CHAPITRE IX
-M'as-tu bien dit toute la vérité ? Le kalkas s'éloignait-il ?
La voix de Kulsa était grave, suppliante. -Je suis certain qu'il ne trouvera pas le chemin de ton village, sourit Marc. D'où sortent ces damnés monstres ?
Le druide haussa ses maigres épaules. -Il y a longtemps, alors que je n'étais encore qu'un enfant, notre village se trouvait beaucoup plus au sud. Un jour un kalkas apparut. Il a d'abord tué ceux qui se risquaient en forêt, puis il a attaqué le village. Aucun obstacle ne pouvait l'empêcher de progresser. Un fauve, lorsqu'il est repu cesse de tuer. Lui, il ne s'arrête jamais. Son appétit est sans limites. Nous avons fui le plus rapidement possible. La marche s'est prolongée des jours et des jours. Encore maintenant, je suis incapable de dire combien de temps a duré ce calvaire. Epuisés, les survivants se sont effondrés près de ce ruisseau. Il leur aurait été impossible d'aller plus loin. Pendant des semaines nous avons attendu la mort mais les monstres ne se sont pas montrés. C'est alors que nous avons bâti ce village. -Naturellement, il ne vous est jamais venu à l'idée de vous battre, ironisa Marc.
Kulsa secoua la tête en soupirant : -Ce sont des créatures de Dieu. Quelques uns de nos frères dont le jugement était obscurci par la colère ont tenté de lutter. Ils ont tous péri ! Les kalkas sont trop forts, invulnérables, très rapides. -Vous manquez également d'entraînement et de technique. Ce sont des végétaux donc ils sont sensibles au feu. N'avez-vous pas essayé d'allumer des incendies pour couvrir votre retraite ?
Une expression horrifiée parut sur le visage du druide.
-Etre la cause de la destruction de dizaines d'arbres ! Sacrilège... sacrilège ! Je suis épouvanté par tout ce que je devine dans ton esprit, Marc. Je t'en supplie, ne parle pas ainsi ! -Kolo voudrait la disparition de l'espèce humaine qu'il n'agirait pas autrement, marmonna le Terrien. -Nous sommes toujours là, s'insurgea Kulsa. -Pour combien de temps ? D'une année sur l'autre je pense que le nombre des habitants de ce village diminue en dépit des naissances. -Il est possible que nous soyons un peu moins nombreux que l'année dernière, concéda Kulsa, mais quelques bambins de plus combleront le déficit.
-Comment les nourrirez-vous ? Cette année votre récolte sera catastrophique car les arbres étouffent les cultures.
-Nous ne devons pas toucher aux arbres !
-Pourquoi pas ? Ils sont des dizaines de milliers dans la forêt alors qu'ici vous n'êtes pas une centaine.
Le druide porta la main à son front.
-Tu blasphèmes, je t'en conjure, tais-toi ! Quel but démoniaque vises-tu ?
-Aucun mais je ne peux m'empêcher de penser que les premiers druides ont mal interprété les volontés de Kolo. L'organisation de votre village est un défi aux lois naturelles. Ces règles ont sans doute eu leur intérêt il y a plusieurs siècles mais maintenant elles vous interdisent d'évoluer.
-Que leur reproches-tu ? Ici chacun vit librement et travaille pour le bonheur de tous.
Un sourire ironique retroussa les lèvres de Marc.
-Tu sais bien que c'est inexact. Chacun cherche à esquiver les corvées. Votre dogme collectiviste a créé de monstrueuses générations de paresseux dont le seul souci est de faire la sieste. Les immondices s'accumulent près des habitations et même à l'intérieur. Nombre d'enfants sont malades et meurent chaque mois.
-Dieu en décide ainsi !
-Il est bien commode de se retrancher derrière une volonté supérieure. Toutes les initiatives individuelles sont étouffées par vos règles stupides. Pourquoi s'échiner à une besogne alors qu'on est certain de ne pouvoir profiter du fruit de son travail ? Il y a plus grave encore. La mise en commun des femmes est certes très agréable mais les enfants ignorent qui est leur père. Plus tard, ils risquent de féconder leur demi-soeur, ce qui peut entraîner l'apparition de tares. N'en est-il pas ainsi avec les solkis si vous croisez les enfants d'une même portée ?
Des larmes perlèrent aux paupières de Kulsa.
-Assez ! Assez ! Pourquoi me torturer ainsi ? Depuis des années je m'interroge sans trouver de réponses.
-Il est bien que tu prennes conscience du problème. Mais les solutions ne peuvent venir que de toi ! Demain, mon camarade et moi partirons. Nous voulons savoir s'il existe d'autres villages et s'ils suivent les mêmes règles.
Le druide ne put masquer le soulagement qu'il éprouvait. Cet étranger trop perspicace le mettait mal à l'aise. Retrouverait-il ses certitudes et sa sérénité ?
-Que Kolo vous accorde sa protection pour ce voyage.
-Espérons qu'il ne sera pas occupé ailleurs !