72

Elle n’avait l’air de rien, la petite porte de la maison de Sulfurique. Pourtant, les enchantements que Holly avait apportés dans son attrape-sort ne suffirent pas à l’ouvrir ; et même Kitterick dut reconnaître son impuissance après avoir trifouillé la serrure pendant un quart d’heure.

— C’est un système de serrures et de verrous entrelacés, expliqua-t-il. Votre Sérénité, je crains qu’il nous faille recourir à une méthode plus musclée.

— Vous voulez défoncer la porte ?

— Ouh-là… non ! Mais il se trouve que j’ai sur moi un bâton de dynamite…

— Les voisins vont nous tuer !

— Pas si on y ajoute un sortilège de silence…

— La maison va s’écrouler !

— Non. C’est solide, ce genre de vieille bâtisse. À l’époque où on l’a construite, on n’avait pas encore inventé les maisons en carton…

— Alors, au travail !

Kitterick fouilla dans ses poches :

— Attendez… J’ai la dynamite… Et ce sort de silence, où est-il passé ? Ah ! Le voilà ! Majesté, reculons-nous le temps que la magie opère…

Une belle explosion silencieuse plus tard, les deux complices se retrouvèrent une fois de plus devant l’entrée – cette fois béante – de la maison.

— Restez ici, Kitterick, ordonna la Princesse. Si Sulfurique arrive, je compte sur vous pour me prévenir.

Le nain approuva :

— Le sort de silence a dû être annulé par le souffle de la dynamite. Donc, si je me mets à siffler, vous devriez réussir à m’entendre. Je siffle très bien, quand je veux…

— Je n’en doute pas, Kitterick, dit Holly Bleu en s’engageant dans la maison.

Elle se glissa à tâtons dans la première pièce, tira les rideaux et alluma les lumières. De toute façon, en voyant sa porte, Sulfurique comprendrait qu’il avait été visité. Alors…

La jeune fille regarda autour d’elle. Elle se trouvait dans un salon poussiéreux, encombré de meubles bancals. Près de la cheminée, un fauteuil plus qu’à moitié défoncé, à côté duquel on avait posé une tasse vide. Holly imaginait le vieil homme, sirotant son maigre quatre heures au coin d’un feu vacillant. Elle l’imaginait très bien. Et elle en conclut que quelque chose clochait.

Sulfurique n’était pas du genre à se laisser mourir dans la misère. Un sorcier, qui plus est, capable d’invoquer les démons, ne vit jamais dans la misère. Tout cela n’était donc qu’illusion. Mais comment dissiper le sortilège ? Elle-même n’en possédait pas le pouvoir. Sulfurique était très fort ! Holly Bleu avait beau savoir que le décor ne ressemblait pas à ce qu’elle voyait, la poussière qui n’existait pas lui montait à la gorge ; l’odeur imaginaire de renfermé lui emplissait les narines.

C’est alors qu’elle avisa un portrait de Sulfurique. Elle se pencha pour l’examiner de plus près. Et le vieillard lui fit un clin d’œil. La jeune fille sursauta et se releva précipitamment. L’illusion avait disparu. Au sens propre, la pièce s’était transformée en un clin d’œil… magique. Plancher brillant, murs lambrissés, poutres apparentes, meubles antiques restaurés et disposés avec soin, miroirs, dorures, canapé confortable capable d’épouser la forme de son hôte… Tout, ici, respirait le luxe et l’aisance.

Il y avait même un superbe secrétaire. Holly Bleu s’en approcha, le pensant fermé à clé. Il ne l’était pas, mais il ne contenait que des papiers sans intérêt concernant la fabrique de colle. Rien de suspect. Pas de notes compromettantes. Aucun indice. La Princesse continua son inspection, passant au premier étage après avoir parcouru le rez-de-chaussée.

Ici, il y avait deux portes. La première donnait sur une petite cuisine proprette. Déterminée à ne pas se faire avoir deux fois, la jeune fille chercha comment dissiper le sort d’illusion. Impossible : il n’y avait pas de sort à dissiper. Elle ressortit de la cuisine et se dirigea vers la deuxième porte.

Derrière, des démons l’attendaient. Avant même d’ouvrir la porte, la Princesse entendit leur piétinement d’insecte et le crissement des serres qui leur tenaient lieu de doigts. Elle ouvrit néanmoins et alluma les globes de lumière.

Une bibliothèque, manifestement. Holly Bleu repéra au moins cinq démons d’apparence moyenne : petite taille, poids léger, grosse tête, yeux noir d’encre. Quatre mâles, une femelle. Tous habillés d’une tunique et de bottes argentées.

« Une brigade de gobelins… », songea la Princesse. Elle connaissait ces monstres : on les invoquait pour garder une maison ou une pièce. Il en coûtait un sacrifice rituel, mais ils en valaient le coup : aucun de ceux qui avaient eu le malheur de les affronter face à face n’avait jamais survécu.

Holly Bleu se rua dans l’escalier. Elle n’était pas de taille à les affronter. Personne n’était de taille à affronter ces tueurs. Les jambes en coton, elle dévala les marches et se retourna, paniquée. À sa grande stupeur, elle constata qu’elle était seule. Les démons s’étaient évaporés.

La guerre des fées
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