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Pyrgus n’existait plus. Ou si peu : plus rien n’avait d’importance, à ses yeux. Il se moquait de savoir où on l’emmenait. Il se moquait de chercher à revenir au palais, ou de retrouver son nouvel ami Henry. Son cerveau fonctionnait à vide. Les contours de ses pensées étaient flous. Ses souvenirs, insaisissables, fuyants. Le jeune homme se rappelait à peine son prénom et son nom, guère plus.
Il sentait qu’on l’entourait, qu’on l’entraînait quelque part. Et cela lui était parfaitement égal. Il errait, entouré par des ombres, dans un labyrinthe de galeries souterraines, de petits tunnels qui débouchaient à tout instant sur des embranchements. Il savait toujours où il devait aller. Une voix dans sa tête le guidait.
Il eut conscience que, peu à peu, la température augmentait. Elle devint étouffante quand il déboucha dans une ville métallique. Une lumière rougeoyante se reflétait sur les surfaces polies, et, pourtant, la cité semblait plongée dans l’obscurité. Pyrgus ne s’en souciait pas. Pas plus que de la chaleur. Il ne se souciait plus de rien.
Les démons l’entraînèrent à travers des rues sombres jusqu’à une grande place. Des images confuses remontèrent alors à sa mémoire. Il avait été enlevé. Comme des millions d’Américains. Pourquoi des millions ? Les démons avaient-ils besoin de nourriture ? Pourquoi la chercher dans le Monde analogue ? Pyrgus se demanda si sa chair aurait un goût de chips, puisqu’il en avait grignoté. Mais la réponse ne l’intéressait pas.
Des démons croisèrent le cortège sans regarder le Prince. Lequel fut tenté de courir vers le magnifique palais qui se dressait devant lui. L’édifice était coiffé d’un énorme dôme surmonté d’une flèche élancée. La voix dans sa tête empêcha Pyrgus d’accélérer. Il avait le temps. Rien ne pressait. Et Pyrgus continua d’avancer au pas mesuré de son escorte.
Quelques minutes plus tard, il parvint dans une pièce spacieuse, haute de plafond. Une sorte de croisement entre une Salle du trône et une Chambre de situation : un démon en robe rouge étudiait une immense carte étalée sur une table de métal. Il leva la tête vers son prisonnier et dit d’une voix douce :
— Comme c’est aimable à vous de venir nous rendre visite, Votre Altesse le Prince héritier Pyrgus…