DÉCHÉANCE
Mon royaume perdu.
J’avais autrefois un royaume tellement grand qu’il faisait le tour presque complet de la Terre.
Il me gênait. Je voulus le réduire.
J’y parvins.
Maintenant ce n’est plus qu’un lopin de terre, un tout petit lopin sur une tête d’aiguille.
Quand je l’aperçois, je me gratte avec.
Et c’était autrefois un agglomérat de formidables pays, un Royaume superbe.
L’affront.
Autrefois je pondis un œuf d’où sortit la Chine (et le Tibet aussi, mais plus tard). C’est assez dire que je pondais gros.
Mais maintenant, quand une fourmi rencontre un œuf à moi, elle le range aussitôt parmi les siens. De bonne foi, elle les confond ensemble.
Et moi j’assiste à ce spectacle la rage au cœur.
Car comment lui expliquer le cas, sans étaler toute ma honte, et même ainsi ?…
« Au lieu de venir chicaner une pauvre fourmi », dirait-elle, mortifiée…
Naturellement ! Et j’avale l’affront en silence.
Le caveau.
Je possède un caveau.
Un caveau, c’est sa forme, un hangar pour dirigeables, c’est sa taille.
Là sont mes lingots, mes joyaux, mes obus.
Il a balcon sur un puits, creusé jusqu’on ne sait où.
Tout cela était autrefois une richesse inépuisable.
Or hier, ayant fait sortir la moitié des explosifs, les ayant fait sauter à peu de distance, je n’entendis même pas le bruit, couvert qu’il était par celui d’un grillon qui, posé sur un brin d’herbe, agitait ses élytres.
Avec les lingots, je voulus payer royalement les ouvriers ; le partage fait, chacun ne trouva qu’un peu de poussière dans le creux de sa main.
Et c’étaient autrefois des rangs de richesses inépuisables.