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Henry se figea, bouche bée. Ses yeux papillotaient énergiquement tandis qu’il essayait de déterminer quelle chose il avait aperçue dans la gueule de Hodge. Une petite silhouette ailée. Les ailes elles-mêmes ressemblaient à des ailes de papillon ; en revanche, la silhouette, elle…
Henry n’en revenait pas. La chose qu’il était en train d’examiner était une fée. Tout simplement. Enfin, pas si simplement que ça : les fées n’existaient pas.
D’accord, M. Fogarty croyait aux fées, comme il croyait aux fantômes et aux soucoupes volantes. M. Fogarty croyait aussi que le monde était gouverné par une conspiration secrète de banquiers suisses. Mais ce n’est pas parce que M. Fogarty croyait en quelque chose que cette chose existait.
— Hodge ! cria le garçon. Lâche ça, imbécile !
Il se jeta sur le gros matou et le prit par la peau du cou, comme font les chattes avec leurs chatons. Hodge protesta en miaulant et relâcha le… la… Bref, Hodge relâcha ce qu’il avait dans la bouche. Alors, Henry libéra à son tour le matou. L’animal le fixa d’un air accusateur et s’éloigna de deux pas avant de s’asseoir. Henry enferma la fée dans ses mains en coupe en prenant garde de ne pas froisser ses ailes.
Il écarta légèrement les doigts pour jeter un autre petit coup d’œil. La créature était un jeune homme de taille minuscule, pourvu d’ailes, qui devait être à peine plus vieux que Henry. Il portait une veste et un pantalon – non, des hauts-de-chausse vert bouteille tirant sur le marron. Ses ailes étaient grisâtres.
— Qui es-tu ? demanda le garçon.
La fée – c’était forcément une fée, une fée mâle mais une fée quand même – plaqua ses mains contre ses oreilles et essaya de s’échapper. Henry se dépêcha de placer ses pouces de manière à bloquer la sortie. Puis il redemanda, moins fort :
— Qui es-tu ?
Il se rendit compte que sa question montrait qu’il avait accepté beaucoup de présupposés.
1) Il avait admis que, comme dans les livres, la fée pouvait parler.
2) Il avait aussi admis que les fées existaient ; or, qu’est-ce que c’était, une fée ? Peut-être juste un petit insecte. Enfin, juste un petit insecte très rare.
3) Pourtant, en s’adressant à une fée en anglais, Henry avait également admis qu’une fée était peut-être intelligente (plus qu’un insecte en tout cas)… et susceptible de comprendre l’anglais.
Il ne distinguait pas très bien ce que fabriquait la fée dans ses mains ; il crut cependant voir bouger sa bouche. Aucun son n’en sortit.
— Je ne veux pas te faire de mal, dit Henry. Sans moi, le chat t’aurait mangé. Hoche la tête si tu me comprends.
La fée acquiesça. Le garçon l’emmena dans la remise et chercha du regard un bocal vide. Il en dénicha un, y déposa la créature avec précaution, puis le reboucha soigneusement. La fée porta les mains à sa gorge, comme si elle suffoquait déjà.
— D’accord, d’accord, pousse-toi…, grommela le garçon.
Il n’avait pas l’intention d’ôter le couvercle ; mais, avec son couteau de poche, il y pratiqua quelques ouvertures pour laisser passer l’air. La fée s’était installée au fond du pot tandis que Henry trouait le couvercle. À l’évidence, elle n’était pas idiote.
Bon, et maintenant, qu’allait-il en faire ? Qu’était-on censé faire quand on avait attrapé une fée ?
Il eut une idée. Il essaya de l’oublier, mais elle revenait, insistante. Il finit par céder et, conscient de sa naïveté, il chuchota :
— Est-ce que tu exauces trois souhaits ?
La fée indiqua qu’elle n’avait pas entendu. Henry s’humecta les lèvres et reprit, un peu plus fort :
— Est-ce que tu exauces trois souhaits ?
La fée opina vigoureusement, puis demanda par gestes au garçon d’ouvrir le bocal.
— Non, non, non, dit Henry sans hésiter.
Il avait l’impression de s’être laissé aller. Il n’y avait que les petits enfants pour s’imaginer que les fées exauçaient trois vœux, non ? Mais il n’y avait aussi que les petits enfants pour s’imaginer que les fées existaient… Henry était perplexe.
Peut-être M. Fogarty saurait-il le conseiller. M. Fogarty avait un avantage de taille sur Henry : il croyait à l’existence des fées, lui. Ce qui signifiait probablement qu’il les avait étudiées. Qu’il les connaissait. Même s’il n’en avait jamais vu, il avait pu lire un livre où on expliquait la marche à suivre. Avant même d’avoir balayé ses dernières objections, Henry avait glissé le bocal dans sa poche et était parti à la recherche du vieil homme.