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— Tu sais, souffla Henry à Pyrgus, aucun extraterrestre n’enlève des gens pour de bon. C’est M. Fogarty qui imagine des choses, mais ça n’est pas vrai.
— Tu es sûr ? s’étonna Pyrgus à haute voix.
M. Fogarty se retourna :
— De quoi vous parlez ?
— De rien, de rien…
Henry et Pyrgus se dépêchèrent de le rejoindre. Il avait étalé un énorme croquis sur la table. Dessus, il y avait le dessin d’une machine à l’ancienne (avec des rouages, des leviers, des engrenages), des symboles électriques et des signes cabalistiques – du moins aux yeux de Henry. À un bout, une spirale était désignée comme une « radiation éloptique ».
— Qu’est-ce que c’est ? voulut savoir le garçon.
— Une machine hiéronymique, dit M. Fogarty. Le premier portail entièrement artificiel entre les mondes analogues. Pendant que tu te la coulais douce chez toi, Pyrgus m’a décrit le portail. J’ai trouvé que cela ressemblait beaucoup à la machine hiéronymique.
— Qu’est-ce que c’est ? répéta Henry.
— On ne vous apprend donc rien, à l’école, de nos jours ? La première version de la Machine fut brevetée par Galen Hieronymus en 1949. Ça ressemble à un détecteur de métaux : grâce à lui, si on te vend un lingot d’or, tu peux vérifier que c’est bien de l’or, par exemple. Mais il y a un défaut : un utilisateur sur cinq n’arrive pas à faire fonctionner la Machine.
— Trop compliquée ?
— Non. Suffit de l’allumer, de mettre un échantillon devant le transformateur de Tesla et de lire le résultat en tapant sur le plateau de détection. Et pourtant, une fois sur cinq, ça ratait. Un certain Campbell a voulu comprendre ce qui clochait. Il a demandé à un gamin de l’essayer. La Machine fonctionnait sans problème. Elle détectait les métaux à la perfection… sauf que Campbell s’est aperçu après coup que le gamin avait oublié de l’allumer.
— C’est de l’électricité statique, conclut Henry. On croit qu’il n’y a pas d’alimentation, mais il en reste un peu des utilisations précédentes…
— Non, aboya M. Fogarty. Campbell a vérifié.
— Alors, quel était le truc ?
Une lueur ravie passa dans le regard de M. Fogarty. Henry sentit qu’il avait de nouveau posé la bonne question.
— Le truc, c’est qu’il n’y en avait pas, répondit le vieil homme.
— Il… il n’y en avait pas ?
— Non. La Machine hiéronymique fonctionnait au bluff. Il fallait y croire pour le voir.
Henry secoua la tête :
— C’est une blague ?
— Pas du tout ! On connaît l’électronique. Alors, on croit que tout ce qui ressemble de près à un engin électronique fonctionne. Quelque chose passe entre l’esprit et la machine. Sauf pour un crétin sur cinq, qui n’y croit pas.
— Ça te paraît logique ? demanda Henry à Pyrgus.
— Pourquoi pas ? Les magiciens utilisent ce principe sans arrêt, chez nous.
— Et ce n’est pas une affaire de logique, insista M. Fogarty, mais de réalisme. Cette machine marchera, point à la ligne. Enfin, à une condition : que nous la construisions.
Henry observa le plan de montage avec attention :
— Où allez-vous trouver ses composants ?
— J’en ai déjà pas mal, et je sais où me procurer des transformateurs de Tesla. Il me manque juste un ou deux petits éléments pour les circuits hiéronymiques. Pour les obtenir rapidement, je ne vois qu’une solution.
— Laquelle ?
— Que tu les voles dans ton collège, Henry.