CHAPITRE XI
Une nuit de tempête
UN PEU PLUS TARD, les campeurs se mirent à préparer leur dîner. Dagobert aurait bien voulu aider à porter le pain ou le jambon et ne comprenait pas pourquoi les enfants ne l’y autorisaient pas.
Quand ils furent tous réunis autour de leur modeste repas, François inspecta de nouveau l’horizon d’un air soucieux.
« La pluie ne va pas tarder. Les nuages couvrent maintenant la moitié du ciel. Il vaudrait mieux dresser les tentes, dit-il.
— Et même, nous ferions bien de nous dépêcher, ajouta Claude. Sentez-vous ce vent froid qui se lève ? Par chance, nous avons de quoi nous couvrir. »
Une heure plus tard, les deux tentes étaient dressées, bien abritées d’un côté par de grands buissons de genêts.
« Voilà du bon travail, constata Mick. Il faudrait un cyclone pour les arracher !
Le ciel s’assombrissait de plus en plus. Les enfants décidèrent de passer la fin de la soirée dans l’une des tentes et d’y écouter la radio. À peine étaient-ils installés autour du poste que Dagobert, resté dehors, se mit à aboyer.
« Tiens, dit Claude, qui peut se promener par ici, alors que le vent se lève et que la tempête menace ?
— C’est peut-être Philippe qui vient nous proposer de venir coucher à la ferme, dit Mick.
— Ou bien M. Grégoire qui chasse les papillons de nuit, ajouta Annie.
— Ou encore la vieille Jeanne qui cherche des herbes mystérieuses pour envoûter les gens », persifla Mick.
Chacun se mit à rire.
« Si j’étais superstitieux, continua Mick, je dirais que c’est une nuit idéale pour les sorcières ! »
Dagobert aboyait toujours. François passa sa tête dans l’ouverture de la tente et constata que le chien semblait observer quelqu’un au loin, dans le clair-obscur.
« Je vais voir de quoi il s’agit, décida-t-il en se glissant au-dehors. Viens, Dagobert, montre-moi ce qui te tracasse ! »
Le chien se mit à courir. François le suivit comme il put. À plusieurs reprises, il buta dans la bruyère; il regretta de n’avoir pas emporté sa lampe de poche. Dagobert lui fit ainsi descendre environ cent mètres, puis s’arrêta et se mit à aboyer de plus belle. Quelques bouleaux poussaient à cet endroit. François vit alors une silhouette passer entre les arbres.
« Qui est là ? demanda-t-il.
— C’est moi, M. Rousseau, répondit une voix ennuyée. Faites donc taire votre chien ! Il est mal dressé !»
Le jeune garçon aperçut alors un filet à papillons.
« Tais-toi, Dagobert, commanda-t-il. M. Grégoire est-il avec vous ?
— Oui. Nous chassons quelquefois la nuit. Nous sommes venus voir aussi nos pièges à papillons avant qu’il ne pleuve. Au revoir, il faut que je me dépêche. Si votre chien recommence à aboyer, vous saurez qu’il ne s’agit que de nous ! »
Dagobert se taisait maintenant, mais il gardait une attitude hostile et ne quittait pas des yeux l’homme au filet à papillons, qui s’éloigna, puis revint sur ses pas.
« Où campez-vous donc ? demanda-t-il.
— En haut de la colline, à une centaine de mètres d’ici, répondit François.
— Allez vite vous mettre à l’abri. Il tombe déjà des gouttes », dit M. Rousseau.
Il partit en s’éclairant avec une lampe de poche.
François voulut regagner l’endroit où il campait avec Mick, Annie et Claude, mais, dans l’obscurité, et hors de tout sentier, c’était difficile. Il se trompa et s’engagea trop à droite. Au bout d’un moment, Dagobert, étonné, vint le tirer gentiment par la manche.
« Me suis-je égaré ? Mick ! Claude ! appela François. Répondez-moi ! Je ne sais plus où je suis. Hou-hou ! »
Mais il était déjà loin du camp, et le vent portait sa voix en sens contraire. Personne ne répondit.
Dagobert guida alors François à travers la colline. Quand le jeune garçon vit briller des lumières, il se sentit rassuré. Déjà, Mick et les filles le cherchaient, armés de lampes de poche.
« Est-ce toi, François ? cria Annie d’une voix anxieuse. Tu as été longtemps parti. Te serais-tu perdu ?
— Presque ! dit François. Heureusement que Dagobert a plus que moi le sens de l’orientation. Il commence à pleuvoir sérieusement.
— Après qui Dagobert aboyait-il ? demanda Claude tandis qu’ils se hâtaient vers les tentes.
— Après M. Rousseau, l’un des deux éleveurs de papillons, celui que Mick et moi nous avons vu cet après-midi, répondit François. J’ai reconnu sa maigre silhouette, ses lunettes noires et son filet à papillons. Il paraît que M. Grégoire se trouvait aussi dans les parages.
— Par ce temps ? Avec la tempête qui va éclater ? s’étonna Annie. Les papillons se sont sûrement mis à l’abri.
— Ils sont venus examiner leurs pièges, expliqua François. Vous savez que lors de notre visite M. Grégoire nous en a parlé. Ils répandent du miel autour du tronc de certains arbres et les papillons s’y engluent. Ils ont sans doute voulu prendre leurs papillons avant que la pluie ne dilue le miel et ne libère les insectes. Mais ils arrivent un peu tard… »
En effet, une averse violente commençait de frapper la tente où les enfants venaient de s’engouffrer. Dagobert voulut s’installer confortablement entre Annie et Claude.
« Ne te gêne pas, étale-toi, prends tes aises, et tant pis pour les autres ! grogna Claude. Tu tiens vraiment trop de place dans cette petite tente, mon pauvre Dagobert ! »
Celui-ci ne se troubla pas pour autant et posa sa tête mouillée sur les genoux de Claude. Celle-ci n’eut pas le courage de le repousser. Le chien exhala un gros soupir.
« Pourquoi soupires-tu ainsi, Dago ? lui demanda Annie. Parce que tu as fini ton os ? Parce qu’à cause de la pluie tu ne peux plus t’asseoir dehors et aboyer à tout ce qui bouge sur le Mont-Perdu ?
— Qu’allons-nous faire maintenant ? Il n’y a plus aucune émission intéressante ce soir, dit Mick.
— J’ai un jeu de cartes dans la poche de mon imperméable », annonça Claude.
Cette nouvelle fut bien accueillie. Il se révéla difficile de jouer aux cartes dans un si petit espace, avec Dagobert qui éprouvait souvent le besoin de bouger. La pluie martelait la toile de plus en plus fort. Quand la partie fut bien engagée, Dagobert se remit à aboyer, et, soudain, sauta par-dessus les jambes des enfants pour aller mettre son nez dans l’ouverture de la tente, sans se soucier aucunement des cartes éparpillées sur son passage.
Mick le tira par la queue. « Reste ici, sale bête ! Tu vas te faire mouiller et ensuite tu reviendras t’essuyer sur nous. Ce soir, tu es vraiment assommant ! Laisse donc en paix ces chasseurs de papillons. Ils doivent s’amuser énormément ! » Mais Dagobert, déchaîné, ne voulait rien entendre. Il aboyait éperdument et même se retourna pour grogner après Mick, qui voulait le forcer à rentrer sous la tente.
« Que se passe-t-il ? dit le jeune garçon tout surpris. Tais-toi, Dago ! Tu vas nous rendre sourds !
— Il faut qu’il y ait quelque chose d’anormal pour qu’il se mette dans un état pareil, dit Claude. Ecoutez ! N’avez-vous pas entendu un cri ? »
Les autres tendirent l’oreille, mais ne perçurent que le bruit de la pluie et du vent.
« Quelle que soit la cause de l’agitation de Dagobert, nous ne pouvons rien faire pour le moment, dit Mick. Il est impossible de nous aventurer dehors par cette pluie diluvienne. Nous serions trempés et peut-être risquerions-nous de nous perdre… »
Claude, impatientée par les aboiements de son chien, s’écria d’une voix forte : « Dagobert ! Tais-toi ! Tu m’entends? »
Claude se mettait rarement en colère contre la brave bête qui, du coup, s’arrêta. Sa maîtresse l’attrapa par le collier et le tira à elle. « Reste tranquille ! ordonna-t-elle. Nous ne pouvons pas bouger d’ici ! »
Alors, ils se regardèrent tous avec étonnement, car un bruit soudainement dominait les autres : « R-r-r-r-r-r-r-r ! »
« Des avions ! s’exclama Mick. Des avions, par un temps pareil ? Que se passe-t-il donc ? »
Dagobert ! Tais-toi ! Tu
m’entends ?