CHAPITRE XVIII
Où chercher ?
« Nous partons, monsieur Grégoire, répondit François froidement. Je vous assure que nous serons très heureux de voir les gendarmes, si vraiment ils nous cherchent. Nous avons à leur parler. Il s’est passé chez vous des choses fort surprenantes, que vous n’avez même pas remarquées, naturellement. Vous ne pensez qu’à vos papillons !
— Est-ce que cela te regarde ? Petit prétentieux ! Impoli ! cria M. Grégoire.
— Il se pourrait que les gendarmes vous posent des questions au sujet des quatre hommes qui se sont cachés chez vous ces temps derniers ! continua François, imperturbable.
— Que dis-tu ? Des hommes ? Chez moi ? Qui donc ? bredouilla M. Grégoire, stupéfait.
— C’est encore un mystère, répondit François. Mais nous le saurons, monsieur Grégoire, nous le saurons ! »
Le Club des Cinq se retira dignement, laissant l’éleveur de papillons abasourdi et très inquiet.
« Cet homme n’est qu’un égoïste, il n’a pas de cœur, dit François, Il fait travailler cette pauvre vieille et ne s’y intéresse aucunement, sinon il aurait remarqué à quel point elle est malheureuse !
— Qu’est-ce qu’elle a voulu dire ? s’étonna Annie. Quatre hommes dans une chambre, en train de surveiller un point précis au pied du Mont-Perdu… Pourquoi ?
— C’est sans doute l’un d’eux que tu as vu la fameuse nuit, François. Il essayait de faire croire qu’il était M. Rousseau pour justifier sa présence, dit Claude.
— Oui, tu as raison. Bien sûr, ils pouvaient épier l’aérodrome… C’est bien cela ! s’écria Mick. Ils l’observaient nuit et jour — deux le jour et deux la nuit, sans doute — et payaient Marcel pour les héberger dans cette ferme dont la situation favorisait leur plan. Ce sont eux sûrement qui…
— Ne t’emballe pas, dit François. Je crois comme toi que ces quatre hommes sont mêlés à l’affaire des avions. Mais la disparition de Roland Thomas et de son ami reste mystérieuse. Étaient-ils tous complices ? Enfin, nous sommes sur une piste. Allons voir Philippe et ses parents. Nous leur raconterons tout ce que nous savons. Peut-être verront-ils plus clair que nous-mêmes ?
— C’est cela, allons-y tout de suite, dit Annie. Nous avons besoin d’aide, maintenant. »
Ils prirent le chemin de la ferme du Mont-Perdu. Quand ils furent arrivés dans la cour, ils appelèrent :
« Philippe ! Où es-tu ? Nous t’apportons des nouvelles ! »
Le jeune Thomas apparut à la porte de la remise, pâle et défait, car il n’avait guère dormi.
« Bonjour ! lança-t-il, heureux de voir ses amie. Quoi de neuf ? J’espère qu’il s’agit de Roland. Je ne peux pas m’empêcher de penser constamment à lui !
— Où est ton père ? demanda François. J’aimerais mieux qu’il entende ce que j’ai à te dire. Peut-être trouvera-t-il une solution. Pour notre part, nous sommes très embarrassés…
— Papa ! Papa ! » cria Philippe en mettant ses mains en porte-voix autour de sa bouche.
Le père arriva aussitôt du pré voisin, où paissaient des vaches noir et blanc.
« Que veux-tu, Philippe ? demanda-t-il. J’espère que tu ne me déranges pas pour rien. Je suis occupé !
— Papa, mes amis ont quelque chose d’important à te dire. Ce ne sera pas long, promit Philippe.
— Vraiment ? Qu’y a-t-il, mes enfants ? J’espère que vous n’avez pas d’ennuis sérieux, dit M. Thomas en souriant.
— Non, monsieur, dit François. Je serai aussi bref que possible. »
François raconta l’histoire de la ferme des Papillons, du prétendu M. Rousseau, de la vieille Jeanne et de son fils Marcel.
Le fermier hocha la tête. « Oui, dit-il, Marcel Caron a terriblement changé depuis un an. Il s’est mis à fréquenter je ne sais quelles canailles… J’estime comme vous que les individus louches qu’il a cachés dans la maison de Grégoire sont probablement mêlés à l’affaire de l’autre nuit. »
Philippe parut très heureux d’entendre son père parler de la sorte.
« Papa, s’écria-t-il, ce sont eux qui ont enlevé les avions ! Ils étaient quatre; assez pour capturer Roland et son ami Jean, et les enfermer quelque part… Deux d’entre eux ont pu s’emparer des avions… »
Le père semblait perplexe. « Tu as peut-être raison, mon garçon, dit-il. Il faut mettre les gendarmes au courant sans tarder. Ils sauront bien faire parler Marcel. Si Roland et Jean Dufrêne sont prisonniers quelque part, il est urgent de les rechercher pour les libérer ! »
Philippe dansait de joie autour de son père.
« Je n’ai jamais douté de mon cousin Roland! s’exclama-t-il. Je savais qu’il ne pouvait pas être un traître ! Papa, vite, avertissons la gendarmerie ! »
M. Thomas se hâta d’aller téléphoner. Le brigadier l’écouta, surpris, mais parfaitement conscient de l’importance de l’information.
« Je vais faire interroger immédiatement Marcel Caron; puisqu’il est en prison pour vol, nous l’avons sous la main. Je vous rappellerai dans une demi-heure, monsieur Thomas. »
Le temps parut long aux enfants, impatients d’en apprendre davantage… Trois quarts d’heure s’écoulèrent avant que retentît la sonnerie du téléphone. Alors, tout le monde sursauta. M, Thomas s’empressa de décrocher l’appareil. Les enfants étudiaient sa physionomie, tandis qu’il écoutait les explications du brigadier. Ils virent les sourcils du fermier se froncer, et leur cœur s’arrêta de battre.
« C’est alarmant, en effet, disait M. Thomas. Merci. Au revoir, brigadier ! »
Il raccrocha le récepteur et se tourna vers les enfants.
« Papa ! Est-ce que Roland se trouvait dans l’un des avions ? demanda Philippe, angoissé.
— Non », répondit nettement le père. Philippe poussa un cri de triomphe et fit un bond en l’air.
« C’est la seule chose qui compte ! lança-t-il.
— Attends une minute avant de te réjouir, mon garçon, dit le père. Marcel Caron a avoué que les hommes qu’il a introduits et hébergés chez M. Grégoire avaient pour mission de s’emparer des avions dont il s’agit. Cette équipe se composait de deux pilotes étrangers et de deux spécialistes des coups de force, désignés pour s’emparer de Roland et de Jean Dufrêne la nuit de la tempête. Ces brutes ont réussi à surprendre les aviateurs et à les entraîner hors de l’aérodrome. Puis les deux pilotes étrangers sont montés dans les avions et ont décollé. Quand l’alarme a été donnée, il était trop tard…
— Donc, ce sont les pilotes étrangers qui ont été noyés lorsque les avions sont tombés dans la mer, n’est-ce pas ? demanda Mick.
— Oui. Seulement, les bandits qui se sont emparés de Roland et de son ami n’ont pas dit à Marcel où ils avaient caché les aviateurs. Marcel n’a pu apprendre cet important secret; de plus, il n’a pas été payé de ses services, parce que le plan des espions a échoué et que les prototypes ont été détruits.
— Il y a gros à parier que les deux espions se sont enfuis maintenant, en abandonnant Roland et Jean Dufrêne dans un lieu où on ne les retrouvera jamais ! murmura Philippe, subitement abattu par cette triste perspective.
— Il faut essayer de les retrouver rapidement, car ils risquent de mourir de faim, surtout si les espions les ont abandonnés pieds et poings liés.
— C’est abominable ! s’écria Philippe. Oh ! Papa ! Cherchons-les sans attendre !
— Bien sûr. Je suis de ton avis, et les gendarmes pensent de même. Malheureusement, personne ne sait où chercher. »
Un lourd silence tomba.
« Où chercher ? Où chercher ? » se répétait désespérément chacun des enfants.