CHAPITRE V

Les rayons du soleil éveillèrent Marc. D'un geste machinal, il chercha Ika à son côté mais il ne la trouva pas. Aussitôt la pensée de Ray l'atteignit.

-Elle s'est levée à l'aube. Elle est maintenant à la rivière avec une bonne partie des habitants du village.

En se redressant, Marc aperçut de nombreuses silhouettes qui barbotaient dans l'eau pour leurs ablutions matinales.

-Avale ces tablettes nutritives. Tu as besoin de récupérer des forces car je sais que ta nuit n'a guère été reposante.

-Toi aussi, tu n'as pas été un parfait modèle de discrétion !

-J'avoue que cette petite m'inspirait. Elle avait beaucoup à apprendre et je me suis efforcé d'être un excellent enseignant. Je crois qu'elle se souviendra longtemps de la leçon.

-J'espère que nos contributions à l'éducation des peuplades primitives ne figureront pas dans ton rapport.

Une mimique très humaine éclaira le visage de Ray. Il n'avait pas été long à apprendre comment censurer ses prises de vues sans que les techniciens puissent déceler la moindre anomalie.

-Rassure-toi, j'ai coupé mes circuits au bon moment. Je sais que les officiels ont horreur de voir les agents batifoler avec les beautés locales.

-Et encore moins de savoir que les androïdes jouent les séducteurs même si ce n'est que dans un but didactique. Viens, un bain me rafraîchira l'esprit.

Les prouesses nocturnes des Terriens avaient stimulé l'imagination des hommes car plusieurs couples s'ébattaient dans les hautes herbes sans se soucier d'être vus.

-Ils manquent encore de technique, ricana Ray. Nous pourrions ouvrir un cours d'éducation sexuelle.

-Ce n'est pas le but de notre mission, maugréa Marc.

Devant le regard intéressé que lui lançait une femme d'un âge certain, il s'empressa de plonger dans la rivière. Pour être certain d'échapper à son admiratrice, il resta une bonne demi-heure dans le cours du torrent. Heureusement pour lui, l'eau n'était pas froide !

Quand il sortit du bain, tous les indigènes avaient regagné le village. Les hommes étaient maintenant assis en rond sur le sol, entourant le druide. Ika, souriante, la mine radieuse, avança vers lui.

-Tu devrais te joindre à eux. Ils discutent pour savoir qui ira chercher du bois car nous avons épuisé les dernières branches. Les palabres dureront plusieurs heures. Si tu le peux, évite cette corvée, c'est la plus dangereuse.

Marc et Ray s'assirent derrière Holk qui leur jeta un regard dépourvu d'aménité. Chaque fois que le druide prononçait un nom, l'intéressé se lançait dans une longue tirade, expliquant toutes les besognes déjà accomplies pour le village.

Enfin Kulsa se tourna vers Marc qui déclara, avant même d'être questionné : -Nous venons d'arriver. Pour vous remercier de votre hospitalité, il est juste que nous participions à votre travail. Nous irons ramasser le bois.

La proposition fut acceptée à l'unanimité par les hommes fort soulagés. Ils se levèrent vite et la plupart regagnèrent les huttes pour reprendre leur sieste. Resté seul avec les Terriens, le druide prononça d'une voix grave :

-Souvenez-vous que seules les branches mortes peuvent être récupérées. Il est interdit de toucher aux arbres. -Nous le savons !

Mû par un dernier scrupule, Kulsa murmura : -Prenez garde. La forêt dissimule de dangereuses créatures. -Les pulks ?

-D'autres également encore plus sournoises. Les pires sont les mangeurs de viande. Si vous apercevez des hommes, fuyez aussi vite que vous le pourrez. Surtout, s'ils vous poursuivent, ne les conduisez pas au village. Ce serait un grand malheur pour nous.

-Vous êtes assez nombreux pour vous défendre !

Kulsa eut un sursaut d'indignation.

-Nous ne devons pas verser le sang ! L'année précédente, un groupe de mangeurs de viande est venu. Heureusement, ils n'étaient guère nombreux, trois ou quatre. Nous avons discuté très longtemps puis ils sont repartis en se contentant d'un solki.

Le druide arrêta ses confidences. Il désigna le soleil levant.

-Allez dans cette direction. La dernière corvée avait noté plusieurs arbres morts.

Les Terriens sortirent du village après avoir ramassé sur un tas d'ordures deux haches de silex négligemment abandonnées par leur dernier utilisateur.

Ils marchèrent une demi-heure, sans faire de mauvaises rencontres mais également sans trouver le moindre arbre mort. A peine quelques minuscules branches. Ils parvinrent à une petite clairière.

-Nous n'allons pas tourner en rond tout le jour, grogna Marc qui s'appuya sur son épieu pour se reposer. Utilise tes antigrav et repère un beau tronc.

L'androïde secoua la tête.

-Mes détecteurs biologiques perçoivent une présence. Sois sur tes gardes.

Effectivement, moins de trente secondes plus tard Holk apparut. Il portait une branche grossièrement taillée en massue. Les traits du visage contractés, il avança vers Marc. Devant le regard furieux du primitif, le Terrien fut aussitôt sur ses gardes. Avec un cri rauque, Holk leva sa massue et l'abattit, visant le crâne de son adversaire. Un léger saut en arrière permit à Marc d'éviter le coup. -Pourquoi, Holk ? Hier nous étions amis...

Déjà l'autre repartait à l'attaque. Nouvelle esquive de Marc qui, cette fois, riposta du bout non effilé de son épieu. Un coup sec sur la main droite. La douleur obligea Holk à lâcher son arme. Il resta un moment immobile regardant sa massue à terre puis il s'enfuit en courant. A peine eut-il fait dix pas qu'il trébucha sur une liane tendue au ras de terre. Il s'affala sur le sol, poussant un hurlement de terreur. La liane devait être fort gluante car Holk secouait frénétiquement sa jambe sans pouvoir se dégager. A cet instant une créature monstrueuse émergea du dessous des fougères. Un scorpion géant ! Plus d'un mètre de long, des pinces impressionnantes et une longue queue dressée au-dessus du corps, terminée par un énorme dard. -Ray, émit Marc, à toi !

L'androïde réagit avec sa précision électronique. Un long bond en avant, suivi de la projection de son épieu. Propulsé avec force, le javelot improvisé transperça le thorax de l'animal avant de se ficher profondément dans le sol.

Immobilisé à un mètre de sa proie, le scorpion tentait de poursuivre son avance. Ses six pattes labouraient le sol tandis que ses pinces claquaient, émettant un bruit sinistre. L'épieu oscillait d'une manière inquiétante.

-Donne-moi ta lance, dit Ray, sinon il va réussir à se dégager.

Tandis que l'androïde transfixiait la bête à plusieurs reprises, cherchant un centre vital, Marc se pencha vers Holk tremblant et livide. Son mollet était collé à un filament noirâtre de la taille d'une belle corde. Après beaucoup d'efforts, Marc réussit à sectionner le lien avec son poignard en faux silex.

Il aida Holk à se relever, l'entraîna à l'écart. Le malheureux s'assit à terre, ne pouvant contrôler les frémissements qui l'agitaient.

-Un procis... ils tendent des pièges... puis se précipitent sur ceux qu'ils capturent pour les tuer et les dévorer.

Ray revenait, tenant à la main les deux épieux.

-Cette planète n'a rien d'une annexe du paradis terrestre, ironisa-t-il mentalement.

Effaré, doutant de ses sens, Holk regardait la carcasse du scorpion encore agitée de rares soubresauts.

-Ce n'est pas possible... vous l'avez tué... vous n'aviez pas le droit...

-C'était toi ou lui, coupa sèchement Marc. Il nous fallait choisir. Toi, tu es notre ami, pas le procis.

-Mais Kolo interdit...

-Aurait-il été plus satisfait de te voir mort ?

-Je ne sais plus, balbutia-t-il. Peut-être voulait-il me punir de vous avoir attaqués ?

-Pourquoi as-tu tenté de m'assommer ?

Des larmes perlèrent aux paupières du jeune homme.

-J'ai deviné tes intentions... tu vas bientôt repartir. .. Et tu emmèneras Ika.

Marc dissimula un sourire. Dans cette société collectiviste, il avait déclenché une réaction de jalousie ! Probablement la première depuis bien des années.

-Imbécile ! Oui, nous repartirons bientôt car nous ne restons jamais longtemps au même endroit mais nous serons seuls.

Une lueur étonnée brilla dans le regard de Holk.

-Ainsi tu ne veux pas garder Ika pour toi ?

Il baissa la tête pour murmurer d'une voix timide :

-Tu m'apprendras le moyen de la faire crier comme avec toi hier ?

-Cela sera à toi de le découvrir. Pense un peu moins à toi et un peu plus à elle. Maintenant pour te punir de ta bêtise qui a failli te coûter la vie, tu nous aideras à charrier le bois !

-C'est normal, dit Holk en se levant. Il y a deux mois un orage violent a renversé beaucoup d'arbres. Nous devrions en trouver par là-bas.