CHAPITRE II

Une sphère bleu-verdâtre emplissait l'écran de visibilité extérieure.

-Voilà Nora, annonça Ray. C'est la quatrième planète d'un système en comportant six. Les trois plus proches du soleil sont des fournaises désertiques, les deux autres, volumineuses, très périphériques sont de gros congélateurs ambulants, constitués par de l'hydrogène et du méthane solidifié.

-Centre les détecteurs sur Nora.

-C'est fait. Les premières données ne tarderont pas à sortir.

La voix synthétique de l'ordinateur résonna bientôt.

-Masse 0,9 de la Terre. Rotation sur son axe en 22 heures 18 minutes, décrit son ellipse autour du soleil en 395 jours. L'axe à peine incliné entraîne des saisons peu contrastées. Les pôles sont couverts de glace. Les océans occupent 75% de la surface du globe. Il existe de nombreuses îles mais surtout un continent principal de forme ovoïde qui s'étend du nord au sud, séparé longitudinalement par une imposante chaîne de montagnes. Les forêts recouvrent la quasi-totalité des terres émergées sauf au voisinage des pôles où s'étend une toundra.

La planète grossissait rapidement sur l'écran. En de rares endroits apparaissaient des cercles bruns évoquant d'anciens volcans mais de faible altitude.

-Place l'astronef sur une orbite basse, dit Marc. Il nous faut un enregistrement détaillé de la surface du globe.

-Cela prendra plusieurs heures, grogna Ray.

-C'est indispensable si nous voulons avoir une chance de repérer un village dans ce fatras végétal.

Marc passa la main sur ses joues râpeuses. Il ne s'était pas rasé depuis son départ de New-York. Réflexe d'un professionnel qui sait que les primitifs ne disposent pas de salon de coiffure !

-Je file au bloc sanitaire m'offrir un bain relaxant. Qui sait quand j'aurais l'occasion d'en prendre un autre ?

Trois heures plus tard, détendu, Marc reparut dans le poste de pilotage.

-Nous avons enregistré les images des trois quarts de la sphère. J'ai commencé par la région qui avait intrigué les universitaires. Elle se situe à l'ouest du continent principal, approximativement à hauteur du soixantième parallèle. Je repasse les vues sur l'écran de gauche.

Des clichés défilèrent, tous semblables, révélant une forêt qui semblait n'avoir ni commencement ni fin.

-A vous donner une indigestion de chlorophylle, ricana Marc.

Une vue attira brusquement son attention.

-Reviens en arrière ! Un gros plan sur cette région.

L'image d'abord floue devint plus nette. En un endroit, les arbres étaient moins denses. Une hutte était nettement visible. Très primitive, faite de quelques troncs et couverte d'un toit de paille. Surtout, devant elle se tenait une créature de morphologie nettement humanoïde !

-Repère les coordonnées de l'endroit, ordonna Marc.

-C'est noté. A vingt kilomètres de l'océan. Je le retrouverai sans peine.

Pendant l'heure suivante, trois autres possibilités de vie autochtone furent décelées.

-Curieux marmonna Marc, ils sont tous dans un rayon de cinquante kilomètres autour de la zone brunâtre. Voyons s'il en est de même pour les autres.

Les observations furent longues, minutieuses et fastidieuses. Au total, grâce au puissant télescope optique dont disposait le Mercure, une vingtaine de sites pouvant abriter un village furent repérés.

-Par lequel commençons-nous ? demanda Ray.

-Les universitaires verront d'un bon oeil que nous explorions la région qu'ils ont découverte les premiers. Cela leur donnera une raison supplémentaire de se congratuler.

Après un rapide calcul mental, Ray dit :

-Si nous voulons poser le module de liaison juste avant le lever du soleil, nous avons juste le temps de nous préparer.

Dans la soute, Marc se déshabilla entièrement, imité par l'androïde. Le règlement interdisait d'emporter des affaires personnelles sur une planète primitive. Ray saisit un flacon et pulvérisa un liquide brunâtre sur tout le corps de Marc. Aussitôt une épouvantable odeur empesta l'atmosphère, relents nauséabonds de crasse, de sueur, de graisse rance.

-Désolé de t'infliger ce désagrément, Marc, mais notre expérience des hommes préhistoriques nous a montré qu'ils ignoraient les charmes des blocs sanitaires. En revanche, ils possèdent un odorat très développé et la senteur de ton eau de toilette leur paraîtrait suspecte. De plus, cette mixture a un effet répulsif sur les insectes et autres agresseurs, volants ou rampants, qui sont souvent plus dangereux qu'un bon gros fauve Carnivore.

Il tendit ensuite à son ami une paire de mocassins et un pagne en similicuir.

-En l'absence d'une revue de mode récente, c'est tout ce que j'ai pu confectionner. Comme nous abordons une zone subtropicale tu ne risques pas de t'enrhumer. Prends garde, la ceinture protectrice est incorporée à la partie supérieure du pagne.

C'était une merveille de la technologie terrienne qui induisait autour de celui qui la portait un champ de force résistant aux projectiles classiques et aux rayons laser. Pour le percer, il fallait une énergie supérieure à celle du mini-générateur à fusion contrôlée dissimulé dans la boucle. Toutefois, pour ne pas attirer l'attention des indigènes, les agents avaient pour habitude de réduire au minimum l'intensité du champ. En raison de son élasticité, les coups étaient douloureusement perçus. Paradoxalement, les armes les plus primitives, haches ou massues, devenaient les plus dangereuses. Au retour de mission, Marc ne comptait plus les ecchymoses qui décoraient son épiderme. Enfin, chaque choc consommait de l'énergie, épuisant à la longue le générateur.

Ray glissa dans la ceinture de son ami un court poignard.

-Il semble taillé dans du silex mais il est en plastotitane. C'est un peu léger mais nous verrons à compléter notre armement en fonction des coutumes locales.

-Avec toi à mes côtés, je ne risque pas grand chose, plaisanta Marc.

Outre sa force phénoménale, Ray dissimulait dans son avant-bras gauche un désintégrateur et de son index droit pouvait jaillir un fin faisceau laser de haute puissance.

Marc s'installa dans le module de liaison dont l'androïde prit les commandes. C'était un cylindre dont la moitié supérieure était protégée par du plastex transparent donnant une excellente visibilité. Le véhicule s'engagea dans le sas d'éjection et la porte intérieure se referma.

-Paré pour le départ, annonça Ray.

Un panneau coulissa dans la coque et le module fut aspiré par le vide extérieur au milieu d'une myriade de cristaux d'air congelé qui se sublimèrent très vite.

L'engin entama sa descente, effectuant une série de révolutions pour compléter les observations. Maintenant, l'appareil approchait du sol dans une zone obscure, sans aucune visibilité. Marc était décontracté, confiant. Avec Ray comme pilote, il se savait en totale sécurité.

-Nous nous poserons dans cette clairière que j'ai repérée à moins de dix kilomètres du village qui nous intéresse.

-Pitié, je ne suis qu'un humain et ne possède pas comme toi une vision infrarouge et en rayon X.

-Tout le monde ne peut être parfait, ironisa l'androïde.

En douceur, le module prit contact avec le sol. Pour une fois, Marc n'eut pas un geste d'impatience et attendit sagement les résultats de l'analyse de l'atmosphère.

-Confirmation des résultats précédents. La composition de l'air est voisine de celle de la Terre en oxygène et azote. Il existe aussi un pourcentage non négligeable de gaz carbonique et de nombreuses poussières non identifiables mais assurément dénuées de toxicité.

-Une éruption volcanique récente ?

-L'hypothèse est plausible. Comme nous ne courons aucun risque, nous pouvons sortir.

Marc resta un long moment à respirer l'air chargé des mille senteurs de la forêt. Agréable contraste avec l'atmosphère conditionnée et recyclée d'un astronef !

-Le village est dans cette direction. Nous nous mettrons en marche dès les premières lueurs de l'aube. Elles ne tarderont pas.