CHAPITRE XVIII

Cette visite acheva de désespérer Obi-Wan. Si Wehutti refusait de s’en mêler, la guerre devenait inévitable.

Qui-Gon cheminait à ses côtés, plongé dans ses pensées. Obi-Wan n’avait aucune idée de ses cogitations. Rien d’inhabituel à cela. Même lorsqu’il était encore son Padawan, Qui-Gon lui faisait rarement part de ses réflexions.

En tournant au coin d’une rue, ils manquèrent de percuter Nield. Surpris, celui-ci les évita de justesse. Il ne les regarda pas ; il eut plutôt l’air de regarder à travers eux, comme s’ils étaient invisibles.

Obi-Wan ralentit l’allure. Il ne s’habituait toujours pas à subir de plein fouet la haine de son ancien ami.

— Tu m’as dit que Nield te reprochait d’être un étranger, remarqua Qui-Gon. Est-ce juste parce que tu t’opposais à la destruction des Parcs du Souvenir, ou y a-t-il autre chose ?

— C’est là que tout a commencé, répondit Obi-Wan. Mais c’est bien pire maintenant.

— Depuis la mort de Cerasi ?

Obi-Wan acquiesça.

— Il… il dit que c’est ma faute. Que j’aurais dû veiller sur elle au lieu de chercher à entraver la destruction des Parcs. Que c’est à cause de moi si elle s’est trouvée là, à ce moment précis.

Qui-Gon lui jeta un regard.

— Et toi ? Qu’en penses-tu ?

— Je ne sais pas.

— Nield t’accuse, reprit Qui-Gon, parce qu’il tremble à l’idée d’être, lui, le vrai responsable. Sans son entêtement à propos des Parcs, Cerasi serait encore parmi nous. Mais, plus que tout, il redoute de l’avoir tuée lui-même, tout comme Wehutti. Tous deux ont peur d’avoir tiré le coup fatal.

Obi-Wan hocha la tête, incapable de prononcer un mot. Il lui était impossible de penser à cette journée sans être submergé par la douleur et la culpabilité.

Qui-Gon s’arrêta net.

— Tu n’es aucunement responsable de sa mort, Obi-Wan. Ce que tu ne peux prévoir – l’imprévisible précisément –, tu ne peux l’empêcher d’advenir. Ta seule possibilité est de faire ce qui te semble juste, dans cette situation comme à chaque instant de ta vie. Nous pouvons planifier, espérer ou craindre l’avenir. Mais savoir avec certitude de quoi il sera fait, nous ne le pouvons pas.

Faire ce qui te semble juste, dans cette situation comme à chaque instant de ta vie. Qui-Gon faisait-il allusion, de façon détournée, à sa décision de rester sur Melida/Daan ? Obi-Wan sentit une bouffée d’espoir monter en lui. Lui aurait-il pardonné ?

Qui-Gon se remit en marche.

— Ainsi, nous avons deux hommes anéantis par la souffrance, chacun secrètement terrifié d’avoir tué la personne qui lui était la plus chère au monde. Un seul accident tragique suffit parfois à déclencher une guerre. Pour faire renaître la paix, suffirait-il de trouver la réponse à cette question : Qui a tué Cerasi ?

Qui-Gon n’avait pas abordé le sujet de la trahison d’Obi-Wan. Il se concentrait sur le problème actuel. Comme il le devait. Sa compassion pour Obi-Wan était certaine. Pas son pardon.

— Mais comment découvrir qui a effectivement porté le coup fatal ? demanda Obi-Wan. Wehutti disait vrai : la plus grande confusion régnait. Nield et Wehutti sont tous deux des coupables potentiels.

Il s’arrêta net. À sa grande surprise, Obi-Wan constata qu’ils étaient revenus sur les lieux où Cerasi avait été abattue.

— Obi-Wan, ordonna Qui-Gon, dis-moi tout ce que tu as vu ce jour-là.

— Nield et ses forces étaient là, répondit-il en tendant le doigt. Wehutti là, et moi, ici. Ils avaient levé leurs armes et échangeaient des insultes. Cerasi a surgi de la grille de la fontaine. Je l’ai vue…

La gorge d’Obi-Wan se serra. Il s’éclaircit la voix et continua :

— Je n’en croyais pas mes yeux, de la trouver ici. Elle se mit à courir, moi aussi, et j’ai entendu les tirs de blaster… Je ne sais pas d’où ils provenaient, alors j’ai continué de courir. J’avais si peur, mais je n’ai pas été assez rapide. Elle est tombée… Il faisait si gris, si froid. Elle frissonnait…

— Un instant, l’interrompit soudain Qui-Gon. Tu me racontes cette histoire comme le ferait un ami en deuil. (Son ton se radoucit.) Je sais à quel point cela t’est pénible. Mais tu ne dois pas laisser tes émotions déformer les faits. Fais-moi un compte rendu impartial, comme doit le faire un Jedi. Muselle tes sentiments. Décris-moi ce que ton esprit a vu. Maintenant. Ferme les yeux.

Obi-Wan obéit. Il prit le temps de se calmer, puis chercha un espace dégagé où il pourrait redonner vie à ses souvenirs. Enfin, il apaisa son esprit, calma sa respiration.

— Avant de la voir, j’ai entendu le raclement de la bouche d’égout. J’étais déjà tourné vers la gauche. D’un coup d’œil, elle a embrassé toute la scène. Elle s’est hissée du trou. À peine ses pieds eurent-ils touché le sol qu’elle s’est mise à courir. Elle a sauté par-dessus le rebord de la fontaine. Un bref instant, je me suis tourné vers la droite. Nield avait l’air surpris. J’ai vu Wehutti du coin de l’œil. Il…

Obi-Wan suspendit sa phrase, décontenancé par la netteté de l’image qui venait de surgir de sa mémoire.

— Il abaissait son blaster, reprit-il, étonné. Il n’a pas tué Cerasi.

— Continue, insista Qui-Gon.

— Je me suis mis à courir à mon tour, et j’ai perdu Nield de vue. Je me dirigeais vers Cerasi. J’ai vu briller un éclair au sommet de l’immeuble à l’autre bout de la place. J’ai espéré que le soleil ne m’éblouirait pas. Je devais englober tout l’espace. J’ai entendu un tir de blaster. C’est alors qu’elle est tombée.

— Ouvre les yeux, Obi-Wan. J’ai une question à te poser.

Obi-Wan obéit.

— Tu ne m’as pas dit que le ciel était gris ce jour-là ? Nuageux ?

Obi-Wan acquiesça.

— Alors comment le soleil pouvait-il se refléter sur le rebord d’un toit ?

Qui-Gon posa ses mains sur les épaules d’Obi-Wan et le fit pivoter.

— Regarde. Là, tout en haut. Est-il possible que, en fait, tu aies vu quelqu’un qui se tenait sur ce toit ? Cette lueur pouvait-elle être l’éclair d’un tir de blaster ?

— Oui, fit Obi-Wan, soudain surexcité. C’est une possibilité.

— Une dernière question, poursuivit Qui-Gon. Tu m’as dit que ce jour-là, les Anciens étaient armés. Mais c’était avant qu’ils ne fassent venir les armes de l’extérieur. Où les ont-ils trouvées ? Si tu avais récupéré toutes les armes pour les remiser dans un entrepôt, comment les Anciens ont-ils pu se constituer un nouveau stock ?

— Je ne sais pas, répondit Obi-Wan. J’ai présumé qu’ils les avaient fait venir en douce de l’extérieur.

Qui-Gon eut un sourire glacial.

— Tu as présumé ? Voilà qui n’est guère digne d’un Jedi.

Obi-Wan tenta de cacher son découragement. Qui-Gon avait raison. Il avait perdu cette discipline mentale que chaque Jedi se devait d’acquérir. Il venait d’en donner la preuve à Qui-Gon.

Maintenant, son ancien Maître lui ferait encore moins confiance qu’avant.