CHAPITRE IV

Qui-Gon était dans ses quartiers lorsqu’il reçut l’ordre de se présenter immédiatement devant le Conseil des Jedi. Sans doute lui demanderait-on un rapport détaillé sur ce qui était arrivé à Obi-Wan.

Il se leva avec un soupir. Il était revenu au Temple pour trouver la paix. Et, à la place, il devait revivre sans cesse le même dilemme.

Néanmoins, nul ne pouvait ignorer une requête du Conseil Jedi, composé des meilleurs Maîtres Jedi. Si ceux-ci voulaient que Qui-Gon comparaisse devant eux, il n’allait pas refuser.

Qui-Gon entra dans la salle du Conseil. Celle-ci était située tout en haut d’une des tours du Temple. Les tours et les méandres de Coruscant se découpaient derrière les verrières qui s’élevaient du sol au plafond. Le soleil se levait à peine et teintait les nuages de ses lueurs orangées.

Qui-Gon alla se tenir au centre de la pièce, se courba en signe de respect, et attendit. Comment aborderaient-ils la question ? Mace Windu, dont les yeux sombres pouvaient vous transpercer comme des charbons ardents, lui demanderait-il pourquoi il avait abandonné un garçon de treize ans au beau milieu d’une guerre ? Saesee Tiin murmurerait-il que ses actes étaient le fruit d’un cœur généreux mais impulsif ? Qui-Gon avait comparu devant le Conseil bien plus souvent que la majorité des Jedi. Il pouvait facilement deviner ce que chacun dirait.

Yoda ouvrit la séance :

— Sur un sujet de la plus grande importance, nous vous avons appelé. Secret, il doit rester. Une série de vols, nous avons découvert.

Qui-Gon s’attendait à tout… sauf à ça.

— Ici, au Temple ?

Yoda acquiesça.

— Désolé je suis, de révéler une telle chose. Les objets volés n’ont aucune valeur monétaire. Pourtant, graves, ces vols sont. À rencontre du code Jedi, ils vont.

Qui-Gon fronça les sourcils.

— Le Conseil croit-il qu’ils sont le fait d’un élève ?

Une telle chose n’était encore jamais arrivée au Temple.

— Pas encore, nous ne savons, répondit Yoda.

— Si ce n’est pas le cas, remarqua Mace Windu, une puissance inconnue a envahi le Temple. Ces deux possibilités sont intolérables et doivent faire l’objet d’investigations. (Il joignit ses doigts longs et élégants.) C’est pour cela que nous vous avons fait venir, Qui-Gon. Nous voudrions que vous dirigiez l’enquête, mais avec discrétion. Nous ne voulons pas alarmer les jeunes élèves ou avertir le voleur. Acceptez-vous ?

— Tahl, à vos côtés sera, ajouta Yoda. Vrai il est, qu’elle ne peut y voir. Mais remarquables ses pouvoirs sont.

Qui-Gon acquiesça. Il partageait l’avis de Yoda. Tahl était réputée pour son intelligence et son intuition.

— Pour l’instant, reprit Mace Windu, les vols sont de peu d’importance. Mais une menace infime peut en annoncer une plus grande. Qu’elle provienne de l’intérieur ou de l’extérieur, elle est bien réelle. Soyez prudent, Qui-Gon.

— Oui, Yoda m’a prévenue, dit Tahl à Qui-Gon qui l’avait rejointe dans ses quartiers. Il m’a réveillée pour m’annoncer la mauvaise nouvelle. Ce n’est pas une façon idéale de commencer la journée.

Tahl eut ce demi-sourire ironique que Qui-Gon lui connaissait bien. À six ans, elle avait déjà une langue assez acérée pour remettre à leur place les orgueilleux et décontenancer les brutes. Ils avaient suivi leur initiation ensemble. Et Tahl passait difficilement inaperçue, avec sa peau couleur de miel sombre et ses yeux verts pailletés d’or.

Aujourd’hui, il n’y avait plus la moindre étincelle de vie dans ses yeux. Elle était toujours aussi belle, mais elle portait les stigmates de ce qu’elle avait enduré. En voyant la cicatrice qui courait de son arcade sourcilière à son menton, Qui-Gon sentit son cœur se serrer.

— On m’a dit que les guérisseurs sont passés à ton chevet hier, dit-il.

— Oui, c’est aussi pour ça que Yoda est venu me voir. Il voulait s’assurer que je me remettais. Ils m’ont annoncé que je ne recouvrerais jamais la vue, dit-elle, son fameux demi-sourire aux lèvres.

À cette terrible nouvelle, Qui-Gon se laissa tomber sur une chaise. Heureusement, elle ne pouvait voir son visage crispé par la douleur !

— Je suis désolé.

Tout comme Tahl, il avait espéré que les guérisseurs de Coruscant pourraient lui rendre la vue.

Elle haussa les épaules :

— Yoda m’a dit qu’on avait besoin de moi pour mener cette enquête. Je pense qu’il m’a confié cette mission pour me changer les idées.

— Je peux trouver un autre équipier, si tu préfères, dit Qui-Gon. Le Conseil comprendra.

Elle lui tapota gentiment la main, puis chercha la théière.

— Non, Qui-Gon. Yoda a raison, comme toujours. Si le Temple est menacé, je veux me rendre utile. Une tasse de thé ? (Elle palpa la théière.) Il est encore chaud.

— Laisse-moi faire, répondit Qui-Gon.

— Non, rétorqua Tahl. Il faut que je m’habitue à me débrouiller seule. Si nous devons enquêter ensemble, tu dois en être conscient.

Qui-Gon acquiesça, puis réalisa qu’elle ne pouvait voir son geste. Lui aussi devrait s’habituer à cette nouvelle Tahl. Elle avait perdu la vue, mais ses perceptions étaient plus affinées que jamais.

— Très bien, dit-il. Je veux bien du thé.

Tahl tâtonna pour trouver une tasse.

— Sais-tu ce que j’ai fait ces dernières semaines ? Je me suis exercée. Les Maîtres m’apprennent à développer mon ouïe, mon odorat et mon toucher. J’ai déjà fait des progrès remarquables. Je ne savais pas que je pourrais avoir l’ouïe aussi aiguisée.

— Et moi qui croyais que c’était ta langue qui était acérée.

Elle éclata de rire tout en stabilisant la tasse, puis versa le thé.

— Et Yoda m’a réservé une surprise. Pas vraiment bonne, je dois dire, mais ne va jamais le lui répéter. Il…

— Un centimètre plus à gauche ! fit soudain une voix musicale derrière eux.

— Par les galaxies ! s’exclama Tahl en s’arrosant le poignet de thé.

Qui-Gon lui tendit une serviette. Il se retourna et vit un droïde entrer dans la pièce. Il arborait l’habillage argenté d’un droïde de protocole, mais aussi des accessoires supplémentaires. On avait rajouté des sensors sur sa tête et ses bras étaient plus longs. Ceux-ci jaillirent soudain et prirent la lasse des mains de Tahl.

— Vous voyez, Maîtresse Tahl, vous avez renversé le thé, fit le droïde.

— Parce que tu m’as fait peur, espèce de boîte de conserve recyclée ! répondit Tahl. Et ne m’appelle pas Maîtresse Tahl.

— Certainement, Monsieur.

— Eh, c’est moi, l’aveugle ! Je ne suis pas un « monsieur ». Je suis une femme.

Qui-Gon tenta de dissimuler son sourire.

— Qu’est-ce que c’est ? fit-il en désignant le droïde.

— Je te présente la surprise de Yoda, répondit Tahl avec une grimace. 2JTJ, dit Deuji. C’est un droïde personnel de navigation. Il détecte les obstacles et je peux le programmer pour qu’il m’emmène là où je veux. Il est ici pour m’assister au quotidien jusqu’à ce que je puisse me débrouiller seule.

— C’est plutôt une bonne idée, remarqua Qui-Gon en voyant Deuji nettoyer le thé et en verser une autre tasse, le tout avec rapidité et efficacité.

— Je préfère encore me cogner aux murs, grogna Tahl. C’est gentil de la part de Yoda, mais je n’ai pas l’habitude d’être suivie partout. Je n’ai jamais pris de Padawan.

Qui-Gon but son thé, songeur. Jadis, il raisonnait comme Tahl. Après que Xhanatos, son premier Padawan, eut détruit tout lien d’honneur et de loyauté entre eux, il avait refusé d’en prendre un autre. Puis Obi-Wan était entré dans sa vie.

— Pardonne-moi, Qui-Gon, dit gentiment Tahl. Cette remarque était de trop. Je sais qu’Obi-Wan te manque.

Qui-Gon reposa soigneusement sa tasse :

— Je ne t’aide pas à verser le thé, et toi tu te dispenses de me dire ce que je ressens, d’accord ?

— Eh bien ! peut-être ne le sais-tu pas encore, mais il te manque, répondit-elle.

Agacé, Qui-Gon se leva.

— As-tu oublié ce qu’il m’a fait ? Il a emprunté mon chasseur stellaire pour détruire ces tours de déflection. S’il s’était fait abattre, tu serais morte sur Melida/Daan !

— Je ne te connaissais pas ce talent : voir ce qui aurait pu se produire. Ce doit être bien pratique.

Qui-Gon se mit à faire les cent pas.

— Si je ne l’en avais pas empêché, il l’aurait volé une seconde fois, nous laissant coincés sur cette planète.

Du pied, Tahl poussa la chaise de Qui-Gon.

— Assieds-toi, Qui-Gon. Tu me rends nerveuse. Écoute, si je ne reproche rien à Obi-Wan, pourquoi l’accables-tu ? C’est ma vie qui était en danger, après tout.

Qui-Gon ne s’assit pas, mais cessa de marcher. Tahl pencha la tête de côté pour percevoir son humeur.

— C’était un coup dur, dit-elle d’un ton radouci. Tu es parti d’un côté, Obi-Wan de l’autre. Il me semble que tu es le seul à rejeter la faute sur ce garçon. Et ce n’est qu’un enfant, Qui-Gon. Ne l’oublie pas !

Qui-Gon garda le silence. Une fois de plus, il devait parler du départ d’Obi-Wan. Or, il ne voulait pas en débattre, ni avec Tahl, ni même avec Yoda. Personne ne savait à quel point il s’était investi dans ce garçon durant cette brève période. Personne ne savait à quel point sa décision l’avait blessé.

— Peut-être devrions-nous revenir à notre priorité, l’enquête, finit-il par dire. Nous perdons du temps.

— C’est vrai, convint Tahl. Je pense que le Conseil a raison. Nous ne pouvons prendre tout ceci à la légère. Le danger est bien réel.

Qui-Gon se rassit :

— Par où commençons-nous ? Tu as une idée ?

— Lorsque tu ne sais pas par où commencer, autant suivre la piste la plus évidente. L’un des vols a eu lieu dans une zone à accès semi-restreint, remarqua Tahl. Il manque des dossiers relatifs à certains étudiants. Nous n’avons qu’à vérifier qui a accès aux registres du Temple.