une erreur. Le Jedi mit tout son poids dans le coup suivant. Bruck faillit bien lâcher son sabre laser.

Qui-Gon profita de son avantage. Il partit à l’assaut. Dans la pénombre, la lueur de son sabre n’était plus qu’un feu follet agile. Il frappa, para, virevolta, assaillant son adversaire sous un angle, puis un autre, jusqu’à l’acculer dans un coin de la pièce. Les murmures des spectateurs témoignaient désormais de l’admiration que leur inspiraient les dons du Maître Jedi. Qui-Gon ne se laissa pas démonter. Une bataille n’est pas finie tant que le coup fatal n’a pas été porté.

À bout de force, Bruck tenta un dernier assaut. Qui-Gon n’eut aucun mal à le désarmer et à pointer sa lame sur le cou du garçon.

— Fini, le combat est, annonça Yoda.

Tous deux se saluèrent et échangèrent un regard, comme le voulait la coutume. À la fin de chaque match, un Jedi devait faire preuve de respect à l’égard de son adversaire. Une façon de montrer sa gratitude pour la leçon qu’il avait reçue, qu’il ail gagné ou perdu. Quelquefois pourtant, durant le salut rituel, certains élèves Jedi ne parvenaient pas à contenir leur frustration ou leur colère.

Les yeux de Bruck ne montraient que du respect. Ce qui était un grand pas en avant.

Cependant, Qui-Gon y discerna aussi autre chose. De l’ambition. De l’avidité. Dans quelques jours, Bruck atteindrait sa treizième année. Personne ne l’avait encore pris comme Padawan. Le temps pressait. Il devait se demander si Qui-Gon le choisirait pour en faire son nouvel apprenti.

Question que tous se posaient, élèves comme professeurs. Et même le Conseil. Voulait-il se trouver un nouvel apprenti ? Sinon, pourquoi était-il revenu au Temple ?

Qui-Gon ne s’attarda pas sur ces considérations. Il ne prendrait plus de Padawan. Plus jamais.

Il remit son sabre laser à sa ceinture. Bruck déposa le sien au râtelier. Qui-Gon longea les vestiaires d’un pas vif et ouvrit la porte de la Salle des Mille Fontaines.

Il apprécia la douceur de l’air. Il était agréable de se rafraîchir un peu dans cette immense serre. Qui-Gon pouvait entendre le bouillonnement des petites fontaines cachées par les fougères, ainsi que le grondement des grandes cascades dans le lointain. La sérénité qui émanait de ce jardin apaisait les esprits enfiévrés. Puisse-t-elle répandre un peu de calme sur son cœur tourmenté !

Depuis son retour, personne n’avait réclamé d’explications. Au Temple, on savait respecter la vie privée de chacun. Pourtant, Qui-Gon savait que cette placidité de surface dissimulait des geysers de curiosité, aussi bouillonnants que les fontaines cachées de ce jardin. Étudiants comme enseignants, tous se posaient la même question : que s’était-il passé pour qu’il se défasse de son Padawan, Obi-Wan Kenobi ?

Mais même si quelqu’un avait osé le lui demander, qu’aurait-il pu expliquer des mobiles obscurs et des voies incertaines ? Toutes choses évanescentes, impalpables ! Qui-Gon soupira. Avait-il mal jugé son Padawan ? S’était-il montré trop ferme envers Obi-Wan ? Pas assez ?

Qui-Gon n’avait pas la réponse. Tout ce qu’il savait, c’est qu’Obi-Wan avait fait un choix des plus étonnants. Il avait rejeté son initiation Jedi comme une tunique usée.

— Si le jardin tu rejoins, troublé tu dois être, fit Yoda derrière lui.

Qui-Gon se retourna.

— Non. La bataille m’a échauffé, c’est tout.

Yoda eut un hochement de tête à peine perceptible. S’il sentait qu’un Jedi éludait une question, il préférait ne pas insister.

— De m’éviter, tu n’as cessé, remarqua Yoda.

Il s’assit sur un banc de pierre placé à côté d’une fontaine qui coulait sur des cailloux ronds et blancs. Le doux murmure de l’eau était presque une musique.

— J’ai veillé sur Tahl, répondit Qui-Gon.

C’était la Jedi que Qui-Gon et Obi-Wan étaient allés chercher sur Melida/Daan. Elle avait été aveuglée au cours d’un combat, puis détenue là-bas comme prisonnière de guerre.

De nouveau, Yoda acquiesça.

— De meilleurs guérisseurs que toi, le Temple compte, dit-il. Et de soins constants, Tahl n’a pas besoin. Au contraire, aucune gratitude elle n’en conçoit.

Qui-Gon ne put retenir un faible sourire. C’était vrai. Toute cette attention irritait Tahl plus qu’autre chose. Elle n’aimait pas qu’on s’occupe d’elle.

— Temps il est de soulager ta conscience, dit doucement Yoda. Plus que temps, même.

Avec un grand soupir, Qui-Gon s’assit à côté de Yoda. Il n’avait aucune envie de déballer ce qu’il avait sur le cœur. Et pourtant, Yoda avait le droit de savoir.

— Il est resté sur Melida/Daan, dit-il tout simplement. Il m’a dit y avoir trouvé quelque chose d’encore plus important que son initiation Jedi. Le matin de notre départ, les Anciens ont attaqué les Jeunes. Ils disposaient d’armes et de chasseurs stellaires. Les Jeunes étaient désorganisés. Ils avaient besoin d’aide.

— Et resté, tu n’es pas.

— J’avais pour consigne de ramener Tahl au Temple.

De surprise, Yoda se pencha légèrement en arrière.

— Consigne ? Des conseils, tout au plus. Et toujours prêt tu es à ignorer mes conseils, si ton intérêt cela sert.

Qui-Gon sursauta. C’était exactement ce qu’Obi-Wan lui avait dit, en d’autres termes, lorsqu’ils étaient sur Melida/Daan.

— Suggérez-vous que j’aurais dû rester ? répliqua Qui-Gon, irrité. Et si Tahl était morte, faute de soins ?

Yoda laissa échapper un long soupir.

— Un choix pénible ce fut, Qui-Gon. Et pourtant, à blâmer ton Padawan tu es prêt. Un ultimatum tu lui as posé. Que tu comprenais comment fonctionne le cœur d’un garçon, je croyais.

Qui-Gon fixa le vide. Il ne s’attendait pas à cette rebuffade.

— Comme élève, impulsif tu as toujours été, continua Yoda. Suivi ton cœur, plus d’une fois tu as. Et bien souvent, erreur tu as fait. Voilà ce dont je me souviens.

— Je n’aurais jamais quitté l’ordre Jedi, rétorqua Qui-Gon.

— C’est vrai, acquiesça Yoda. Dévoué, tu étais. Corps et âme. Mais cela signifie-t-il qu’aux autres, de se poser des questions il soit interdit ? Toujours comme toi, ils doivent être ?

Qui-Gon était mal à l’aise. Ces conversations avec Yoda pouvaient s’avérer douloureuses. Le Maître Jedi savait jeter du sel sur les plaies les plus profondes.

— Ainsi, fit Qui-Gon en haussant les épaules, j’aurais dû cautionner cette décision absurde. Le laisser mener une guerre qu’il ne peut gagner. Qu’il voie de ses yeux le massacre qui s’ensuit. Il aura bien de la chance s’il s’en sort vivant.

Les yeux jaunes de Yoda brillèrent.

— Ah, je vois. Absolument impartiale, ta prédiction est ?

Qui-Gon opina.

— Je prévois l’imminence d’un désastre. Les Jeunes ne peuvent l’emporter.

— Intéressant, murmura Yoda. Car remporté la victoire ils ont, Qui-Gon.

Stupéfait, Qui-Gon se tourna vivement vers lui.

— Un message, nous venons de recevoir, fit tranquillement Yoda. Gagné la guerre, les Jeunes ont. De former un gouvernement, ils ont entrepris. Maintenant, comprends-tu la décision d’Obi-Wan ? Pour une cause perdue, il ne luttait pas. Le dirigeant d’une planète, il est devenu.

Qui-Gon tourna le dos pour cacher sa surprise.

— Alors il est encore plus aveugle que je ne le croyais, dit-il d’un ton glacial.