CHAPITRE XXIII
Vingt heures durant, Marc travailla sans trêve ni repos. Poser le désintégrateur au ras du sol... viser... tirer... parcourir les cent ou deux cents mètres creusés selon la nature du sol... nouvelle visée... nouveau tir...
Une immense fatigue pesait sur ses épaules, des crampes déchiraient ses muscles, ses articulations grinçaient à chaque mouvement.
Pendant ce temps, Ray s'était attaqué à la base de la colline. Il avait disparu dans l'étroit tunnel foré par le désintégrateur. Il y régnait une chaleur torride qui obligeait par moments l'androïde à reculer pour laisser refroidir ses composants qui approchaient d'une température critique. Deux fois, il dut retourner au vaisseau pour reconstituer sa réserve d'énergie.
Marc redressa son échine douloureuse et s'essuya le front. D'un geste machinal, il suça une tablette nutritive. Derrière lui, s'étendait un sillon rectiligne d'un mètre de profondeur. Emergeant de la tranchée, il fut surpris de voir le fleuve tout près, à moins de cent mètres. L'appel de Ray le fit tressaillir.
-Le tunnel est achevé. Attends-moi avant de terminer.
Marc se laissa tomber sur le sol, abruti de fatigue. Malgré sa résistance, il allait plonger dans un profond sommeil quand Ray se posa près de lui. -Pour un simple humain, tu as bien travaillé, ironisa-t-il. Ne bouge pas, je termine la besogne.
Il tendit le bras. Le désintégrateur détruisit le mur de terre qui les séparait encore du fleuve. Le fossé se remplit aussitôt d'eau.
Emerveillé, Marc regardait le liquide qui progressait dans la terre sèche qui en absorbait une grande quantité. Appelé par Ray, le module se posa près des Terriens.
-Conduis-moi auprès de notre amie, je veux assister à l'arrivée de l'eau.
Parvenu à côté de l'entité végétale, il attendit plusieurs minutes. Rien n'apparaissait dans la rigole éclairée par les rayons du soleil. -Espérons qu'il ne s'est pas produit un éboulement dans ton tunnel.
-Un peu de patience ! La terre est très sèche. Il faut attendre qu'elle se gorge d'humidité pour laisser l'eau s'écouler.
De fait, moins d'un quart d'heure plus tard, un mince ruisselet atteignit l'énorme buisson anciennement fleuri, paraissant hésiter à avancer, à exister même. A chaque mètre de progression, l'eau disparaissait, absorbée par un sol déshydraté et il fallait l'arrivée de la vague suivante pour que la progression reprenne.
Une bouffée de joie, mêlée d'orgueil envahit l'esprit de Marc. Son appel fut d'une intensité telle que l'entité le perçut. -Qu'arrive-t-il, ami ? -L'eau, l'eau, elle coule ! Tu es sauvée.
En quelques secondes, l'entité devina le travail effectué.
-Je te devrai la vie. Une puissante technologie à la disposition d'un esprit généreux est un idéal que le monde ne connaît guère.
-Maintenant, je pense que tu as mérité un bon somme, ironisa Ray.
***
Il sembla à Marc qu'il venait à peine de s'endormir lorsqu'un appel retentit dans le haut-parleur situé à la tête de son lit. -Un appel du service. Khov veut te parler.
Grognant et jurant, Marc se leva pour enfiler sa combinaison de spationaute. Un coup d'oeil sur l'horloge murale lui révéla qu'en réalité il avait dormi huit heures d'affilée. En hâte, il gagna le poste de pilotage à l'instant où le visage du général s'affichait sur l'écran.
-Il est amusant de vous réveiller une seconde fois. Vous vous doutez que votre rapport a déclenché un bien joli scandale. Le vieux Mac Kenzie crie son innocence et parle d'une machination. La commission veut vous entendre et la Sécurité Galactique doit examiner les cristaux mémoriels de Ray pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'un habile montage. Le Service n'a pas réussi à localiser le lieu où vous vous trouvez mais vous avez ordre de regagner la terre au plus vite.
L'écran éteint, Marc se leva en soupirant.
-Tu as entendu le général, Ray. Prépare le décollage.
-Prends le temps d'absorber une ration-repas.
Marc se servit au distributeur automatique. Il avala rapidement quelques cubes gélatineux pompeusement baptisés "suprême de volaille". Aucun risque de s'étrangler avec un os !
Il concentra son esprit et, cette fois, obtint aussitôt le contact avec l'entité végétale, très distinct quoique encore faible.
-Je suis triste que tu doives repartir aussi vite, Marc. L'eau s'infiltre en douceur dans le sol. Si cela continue ainsi, dans trois mois j'aurai retrouvé toute ma vitalité.
-J'en suis très heureux. Quand est arrivé ce satané kalkas ?
-Il y a trente années environ. Il a fallu un bien malheureux hasard pour que le météorite à l'intérieur duquel il se trouvait, atterrisse à si peu de distance de moi.
-Lorsque je suis venu la première fois, je n’ai rien noté.
-C'était encore un buisson qui profitait de mon ombre pour se protéger du soleil. Lorsque j'ai su qu'il était une créature pensante, j'avoue avoir éprouvé une joie égoïste. C'était un plaisir de pouvoir à tout moment échanger des pensées. Ce bonheur a cessé lorsque je me suis aperçu qu'il capturait des proies pour accélérer sa croissance. Les animaux étant nombreux, il a pu ainsi grandir très vite. Il a agi avec beaucoup d'intelligence en étirant ses racines autour des miennes. En période de sécheresse, il bénéficiait en priorité de l'eau disponible. J'espérais que nous aurions partagé équitablement mais il n'en a rien été. Quand je me suis rendu compte du désastre, il était trop tard pour réagir et je ne sais si j'en aurais été capable. Je ne suis pas de la race des combattants. -Tout rentre dans l'ordre maintenant Je décolle dans deux minutes car j'ai reçu des ordres. -Au revoir, ami, et grand merci. Dans trois mois contacte-moi. J'espère avoir alors retrouvé ma puissance d'autrefois et, même h longue distance, nous pourrons bavarder.
Marc s'installa sur le siège du copilote et commença à boucler ses ceintures. Les propulseurs ronflèrent doucement.
-Je ne voudrais pas paraître récriminer, dit Ray, mais tu oublies les satellites-tueurs. Nous n'aurons pas atteint la vitesse nécessaire pour une plongée dans le subespace avant d'être sortis de l'ombre lunaire qui nous protège.
-Il n'y a pas de risque. Les antennes radar des satellites sont dirigées vers la périphérie et non vers la planète. Ils ne nous détecteront pas avant que nous ayons franchi leur orbite.
Ray fit effectuer un rapide calcul par l'ordinateur.
-Même ainsi, il nous faudra encore trois minutes et vingt-deux secondes.
-Nous verrons à improviser !
Dans un sifflement aigu, le Mercure s'arracha du sol tandis que Marc était cloué sur son siège par une chape de plomb. Toujours en accélération maximale, l'astronef ne tarda pas à émerger de l'ombre lunaire. Un satellite apparaissait maintenant sur l'écran de visibilité extérieure.
-Espérons qu'il n'est pas équipé d'un rétroviseur, grinça Ray.
Les muscles crispés, Marc s'attendait à voir à tout moment la lueur caractéristique du départ d'un missile. Rien ne se produisit.
-Attention, souffla Ray. Cette fois, nous entrons dans le champ de ses détecteurs. Branche la vidéo-radio.
Moins de cinq secondes plus tard, une voix métallique résonna dans le haut-parleur :
-Vous êtes dans une zone interdite. Dernier avertissement avant que nous ouvrions le feu !
Marc s'empressa de répondre :
-Nous nous sommes rendu compte de notre erreur. Nous nous éloignons de la zone interdite. Faites les vérifications.
Plusieurs secondes d'une lourde tension.
-Il est exact que vous vous écartez. Vous devez avoir quitté la zone interdite dans trois minutes sinon. ..
Soulagé, Marc éclata de rire tandis que Ray disait :
-Ces casseroles ambulantes ne sont pas futées. Tu devrais conseiller à l'amiral Neuman de changer leur programmation.
-Et aussi lui expliquer que nous nous sommes promenés en territoire défendu sans son autorisation. Merci ! J'en aurais pour des semaines à fournir des explications et des excuses.