CHAPITRE XII
Les grottes d’Enfer
Ils restèrent un instant silencieux.
« Pourquoi des avions militaires quitteraient-ils leur base au milieu de la nuit, dans la tempête ?
— Pour faire des expériences par mauvais temps, peut-être ? dit Mick. Non, après tout, je ne crois pas que ce soit bien utile.
— Nous ne sommes pas sûrs que ces avions partaient de l’aérodrome. N’étaient-ils pas plutôt en train d’y retourner ?
— Il est possible aussi que des appareils en difficulté aient cherché à atterrir ici à cause de la tempête », dit Mick.
Mais François secoua négativement la tête. « Non, dit-il, Ce champ d’aviation est trop loin des lignes ordinaires. Et il est si petit ! Un avion en difficulté essaierait de gagner un aérodrome mieux équipé.
— Je me demande si Roland était dans l’un de ces avions », dit Claude.
Annie se mit à bâiller. « Si nous nous couchions ? proposa-t-elle. J’ai sommeil !
— Oui, il est tard, dit François en regardant sa montre. Mick et moi, nous prendrons l’autre tente. Nous vous laisserons celle-ci, cela vous évitera de vous faire mouiller en sortant. Appelez-nous si quelque chose ne va pas !
— Entendu. Bonne nuit ! » dirent les filles. Les garçons sortirent sous la pluie battante. Annie s’installa confortablement dans son sac de couchage.
« Bonne nuit, Claude, dit-elle. Garde ton chien avec toi, s’il te plaît. Je me demande comment tu fais pour le supporter sur tes jambes. Moi, je trouve cela intenable. Il est si lourd ! »
Les membres du Club des Cinq s’endormirent profondément. Quand ils se réveillèrent, le lendemain matin, la pluie tombait toujours
— Nous n’avons pas de chance, dit Mick en contemplant le ciel uniformément gris. Quelle heure est-il, François ?
— Huit heures dix, répondit son frère. Ma parole, nous dormons comme des loirs ! Allons, il ne pleut pas trop fort, nous pouvons aller nous laver à la source.
— Il faut en avoir envie », grommela Mick en suivant François.
Le petit déjeuner ne fut pas aussi gai qu’à l’ordinaire. Les enfants se trouvaient trop serrés sous la tente et ils y voyaient à peine.
« J’espère que vous serez tous d’accord pour visiter ce matin les grottes d’Enfer, dit Mick quand ils eurent terminé leur petit déjeuner.
— Certainement, dit Claude. Pour ma part, je me refuse à jouer aux cartes toute la matinée.
— Personne n’en a envie, assura Annie. Nous mettrons nos imperméables, et en route pour les grottes !
— Nous ne savons pas exactement où elles se trouvent, dit François. Philippe nous en a indiqué vaguement la direction, dans le bas de la colline. Enfin, en cherchant un peu, nous trouverons bien un écriteau quelconque.
— Et si nous ne les découvrons pas, tant pis, ajouta Mick. Nous aurons fait une grande promenade, c’est l’essentiel. »
Ils partirent sous une pluie fine, à travers la bruyère humide. Dagobert courait devant eux.
« Est-ce que tout le monde a sa lampe de poche ? demanda Mick. J’ai la mienne, en tout cas. Nous en aurons besoin dans les grottes.
— Oui, nous avons tous pensé à prendre nos lampes », dit Claude.
Ils descendirent le Mont-Perdu et tournèrent en direction du nord, suivant les indications de Philippe. Ils arrivèrent bientôt à un sentier assez large et crayeux.
« Où ce chemin peut-il bien conduire ? dit François, perplexe.
— Il mène peut-être à une vieille carrière de craie comme celle qu’il y a près de Kernach », dit Mick.
Ils s’y engagèrent à tout hasard. Après un tournant, ils virent un écriteau :
LES GROTTES D’ENFER
À 200 m.
« Bravo, nous y sommes ! constata François avec plaisir. Vous souvenez-vous de ce que Philippe nous a dit au sujet de ces cavernes ?
— Qu’elles ont des milliers d’années et qu’on y voit des stalagmites et des stalactites remarquables, dit Claude.
— Moi, je sais ce que c’est, dit Annie toute fière. On dirait des aiguilles de glace qui pendent d’une voûte, alors que d’autres aiguilles s’élèvent du sol à leur rencontre.
— Oui. Et sais-tu distinguer les stalactites des stalagmites? demanda François.
— Heu…, fit Annie.
— Celles qui descendent de la voûte sont les stalactites, et celles qui montent du sol sont les stalagmites, expliqua François.
— C’est difficile de s’en souvenir, dit Annie en soupirant.
— Je vais te donner un petit truc : quelles sont celles qui montent ? Celles qui ont une M dans leur nom. Les stalagMites Montent ! conclut François, triomphant.
— C’est idiot, mais ça peut servir », dit Claude en riant.
Le chemin qu’ils suivaient perdit son aspect crayeux tandis qu’ils approchaient du but. Ils virent bientôt, s’ouvrant dans le flanc de la colline, une caverne dont l’entrée avait à peine plus de deux mètres de haut, et qui portait cette inscription :
GROTTES D’ENFER
AVIS
Suivre les galeries pourvues d’une rampe de corde. Défense d’emprunter les galeries sans corde, où il y a danger de s’égarer.
« Dagobert, reste avec nous ! » commanda Claude.
Ils entrèrent et durent aussitôt allumer leurs lampes de poche. Le chien fut très étonné de voir autour de lui les murs briller, dans la lumière électrique. Il se mit à aboyer. L’écho répéta ses aboiements d’une façon impressionnante. Dagobert, apeuré, se serra contre Claude.
« Allons, viens, gros nigaud, lui dit-elle. As-tu perdu ta bravoure, Dagobert, pour craindre ta propre voix ? Nous avons tous l’expérience des cavernes ! » Elle ajouta en frissonnant : « Comme il fait froid ici ! »
Ils traversèrent deux grottes qui ne présentaient rien de particulier; dans la troisième, quelques stalagmites et stalactites s’étaient soudées et formaient des colonnes qui semblaient supporter la voûte.
« Cela me fait penser à certaines cathédrales, dit François. Sans doute à cause de ces colonnes ciselées… Voyons la caverne suivante! »
Celle-ci était plus petite que la précédente, mais contenait de splendides stalactites et stalagmites colorées, qui étincelaient dans la lumière des lampes de poche.
« On dirait une grotte de conte de fées, murmura Annie. Il y a là toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. »
Ensuite ils virent une sorte de grande salle où tout était d’un blanc éclatant : les murs, la voûte, le sol et les colonnes, qui, à un endroit, s’étaient rejointes et soudées ensemble, si bien qu’elles formaient une sorte d’écran transparent à travers lequel les enfants purent apercevoir d’autres colonnes blanches…
En sortant de cette caverne, ils se trouvèrent à la croisée de trois chemins. La galerie centrale était pourvue d’une corde qui courait le long de la paroi, à portée de la main. Les deux autres n’en avaient pas. Les enfants jetèrent un coup d’œil curieux dans les galeries sans corde, qui s’enfonçaient dans les ténèbres, chargées de mystère. Ils en eurent froid dans le dos.
« Comme ce serait affreux de s’égarer dans ces souterrains ! dit Annie. Peut-être pourrait-on y mourir sans que personne devine où nous sommes ? »
Les enfants s’engagèrent prudemment dans la galerie centrale. Dagobert se mit à flairer longuement; au lieu de les suivre, il prit le chemin de gauche.
Claude s’en aperçut et l’appela : « Dagobert ! Reviens, tu vas te perdre ! » Mais le chien poursuivait sa route en courant. « Que cherche-t-il donc ? s’écria Mick, agacé. Dagobert ! »
L’écho répéta : « Dagobert ! Dagobert ! à travers le passage et les cavernes…
En réponse, le chien aboya. Aussitôt, des aboiements fantastiques retentirent de tous côtés… On eût dit une meute hurlante. Annie se boucha les oreilles. Dagobert reparut dans la lumière des lampes de poche. Il semblait tout bouleversé par le bruit énorme qu’il avait causé en aboyant…
« Si tu recommences, je t’attache, dit Claude, contrariée. Reste avec nous, maintenant. As-tu compris ? »
Dagobert se retourna encore une fois et les suivit, comme à regret. Ils visitèrent plusieurs grottes étonnantes, reliées les unes aux autres par d’étroits passages. Les enfants s’engageaient toujours dans les galeries munies d’une corde. Tous mouraient d’envie de voir où conduisaient les autres, mais ils eurent la sagesse de résister à cette dangereuse tentation.
Tandis qu’ils examinaient une sorte de lac cristallisé qui reflétait un plafond d’une blancheur neigeuse, un bruit étrange leur parvint. Ils se redressèrent pour mieux écouter.
On eût dît un sifflement, qui s’amplifiait au point de devenir fort pénible pour leur tympan. Le son montait et s’évanouissait, puis il reprenait plus fort, si bien que les enfants furent obligés de se boucher les oreilles. Dagobert, affolé, se mit à aboyer de toutes ses forces et à tourner en rond. Alors, dominant ce vacarme, un hurlement sinistre retentit à travers les cavernes, amplifié et répété par l’écho…
Muets de terreur, les quatre enfants, pris de panique, s’enfuirent à toutes jambes vers la sortie, conduits par Dagobert qui n’avait jamais eu si peur de sa vie…