CHAPITRE XIX
 
Une matinée bien remplie

 

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Où pouvaient se trouver Roland Thomas et Jean Dufrêne ? Étaient-ils prisonniers ? En proie aux tourments de la faim ? Quel devait être, par surcroît, leur état d’esprit, à la pensée que les prototypes à eux confiés venaient de passer à l’étranger, afin d’y être démontés, étudiés et copiés ?

« Ils sont sûrement furieux de leur aventure, dit Mick. Je pense que les espions avaient un complice dans l’aérodrome.

— C’est fort possible, dit M. Thomas. Un coup comme celui-là se prépare longtemps d’avance.

— Je n’arrive pas à comprendre comment M. Grégoire et M. Rousseau n’ont jamais rien soupçonné. Ils ont eu quatre étrangers sous leur toit, et ils n’ont rien remarqué ni entendu ! reprit Mick.

— Ils n’ont en tête que leurs précieux papillons. Ce sont des maniaques, dit Philippe. Mais leur indifférence au reste du monde peut leur coûter cher ! »

François se tourna vers M. Thomas, plongé dans de profondes réflexions.

« Que pouvons-nous faire, monsieur ? lui demanda-t-il. Voyez-vous un moyen de nous rendre utiles en cette circonstance ?

— Non, pas pour le moment, dît M. Thomas. La gendarmerie a entrepris des recherches dans toute la région. Elle a des moyens que nous n’avons pas. Peut-être est-elle déjà sur la bonne piste : deux ou trois personnes se sont plaintes d’une grosse voiture — dont elles ont relevé le numéro — qui roulait à folle allure hier, de très bon matin. Le brigadier pense que cette automobile a pu être utilisée pour transporter Roland et son camarade dans un lieu éloigné et désert, une carrière abandonnée, par exemple… »

Un silence consterné suivit cette déclaration. Le Club des Cinq ne pouvait absolument rien faire en l’occurrence. Il lui était impossible de fouiller tout le pays pour essayer de retrouver Roland et son ami. Seule, la gendarmerie avait quelques chances de réussir dans une pareille entreprise.

« Je vais travailler, dit M. Thomas. Où est ta mère, Philippe ? Il faut la mettre au courant de tous ces événements.

— Elle est partie au marché de la ville, dit Philippe. Le car ne la ramènera que vers midi.

— Où est Jeannot ? Parti avec sa mère, sans doute ? dit M. Thomas en gagnant la porte. Où est Dudule ? Le petit ne l’a tout de même pas emmené avec lui ?

— Je crois bien que si, puisqu’on ne voit ni l’un ni l’autre », dit Philippe. Il regarda ses camarades et parut se souvenir tout à coup de quelque chose. « Dites-moi, ne seriez-vous pas à court de ravitaillement, par hasard ? Voulez-vous que j’aille vous chercher ce qu’il vous faut ?

— Oui, si cela ne te dérange pas trop », dit François, confus. Il pensait aux malheureux aviateurs, probablement privés de nourriture et d’eau…

« Annie, viens avec moi, tu me diras ce que tu veux emporter », proposa gentiment Philippe.

Annie profita de l’occasion pour essayer de réconforter le pauvre garçon. Elle lui rappela que la gendarmerie recherchait activement les deux jeunes gens.

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Annie profita de l’occasion pour essayer de
réconforter le pauvre garçon.

« Veux-tu que nous restions ici ce matin pour t’aider, Philippe ? » demanda François quand les deux enfants revinrent avec des provisions. « Nous savons que tu as beaucoup de travail. En nous y mettant tous ensemble, nous avancerons vite, et cela nous distraira de nos soucis.

— Avec plaisir, dit Philippe sans hésitation. Je dois nettoyer le poulailler. Si tu veux m’aider avec Mick, ce sera bientôt fait.

— D’accord. Nous travaillerons avec toi toute la matinée, puis nous irons déjeuner à notre camp, là-haut. Si tu es libre, tu monteras nous rejoindre cet après-midi.

— Je n’y manquerai pas, dit Philippe. Venez donc par ici. Je vais chercher les brosses et tout le matériel nécessaire.

— Attendez ! Ne pouvons-nous pas vous aider aussi? demanda Claude. Je sais nettoyer un poulailler aussi bien que n’importe qui !

— Oh! non, Claude, c’est un sale travail; un travail pour des garçons, pas pour des filles », dit Philippe.

Il s’éloigna avec François et Mick. Claude les regarda partir d’un air furibond.

« Ça y est, tu as encore vexé Claude », remarqua Mick en souriant.

Philippe ouvrit des yeux surpris. « Vraiment ? dit-il. J’avais oublié qu’elle n’aime pas agir comme une fille. Attendez une seconde! »

Il s’en retourna vers la maison en courant et appela par la fenêtre du salon :

« Hé ! Claude ! Ma mère n’a jamais le temps de soigner ses fleurs comme elle le voudrait. Si tu veux lui faire une bonne surprise, arrache donc les mauvaises herbes qui poussent au pied de ses rosiers, et ratisse avec Annie ! »

Cette besogne n’enchantait pas Claude.

« Mme Thomas est si gentille pour nous que je serai heureuse de lui rendre ce petit service, s’empressa de dire Annie.

— Moi aussi », ajouta Claude, honteuse de son hésitation.

Tandis qu’elles travaillaient toutes deux avec ardeur, Annie dit en soupirant :

« Je regrette que Jeannot soit absent. Il est si mignon et si drôle.

— C’est vrai, dit Claude. Souvent, les petits m’ennuient, mais celui-là est très gentil. Il pose des questions inattendues et nous fait bien rire avec son fidèle petit cochon, qui se comporte presque comme un chien. »

Les cinq enfants ne ménagèrent pas leur peine. Vers onze heures et demie, le poulailler, assez vaste, était parfaitement nettoyé et séchait au soleil. De leur côté, les fillettes avaient presque terminé leur tâche. Les rosiers se trouvaient débarrassés de toutes les mauvaises herbes qui les entouraient. Chacun se sentait fier du labeur accompli.

Ils entendirent un car qui s’arrêtait, à quelque distance de la ferme.

« Mme Thomas va arriver, dit Claude. Dépêchons-nous de ramasser les herbes arrachées qui traînent encore par là. Nous n’avons plus que quelques minutes.

— Jeannot viendra voir ce que nous avons fait, dit Annie. Sais-tu que j’en suis à mon neuvième seau de mauvaises herbes ?

— Tu as encore mieux travaillé que moi », reconnut Claude.

Les trois garçons passèrent auprès d’elles, portant leurs brosses et tout leur matériel. Dagobert les suivait, le pelage quelque peu sali.

« Coucou! dit Mick. Ma parole, vous vous êtes distinguées ! Les rosiers sont admirablement mis en valeur par ce nettoyage !

— Oui. Maintenant, nous allons partir, car il est l’heure de songer au déjeuner, et d’ici à ce que nous soyons arrivés en haut de la colline, nous serons tous affamés comme des loups, dit Annie.

— Prenez les devants, dit François. Mick et moi, nous aidons Philippe à ranger ses affaires et nous vous suivons avec les provisions.

— Bon. J’emporte la salade et les légumes pour nous avancer, dit Annie. Dagobert, viens avec nous ! »

Avant de partir, les fillettes cherchèrent à voir Mme Thomas, mais celle-ci avait disparu dans les profondeurs de la laiterie.

— Tant pis, elle doit être occupée, dit Claude. Partons. »

Elles quittèrent la ferme, suivies de Dagobert. La faim les tenaillait déjà, car le jardinage est un exercice fatigant. Bientôt, elles furent hors de vue.

Les garçons allèrent se laver les mains à la pompe. Philippe courut voir sa mère, qui venait de regagner la cuisine; il voulait la mettre au courant de ce qu’il savait au sujet de son cousin. Mais M. Thomas l’avait devancé.

« Pauvre Roland, disait-elle quand Philippe entra.

— Tiens, Jeannot n’est pas là? demanda Philippe. Tu ne l’as pas oublié dans l’autocar, maman ?

— Que dis-tu ? s’écria Mme Thomas, surprise et tout de suite inquiète. N’est-il pas avec vous ? Je l’ai laissé à la ferme ce matin, car j’avais trop de courses à faire. Il n’aurait pu me suivre.

— Mais…, nous ne l’avons pas vu de la matinée…, bredouilla Philippe.

— Est-ce possible ? Je pensais que tu veillerais sur lui, comme tu le fais d’habitude, dit la mère d’un ton de reproche.

— Tout le monde a cru que tu l’avais emmené avec toi, gémit Philippe. Où s’est-il encore sauvé ? »

À ce moment-là, François et Mick entrèrent dans la cuisine et saluèrent Mme Thomas. On les mit au courant de la disparition de Jeannot.

« Peut-être est-il parti en haut de la colline, pour voir comment nous nous sommes installés pour camper. Il en avait tellement envie ! hasarda Mick.

— Philippe, cours vite jusqu’à l’étang, dit Mme Thomas toute pâle. Regarde aussi dans la remise. Il aime s’amuser avec les machines agricoles, et c’est fort dangereux. Oh! Jeannot, mon petit Jeannot ! Où es-tu ? »

Elle se tourna vers François et Mick :

« En effet, il m’a dit qu’il voulait aller vous voir. Montez vite là-haut ! Appelez-le tout le long du chemin. Il a pu se perdre en route. C’est fort loin pour un petit bonhomme comme lui ! Après tout, peut-être que son cochon s’est sauvé, comme il le prétend si souvent, et qu’il l’a suivi. Pourvu qu’on le retrouve rapidement ! »

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