CHAPITRE IX
Le cousin Roland
« J’aime les chiens, dit l’aviateur en caressant Dagobert. Celui-ci a l’air particulièrement intelligent. »
Claude approuva, ravie. Elle voyait d’un bon œil tous ceux qui louaient son chien. « Oui, il est remarquable, dit-elle. Il a participé avec nous à un tas d’aventures. Quand il croit que quelqu’un va nous attaquer, il devient féroce. Regardez-le. Il veut encore vous donner la patte ! »
Roland lui serra de nouveau la patte, puis Dagobert se coucha à son côté, presque comme s’il était son chien. Claude ne se montra pas jalouse, pour une fois, car le jeune homme lui faisait très bonne impression.
« Parlez-nous de votre travail, demanda Mick. C’est un curieux champ d’aviation que le vôtre. Il n’est protégé par aucune clôture, on y voit peu d’avions et peu d’allées et venues. Volez-vous souvent ?
— Non, pas en ce moment, dit Roland. Mais ne vous laissez pas abuser par le fait qu’il n’y a pas de barrières : si quelqu’un se promène dans les parages, le commandant en est immédiatement informé et il prend des dispositions en conséquence…
— Vraiment ? dit Claude. Vous voulez dire que votre commandant a su que nous sommes allés nous baigner dans l’étang cet après-midi ?
— Bien entendu, dit Roland en riant. Vous avez été observés un certain temps sans vous en douter. Quelqu’un a été chargé de découvrir qui vous étiez et pour quelle raison vous vous trouviez là. »
Les enfants se regardèrent, inquiets. Observés ? Comment ? Par qui ? Le jeune aviateur refusa de donner des précisions.
« Je regrette, il m’est impossible de vous répondre, dit-il. Soyez sans crainte, tout va bien pour vous. Quelqu’un a parlé en votre faveur. »
En prononçant ces mots, il regarda sa tante, qui sourit d’un air mystérieux. Elle invita tout le monde à prendre place autour d’une table bien servie. Les garçons demandèrent à Roland des quantités d’explications sur les avions et le pilotage.
« Ne pourrais-tu pas nous faire monter en avion ? demanda Philippe à brûle-pourpoint.
— Il serait très difficile d’obtenir une autorisation, répondit Roland. Je regrette de vous décevoir, mais je préfère ne pas la demander. Vous comprenez, il ne s’agit pas d’avions de tourisme, mais de prototypes destinés à tenter des expériences.
— Bien sûr, s’empressa de dire François, qui se rendait compte de l’embarras du jeune homme. Lors de votre prochain vol, croyez-vous que nous pourrons vous voir de la colline ?
— Oui, avec des jumelles, répondit Roland. Mon avion porte le numéro 5790. Il est peint sous la carlingue. Ainsi, quand vous verrez un appareil survoler la colline, vous saurez s’il s’agit bien de moi. Mais ne vous attendez pas à me voir faire des loopings ou des tonneaux, pas plus que du rase-motte. Nous ne nous permettons pas ces fantaisies.
— Nous vous guetterons, dit Mick, qui enviait à Philippe un si étonnant cousin. Vous ne nous verrez probablement pas, mais nous vous ferons signe quand même. »
Claude s’avisa soudain que Jeannot avait posé son porcelet dans le panier du chat.
« Le chat doit être furieux quand il voit cela, dit-elle.
— Pas du tout, assura Mme Thomas. Il en a l’habitude. L’année dernière il trouvait souvent les deux oisons de Jeannot dans son panier. L’année précédente, c’était un petit agneau. Bambi, le chat, ne paraissait pas s’en étonner. Un jour, je l’ai trouvé couché auprès des oisons et ronronnant très fort…
— C’est une brave bête, dit Philippe. Où est-il ? Je voudrais bien voir sa réaction devant Dudule. Il ne pourrait pas partager son panier avec lui, en tout cas : ce petit cochon est trop gros. »
La conversation roula de nouveau sur les avions. De toute évidence, Roland aimait son métier par-dessus tout et en parlait si bien qu’en l’écoutant les trois garçons décidèrent que plus tard ils seraient aviateurs.
Jeannot, pour sa part, s’intéressait bien plus aux animaux qu’aux avions. Il mangea tout en observant son porcelet de temps à autre et soudain dit à sa mère :
« Dudule vient de se sauver encore une fois. Il est parti du côté de la rivière.
— Je t’ai déjà défendu d’y aller, répliqua sévèrement sa mère. La dernière fois, tu es tombé à l’eau !
— Mais il faut que j’aille chercher Dudule. C’est mon petit cochon ! dit Jeannot.
— Je te préviens que si Dudule te conduit dans des endroits défendus, c’est lui qui sera battu, répliqua sa mère. En grandissant, il doit apprendre à obéir. »
Cela méritait réflexion. Jeannot continua de manger son gâteau d’un air très absorbé. Annie, amusée, le regardait souvent et pensait qu’elle s’entendrait admirablement avec un petit frère comme lui.
« Il faut que je parte, à présent, dit Roland, quand le gâteau fut terminé. Merci beaucoup, tante Lucie. J’ai de la chance d’être affecté à un camp si proche de votre ferme. Au revoir ! À bientôt ! »
Chacun voulut l’accompagner jusqu’à la porte, y compris Dagobert et Clairon. Le grand et vigoureux jeune homme s’éloigna d’un pas décidé.
« Comment le trouvez-vous ? demanda Philippe.
— Il a l’air de quelqu’un de bien, dit Claude.
— Moi, je le trouve épatant ! lança Mick avec fougue.
— Je suis très fier de lui, avoua Philippe, satisfait du jugement de ses amis. Il paraît qu’il est l’un des meilleurs pilotes de France.
— Vraiment ? dit François. Pour ma part, je n’en suis pas tellement surpris. On voit que son métier le passionne.
— Philippe, peux-tu nous donner un peu de ravitaillement ? demanda François.
— Bien entendu », répondit Philippe. Il s’éloigna en sifflotant.
Jeannot fit sa réapparition. Son animal favori courait autour de lui.
« Alors, Dudule est déjà revenu de son escapade ? » lui demanda Mick.
Jeannot le regarda de ses yeux rieurs. « Oui. Si un jour il se sauvait pour aller vous voir dans vos tentes, est-ce que vous seriez fâchés ? »
Mick pensa aussitôt que Jeannot méditait de leur rendre visite avec son porcelet et ensuite d’accuser celui-ci de s’être sauvé.
« Il ne doit pas faire cela, dit Mick fermement. Tu risques de te perdre en route si tu vas si loin ! »
Jeannot, déçu, s’éloigna sans rien dire, suivi de son petit compagnon.
Philippe revint avec des provisions, François lui régla sa note, et, peu de temps après, le Club des Cinq retourna à son campement. Philippe resta à la ferme pour ramasser les œufs, les laver et les ranger par tailles, car ils devaient être vendus au marché de la ville voisine.
« Je viendrai vous voir demain, leur dit-il. Nous ferons quelque chose d’intéressant. Par exemple, nous irons ensemble visiter les grottes d’Enfer. »
Les quatre enfants gravirent tout en causant le sentier abrupt qui conduisait en haut du Mont-Perdu, tandis que Dagobert allait et venait devant eux, en flairant chaque buisson, suivant son habitude. Soudain, un papillon aux larges ailes diaprées vint se poser sur une fleur, non loin de Claude.
« Regardez ce papillon, dit la fillette. Je n’en ai jamais vu de pareil. Qu’il est beau ! »
Tous s’approchèrent.
« M. Grégoire nous a expliqué que l’on trouvait ici des espèces rares », dit François.
Ils admirèrent les magnifiques ailes qui s’ouvraient et se refermaient, tandis que le papillon butinait.
« Attrapons-le, proposa Mick. Peut-être intéressera-t-il M. Grégoire ?
— J’ai là un mouchoir très fin, dit Annie. Je pense pouvoir le capturer sans abîmer ses ailes. Philippe nous a mis dans les provisions une boîte remplie de morceaux de sucre. Vide-la, Mick! »
Une minute plus tard, le papillon se trouvait dans la boîte. Annie l’avait attrapé fort adroitement.
« Il est merveilleux, dit Mick. Nous allons faire une bonne surprise à M. Grégoire.
— Pour ma part, je ne veux pas me retrouver en face de cette sorcière qu’il a chez lui, dit Annie.
— Bon. Je lui dirai d’enfourcher son balai et de disparaître dans les airs, comme les sorcières des contes d’autrefois, dit Mick. Allons, Annie, ne sois pas stupide, elle ne peut pas te faire de mal ! »
Ils prirent ensemble le chemin de la ferme des Papillons.
Quand le groupe fut en vue des serres qui étincelaient au soleil, Dagobert s’arrêta, l’oreille basse, l’air inquiet.
« Mon chien a une drôle d’attitude, constata Claude. Je préfère vous attendre ici avec lui.
— Moi aussi », s’empressa d’ajouter Annie. Mick se mit à rire.
« François et moi, nous aurons vite fait la commission », dit-il.
Les deux garçons s’éloignèrent en direction de la ferme.
« J’espère qu’ils ne seront pas longtemps partis, murmura Annie. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens inquiète…
— À mon avis, il y a quelque chose d’anormal dans cette maison, dit Claude. Et Dagobert le sent ! »