CHAPITRE II
En route pour le Mont-Perdu
Le soleil brillait tandis que les quatre joyeux compagnons filaient sur la route sablonneuse qui longeait la baie de Kernach. Dagobert les suivait aisément.
La petite île de Kernach se détachait sur la mer d’un bleu profond, avec son vieux château qui dressait fièrement vers le ciel sa dernière tour intacte.
« Que c’est beau ! s’exclama Mick. Je regrette presque de ne pas passer ici mes vacances de la Pentecôte. J’aurais bien aimé nager et me promener en bateau jusqu’à l’île de Claude !
— Nous pourrons faire tout cela pendant les grandes vacances, dit François. C’est très intéressant de voir du pays. Philippe m’a assuré que les grottes d’Enfer sont de toute beauté.
— Les grottes d’Enfer? Brrr… fit Annie. Heureusement que je sais combien les Bretons sont imaginatifs.
— Oui, ils aiment les légendes, ajouta Claude. Quel genre de garçon est votre ami Philippe ? Annie et moi, nous ne l’avons encore jamais vu.
— C’est un farceur, répondit Mick. S’il porte une fleur à sa boutonnière et qu’il vous vante son parfum, je vous conseille de ne pas fourrer votre nez dedans !
— Pourquoi ? demanda innocemment Annie.
— Parce que, lorsque vous vous pencherez pour respirer la fleur, vous recevrez une giclée d’eau à la figure !
— Je ne crois pas que je m’entendrai avec ce garçon-là, dit Claude en fronçant les sourcils. S’il me fait des plaisanteries de mauvais goût, je lui rendrai la monnaie de sa pièce.
— Je te préviens que si tu te fâches, il ne pensera plus qu’à une chose : te pousser à bout pour rire à tes dépens. À part ce léger travers, Philippe est un très gentil garçon. »
Ils avaient maintenant quitté la baie de Kernach et suivaient un chemin bordé d’aubépine. En ce début de juin, les fleurs des champs s’épanouissaient. Une douce brise modérait les effets d’un soleil ardent.
« Nous achèterons des glaces dans le premier village que nous traverserons », dit François quand ils eurent parcouru une dizaine de kilomètre. Ils arrivaient au pied d’une colline.
« Cette côte est dure, soupira Annie. Je me demande s’il vaut mieux la monter péniblement à bicyclette ou mettre pied à terre et pousser nos machines. »
Dagobert partit à fond de train jusqu’au sommet de la colline où il se coucha pour attendre les enfants. Il tirait une langue démesurée.
François le rejoignit bientôt et s’assit à côté de lui. Tous deux éprouvaient un vrai bien-être à sentir la fraîcheur de la brise.
Quand ses compagnons approchèrent, François leur dit : « Je vois un village en bas de la côte. Nous nous y arrêterons. J’espère que nous y trouverons un marchand de glaces. »
Il y en avait un, en effet. Le petit groupe s’assit sous un gros chêne pour savourer les cornets vanillés. Dagobert regardait Claude d’un œil interrogateur.
« Je n’en ai pas pris pour toi, lui dit Claude. Tu deviens trop gros ! »
Dagobert baissa la tête d’un air si triste que Claude s’empressa d’ajouter :
« Il est vrai qu’avec la longue course que tu fais aujourd’hui, tu vas sûrement maigrir. Allons, viens, je vais t’acheter une glace pour toi tout seul.
— Ouah ! » fit Dagobert avec enthousiasme. Il bondit dans la boutique et posa ses grosses pattes sur le comptoir, à la grande surprise de la vendeuse. D’un coup de langue, la glace fut avalée…
Après une halte de dix minutes, tout le monde se remit en route. C’était un véritable enchantement que de parcourir la campagne fleurie. Le Club des Cinq évitait toujours les routes nationales, droites, monotones et trop fréquentées, et leur préférait les voies secondaires, sinueuses et pittoresques.
Trois quarts d’heure plus tard Mick dit à son frère :
« Puisque nous n’arriverons au Mont-Perdu qu’au milieu de l’après-midi, nous déjeunerons en route. Où comptes-tu t’arrêter, François ?
— Je n’en sais rien encore, répondit François. Vers une heure nous nous installerons dans un joli petit coin. Il est inutile de vous plaindre de la faim pour le moment, car il est à peine midi.
— Ce pauvre Dagobert doit mourir de soif. Regardez-le tirer la langue ! dit Annie. Nous devrions nous arrêter près d’un ruisseau pour lui permettre de boire.
— En voilà justement un là-bas. Va vite te rafraîchir, mon vieux ! » lança Mick.
Dagobert courut vers le ruisseau et but à longs traits. Les enfants descendirent de bicyclette et attendirent qu’il eût terminé. Annie cueillit un coquelicot et le mit à sa boutonnière. Dagobert avalait une telle quantité d’eau qu’elle s’inquiéta :
« Claude! Empêche ton chien de boire davantage. Il est gonflé comme une outre.
— Tu exagères un peu, dit Claude. Dago, assez ! Viens ici ! »
Le chien avala une dernière gorgée, puis il revint vers Claude en aboyant, tout joyeux.
Ils repartirent. Lorsqu’ils escaladaient les collines qui se succédaient dans ce coin de Bretagne, ils grognaient quelquefois, mais quand ils dévalaient des pentes, ils riaient et s’amusaient à pousser des cris de Peaux Rouges.
Ils arrivèrent devant une colline plus haute que les précédentes. Annie la considéra avec ennui, car elle commençait à se sentir fatiguée.
« Du courage ! lui dit François. Nous déjeunerons là-haut. Nous y aurons une vue superbe sur les alentours et nous nous reposerons un bon moment.
— J’y compte bien. Demain matin nous serons tous courbatus », grogna Annie.
Après avoir fourni un long effort, ils parvinrent enfin au sommet. Quand ils virent le magnifique panorama qui s’offrait à leurs yeux, ils se sentirent payés de leur peine. Ils se laissèrent tomber dans l’herbe et oublièrent qu’ils avaient faim pour admirer tout à leur aise.
Mais Dagobert n’était pas très sensible à la beauté du paysage et ne pensait qu’à son déjeuner. Il alla flairer le panier attaché à la bicyclette de Claude. Oui, son os s’y trouvait bien. Il s’assura que personne ne le regardait puis il se mit en devoir d’extraire délicatement un petit paquet du panier…
Annie, assise non loin de là, entendit le bruit d’un papier froissé. « Oh ! Dagobert ! s’écria-t-elle scandalisée. Veux-tu bien laisser ces sandwiches ! »
Claude se leva aussitôt et regarda son chien d’un œil sévère. Dagobert baissa le nez, déposa le paquet à ses pieds et sembla lui dire :
« Excuse-moi, mais vois : c’est mon os que j’ai pris ! »
Claude sourit, rassurée. « Voyons, Annie, dit-elle, tu devrais savoir, depuis le temps que tu le connais, que jamais Dagobert ne se permettrait de toucher à nos provisions.
— Bon. Ton chien est parfait en tout point. Quoi qu’il en soit, j’ai faim, moi aussi, et si vous ne voulez pas déjeuner maintenant, je vais faire comme Dago, prendre ma part sans m’occuper des autres ! déclara Annie.
— Ne crains rien, nous allons te tenir compagnie », dit Mick.
Ils déballèrent leurs provisions et se mirent à dévorer à belles dents. François versa l’orangeade à la ronde.
« C’est très agréable de pique-niquer en altitude, constata Mick entre deux bouchées. Regarde, François, ajouta-t-il au bout d’un moment, cette colline dans le lointain a une forme curieuse. Elle est plus massive que les autres. Ne serait-ce pas le Mont-Perdu ?
— D’après Philippe, le Mont-Perdu a un peu la forme d’un vieux chapeau. Il me semble qu’en effet…
— Mais oui ! C’est bien cela ! Je vais prendre les jumelles pour mieux voir. »
Chacun voulut en faire autant. Les jumelles passèrent de main en main. Quand vint le tour de Claude, elle fît remarquer :
« S’il s’agit vraiment du Mont-Perdu, il n’est pas loin maintenant.
— Peut-être à vol d’oiseau, mais en réalité nous avons une longue route en lacet à parcourir, dit François. Qui veut un autre sandwich ?
— Il n’en reste plus, dit Mick. Au tour du gâteau ! »
Quand le gâteau fut mangé, ils sortirent un paquet de bonbons. Dagobert fit comprendre qu’il en désirait un.
« Tu les avales sans les goûter, ce n’est vraiment pas la peine, dit Claude en donnant tout de même un bonbon à son chien.
— Que diriez-vous d’une petite sieste ? demanda François en s’allongeant dans l’herbe.
— Bonne idée », répondirent les trois autres. Ils convinrent de dormir une demi-heure, pas davantage. Chacun s’assoupit. Dagobert garda une oreille aux aguets, pour le cas où quelqu’un approcherait. Mais personne ne vint troubler leur repos. Tout était si calme, sur la colline, que plus de trois quarts d’heure s’écoulèrent avant que l’un d’eux ne reprît conscience. Mick sentit un insecte monter le long de son bras et sursauta, arraché à son rêve. Il regarda sa montre.
« Annie ! François ! Claude ! Levez-vous ! Il faut partir, sinon nous ne serons pas arrivés là-bas pour l’heure du goûter. »
Bientôt ils dévalèrent la côte à toute allure en poussant leurs fameux cris d’Indiens, mêlés aux aboiements de Dagobert. Ils pensaient tous que le début des vacances est ce qu’il y a de meilleur au monde !