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Des jours et des jours avant de décrocher un rendez-vous avec Lord Noctifer ! Sulfurique fulminait. D’autant qu’il n’avait même pas obtenu mieux que de parler à un de ses sous-fifres, Harold Dingy.
Le sbire de Lord Noctifer, un homme massif à la mine patibulaire vêtu d’un costume gris argent, était accompagné d’un endolg(vi) sanguin. Il avait tenu à ce que la rencontre ait lieu au zoo. Sulfurique ne savait pas pourquoi. Ce qui l’agaçait. Beaucoup. Il tendit la main à l’armoire à glace et lança un premier mensonge :
— Ravi de vous rencontrer.
Dingy ignora la main tendue :
— Tant mieux !
— Il est réglo, patron, grogna l’endolg après avoir reniflé Sulfurique plusieurs fois. Pas d’armes. Rien que les sorts et enchantements habituels.
— M. Blafardos vous a-t-il dit pourquoi je souhaitais voir Lord Noctifer ? demanda Sulfurique.
Le vieillard avait abattu d’emblée sa plus grosse carte. Depuis le temps que cette verrue de Blafardos affirmait être un grand ami de Lord Noctifer !
— Non, lâcha Dingy.
A priori, il ne paraissait ni impressionné ni dévoré par la curiosité.
— On est obligés de parler devant les perroquets ? s’agaça Sulfurique.
— J’aime bien les perroquets.
— Il aime bien les perroquets ! répéta l’oiseau le plus proche.
Sulfurique risqua son deuxième mensonge de l’entretien :
— Moi aussi. Néanmoins, ce que j’ai à vous dire doit rester confidentiel !
— Il veut pas qu’on répète ! lança alors un perroquet d’une voix puissante.
— Bon, direction le vivarium, concéda Dingy.
Le vivarium était chaud et humide. Juste ce qui ne convenait pas aux sinus de Sulfurique. Mais, au moins, l’endroit était calme, et les lézards ne risquaient pas de rapporter les conversations.
— Je voulais parler du portail de Lord Noctifer, murmura-t-il à l’oreille de Dingy.
— Mmm ?
— Il paraît qu’il est multidirectionnel.
— D’après qui ?
— J’ai mes sources, souffla le vieillard.
Inutile de préciser lesquelles : c’est Blafardos qui avait dévoilé ce scoop un jour qu’il était ivre. Le problème étant que, quand il était ivre, Blafardos dévoilait pas mal de faux scoops.
— Il faut croire que quelqu’un a pris votre vessie pour une lanterne, ironisa Dingy. J’espère qu’il n’avait pas d’allumettes sur lui…
Sulfurique haussa ostensiblement les épaules, en homme qui connaît son affaire.
— Tant pis, grommela-t-il. Dans le cas contraire, j’étais prêt à payer cher pour l’utiliser.
— …
— Très cher.
— Alors, c’est dommage, conclut Dingy, qui fit mine de s’éloigner.
— Un instant ! Quand je dis « très cher », je veux vraiment dire « très cher ».
— Combien ?
— Un million de pièces d’or.
Dingy ne broncha pas.
— Un million pour Lord Noctifer, précisa Sulfurique. Et deux cent cinquante mille pour vous.
— Voilà qui donne à croire que vous avez un très, très grand besoin d’un portail multidirectionnel. On peut savoir pourquoi ?
Sulfurique hésita. Mentir sur un sujet aussi grave à un homme de Lord Noctifer accompagné d’un endolg capable de renifler une embrouille au premier mot de travers ? Trop dangereux. Mieux valait lâcher une demi-vérité.
— Je dois retrouver le Prince héritier.
— Pyrgus Malvae ? s’étonna Dingy sur un ton innocent. Tiens, il s’est perdu ?
— Il est dans le Monde analogue.
— Et pourquoi voulez-vous le retrouver ?
— Parce que nous avons une affaire à régler.
— Quel genre d’affaire ?
Sulfurique se jeta à l’eau :
— Je veux le tuer.
— Woh-woh, patron ! aboya l’endolg. Il veut assassiner le Prince !
Harold Dingy se pencha vers Sulfurique, l’air menaçant :
— Je vais vous accorder une faveur, monsieur Sulfurique. Une faveur qui va vous permettre d’économiser beaucoup, beaucoup d’argent. Un million deux cent cinquante mille pièces d’or. Vous m’écoutez, monsieur Sulfurique ?
Le vieillard opina en reculant d’un pas.
— Ne vous mettez pas en peine de tuer le Prince Pyrgus. Voulez-vous savoir pourquoi, monsieur Sulfurique ?
— Oui.
Un sourire effrayant barra le visage de Dingy :
— Parce qu’il est déjà mort.
— Mort et enterré, confirma Pendolg avant d’ajouter, optimiste : ou alors, mourant.
— Mort ? répéta le vieillard, blême.
Les commissures des lèvres de Dingy se relevèrent encore de quelques millimètres. L’homme avait l’air ravi quand il déclara :
— Oh, oui, monsieur Sulfurique. Bel et bien mort !