CHAPITRE XXII

La première impression ressentie par Marc fut une douleur lancinante, aiguë, à la limite du supportable. Des mains de fer lui broyaient les épaules. Une plainte filtra à travers ses lèvres. -Marc... Marc...

La voix angoissée de l'androïde accéléra sa reprise de conscience. Sa vue s'éclaircit. L'écran de visibilité extérieure était entièrement occupé par une grosse sphère bleue. L'intense décélération empêchait encore tout mouvement. Les sangles, tendues à se rompre semblaient s'être incrustées dans sa chair.

-Apparemment, je suis toujours en vie, ironisa Marc.

-Cela tient du miracle ! Ne compte pas sur moi pour réaliser à nouveau une telle acrobatie ! -Avec toi aux commandes, je savais que je ne risquais rien.

-Pas de vile flatterie, cela ne prendra pas. Où comptes-tu nous faire atterrir ? -Dès que tu trouveras un endroit convenable, pose-toi ! Nous utiliserons le module pour gagner la région qui nous intéresse.

Le Mercure atteignait les couches denses de l'atmosphère. En raison de la grande vitesse, la friction des molécules d'air échauffa la coque. En dépit du climatiseur fonctionnant à pleine puissance, la température augmenta rapidement dans le poste de pilotage, le transformant en un sauna déréglé.

-Prends garde, j'actionne les rétrofusées.

La douleur au niveau des épaules s'accentua tandis qu'un méchant lutin arrachait l'estomac de Marc. L'horrible sensation s'effaça soudain. Maintenant l'aviso descendait à faible allure vers le sol.

Avec une douceur incomparable, comme s'il voulait faire oublier les manoeuvres brutales, Ray posa le Mercure sur un plateau herbeux où un fleuve sinuait paresseusement.

D'une main animée d'un fort tremblement, Marc détacha les sangles magnétiques. Il se débarrassa de sa combinaison anti-G puis remua les épaules où s'étalaient de vilains sillons noirâtres. Toujours inquiet pour son ami, l'androïde proposa: -Ne veux-tu pas passer au bloc médical ?

Eclatant d'un rire un peu forcé, Marc répondit à Ray :

-le me sens en pleine forme ! Inutile de perdre notre temps en cajoleries. J’ai hâte de voir notre amie.

Ils descendirent dans la soute abritant le module. Ray tendit à son ami une combinaison étanche.

-Enfile ce scaphandre. L'air de cette planète est respirable mais il contient des spores dangereuses qui se fixent dans les organismes humains où ils se développent insidieusement. Cela avait failli entraîner une catastrophe pour l'Union Terrienne d'où la décision d'entourer la planète de satellites-tueurs.

Marc s'habilla rapidement, vissa le casque sur sa tête, vérifia le débit d'air. Puis il rejoignit Ray déjà installé aux commandes du module. Le sas s'ouvrit automatiquement et l'engin glissa en douceur à l'extérieur.

-Ne t'inquiète pas, émit l'androïde, une désinfection poussée de l'air est prévue. -Nous ne savons pas ce qui nous attend. Branche le système de défense automatique. -Il est enclenché depuis dix secondes et fonctionne parfaitement. Nous sommes à moins de dix kilomètres de l'endroit qui t'intéresse.

Le module s'éloigna du Mercure, survolant une prairie. Il franchit ensuite une colline dont le sommet boisé ne dépassait pas cent mètres.

Marc se souvint de sa première exploration de la planète. Juste après la colline, il avait survolé une zone de plus d'un kilomètre de diamètre, couvertes de fleurs géantes de coloris variés et délicats. Elles poussaient sur un arbre bas, étirant à l'horizontale de longues branches qui prenaient ensuite un nouvel appui sur le sol pour repartir plus loin en une couronne rutilante.

Une affreuse vision frappa Marc comme un coup de poing en pleine figure ! Son amie ! Les fleurs étaient desséchées et avaient perdu leurs pétales, laissant voir des branches devenues grisâtres. Par endroits quelques bouquets colorés persistaient encore, simple témoignage d'une splendeur passée.

A côté s'élevait la forme caractéristique d'un kalkas. Quatre troncs pourpres supportaient la sphère verte et ses branches formant coupole. Toutefois l'arbre n'avait pas encore atteint la taille de celui de Nora.

Marc concentra son esprit, lançant un puissant appel psychique. Il lui sembla recevoir une réponse, très faible, indistincte,

-Aide... soif... Marc...

Une puissante onde s'imposa alors à l'esprit du Terrien.

-Qui êtes-vous ? Que venez-vous faire sur cette planète qui m'appartient ?

Aussitôt Marc reconnut la pensée du kalkas.

-Qu'arrive-t-il à la fleur voisine de vous ?

Une hilarité féroce fut perceptible dans la réponse.

-Nos racines sont emmêlées. Comme il ne pleut guère dans cette région, je prélève d'abord l'eau indispensable à mes besoins, ce qui ne lui laisse pratiquement rien. C'est la loi de nature. Le plus fort doit survivre ! Je répète ma question. D'où venez-vous ?

Marc fit le vide dans son esprit et ordonna à voix haute à Ray :

-Eloigne-toi, vite...

Le module bondit, repassant la colline.

-Le kalkas a senti un danger. Il a libéré deux pieuvres qui se postent à une centaine de mètres devant lui. Par chance, elles sont plus petites que celles dont je garde un très mauvais souvenir. Que suggères-tu maintenant ?

Etouffant un juron, Marc serra les poings.

-Il faut détruire ce maudit arbre ! Il assassine mon amie qui ne sait même pas se défendre.

-Je ne sais si la commission de non-immixtion approuvera cette initiative. Ici, il ne nous attaque pas et nous ne pourrons invoquer la légitime défense.

-Qu'importe ! Le seul fait d'être sur cette planète est déjà illégal ! Nous ne sommes plus à une entorse près aux lois. Enfin, nous ne sommes pas en mission pour le service et je n'ai aucun compte à rendre sauf si le grand ordinateur judiciaire est saisi d'une plainte. Je doute qu'il ne soit jamais informé de notre action.

Avec une inquiétude certaine, Marc ajouta :

-J'espère que tu as débranché tes enregistreurs.

-C'est fait depuis que tu m'as ordonné de calculer la plongée du Mercure. Le service n'a pas besoin de savoir à quoi nous occupons notre permission. Comment envisages-tu la suite des opérations ?

-Inutile de s'embarrasser de subtilités ! Je te dépose près du kalkas et tu agis comme sur Nora. Prends garde que ton désintégrateur ne touche pas notre amie.

Après un nouveau virage, le module atterrit près du kalkas.

-Surtout débranche ton amplificateur psychique ! Ce damné truc est capable de te prendre sous son contrôle.

-Aucun danger, je suis du genre méfiant, rétorqua l'androïde en sautant sur le sol.

Les deux pieuvres végétales agitèrent leurs tentacules. Deux secondes leur suffirent pour localiser leur adversaire. Elles s'élancèrent avec une rapidité qui ne cessait d'étonner Marc. L'éclair mauve du désintégrateur les effaça aussitôt.

L'androïde avança d'un pas rapide, étudiant la direction du vent. Il s'arrêta à bonne distance du kalkas, surveillant la grosse sphère verte d'où pouvait jaillir à tout instant une nouvelle pieuvre. Il calcula le meilleur angle de tir.

Par chance, l'entité autrefois fleurie ne dépassait pas quelques mètres de hauteur et était largement dominée par les branches du kalkas. Ray leva son avant-bras. La sphère et les tiges supérieures disparurent comme happées par une gigantesque et invisible mâchoire. Les racines pourpres furent ensuite sectionnées au ras du sol par des rayons laser.

Marc émit un appel psychique. Il obtint aussitôt une réponse nette quoique très faible.

-Je suis heureux de pouvoir communiquer avec toi. Ton aide est généreuse mais malheureusement elle vient trop tard pour moi. Toutefois, je te suis reconnaissante d'avoir détruit ce monstre qui dévorait tous mes amis les animaux.

-Que t'arrive-t-il exactement ?

-Je suis presque entièrement déshydratée. La saison des pluies n'arrivera pas avant un mois. Je serai morte à ce moment. Adieu, ami.

-Attends ! Que te faudrait-il pour survivre ?

-Seulement de l'eau mais en grande quantité ! Le kalkas a asséché le sol sur des dizaines de mètres de profondeur jusqu'à tarir la nappe phréatique. Seules des pluies abondantes pendant plusieurs semaines pourraient la reconstituer. En dépit des connaissances techniques de ton peuple, tu ne peux encore faire pleuvoir à volonté.

-Il a raison, intervint Ray.

-Avec le module, nous pourrions transporter des bidons d'eau du fleuve.

-Même si vous travaillez sans trêve, la quantité serait minime par rapport mes besoins. Cela ne ferait que retarder de quelques jours mon agonie. Il faut laisser le destin s'accomplir et savoir se résigner quand le moment de disparaître est venu.

Marc secoua la tête, la mine crispée.

-Il y a certainement une solution !

Il resta immobile plusieurs minutes. Le sort de son amie lui semblait trop injuste.

-Ray, de combien de désintégrateurs disposons-nous ?

-Il y en a un, portable, dans le Mercure sans compter celui de mon avant-bras.

-Quel est le niveau du fleuve par rapport à cette plaine ?

L'androïde chercha dans sa mémoire topographique.

-Il est environ à une dizaine de mètres au-dessus de nous.

-Dans ce cas, nous créerons un canal d'irrigation !

Ray ébaucha une grimace attristée.

-Tu oublies l'existence de la colline entre cette plaine et le fleuve.

-Nous forerons un tunnel !

-Jamais nous n'y parviendrons !

-Pour le savoir, il faut essayer ! Nous perdons du temps. Or c'est ce qui nous manque le plus car Khov ne tardera pas à exiger mon retour sur terre. Retournons au vaisseau pour prendre le matériel dont nous avons besoin.