CHAPITRE VIII
 
Philippe est incorrigible

 

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« Que veux-tu dire ? demanda François.

— Il y a des écriteaux de ce genre un peu partout autour de l’aérodrome : Défense d’entrer, Danger, etc. Mais en réalité, c’est un endroit bien tranquille. On ne trouve ici ni canons ni bombes, seulement des avions.

— N’as-tu pas demandé à ton cousin pourquoi on a mis tous ces avertissements ? Il doit y avoir une raison !

— Ils sont là depuis des années. Peut-être ont-ils été utiles un certain temps, mais à présent cela n’a plus aucun sens. Vous pouvez vous baigner ici, croyez-moi ! » dit Philippe avec conviction.

Les enfants se regardèrent, indécis. L’eau bleue était si tentante…

« Bon. J’espère que tu sais ce que tu fais, dit enfin François. Après tout, puisque les autorités militaires n’ont pas clôturé leur champ d’aviation pour empêcher les gens d’approcher, je ne crois pas non plus qu’il y ait un réel danger.

— Allons, ne perdons pas de temps, conclut Claude, qui adorait nager. Vous, les garçons, vous avez un buisson pour vous déshabiller ici. En voici un autre là-bas, pour Annie et moi. »

Cinq minutes plus tard, ils plongeaient dans l’étang, assez profond. La fraîcheur de l’eau leur parut délicieuse. Dagobert et Clairon les suivirent en nageant vigoureusement. Les enfants s’amusèrent à les éclabousser. Dagobert se mit à aboyer.

« Tais-toi ! lui dit Philippe aussitôt.

— Pourquoi? demanda Claude.

— Heu… Quelqu’un de l’aérodrome pourrait l’entendre, dit Philippe, légèrement embarrassé.

— Tu nous as dit que nous pouvions nous baigner ici.

— Oui, mais il vaut mieux ne pas faire de bruit. »

Claude plongea sous l’eau, saisit Philippe par les pieds et le tira au fond. Quand le jeune garçon revint à la surface, il était rouge et suffoquant.

« Souviens-toi… La vengeance est un plat qui se mange froid ! » lui cria Claude en prenant le large.

Quand il eut retrouvé son souffle, Philippe voulut la poursuivre; mais Claude nageait plus vite que lui; il fit le tour de l’étang sans réussir à l’attraper. Les autres riaient de les voir.

« Philippe a bien mérité une leçon, dit Mick. Désormais il réfléchira avant d’exhiber des araignées pour faire enrager les filles ! »

Quand Dagobert vit Philippe poursuivre Claude, il recommença d’aboyer, et Clairon l’imita.

« Tais-toi, Clairon ! cria Philippe. Je te dis de te taire ! »

Avant que le chien eût obéi, il se passa quelque chose d’inattendu. Une voix de stentor résonna :

« Alors, on se baigne ici ? Vous ne savez donc pas lire ? Qu’est-ce qu’on vous a appris à l’école ? »

Les cinq enfants se tournèrent vers l’endroit d’où partait la voix. Ils virent un homme grand et fort, le teint coloré, portant l’uniforme d’aviateur, qui leur désignait l’écriteau.

François s’arma de courage et nagea dans sa direction. Il regrettait bien d’avoir écouté Philippe.

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« Excusez-nous, dit-il. Il nous a semblé qu’il n’y avait aucun danger…

— Sortez de là, vous tous ! Et en vitesse ! » cria le trouble-fête.

Ils se hâtèrent d’obéir à cet ordre péremptoire. Pour tout arranger, les chiens ne trouvèrent rien de plus intelligent que d’aller se secouer si près de l’aviateur que celui-ci dut reculer.

« Ce sont vos chiens qui m’ont alerté par leurs aboiements », déclara-t-il. Il avisa alors Philippe. « Dis-moi, mon garçon, nous nous sommes déjà rencontrés plusieurs fois, n’est-ce pas ? Il n’y a pas si longtemps que tu es venu rôder autour des hangars avec ce stupide animal qui ne manque jamais de signaler sa présence… et la tienne ! »

Philippe devint rouge. Traiter de stupide animal son cher Clairon ! Enfin, ce n’était pas le moment de discuter sur ce point.

« Ce jour-là, dit-il, j’étais venu voir mon cousin, le lieutenant Thomas. Qu’est-ce que je faisais de mal ? Je ne suis pas un espion !

— J’en parlerai au lieutenant, dit le garde. Il est interdit à quiconque d’approcher du champ d’aviation. Il y a des avis partout.

— Est-ce qu’on prépare quelque chose en ce moment ? demanda Philippe avec un sourire en coin.

— Crois-tu que je te le dirais, si c’était le cas ? dit l’aviateur en haussant les épaules. Partez, et ne revenez plus. Les ordres sont les ordres ! »

François s’avança. « Nous ne nous baignerons plus ici, je vous le promets, dit-il. Je regrette de vous avoir fait faire tout ce chemin pour nous avertir. »

Le garde considéra François d’un œil soudain adouci, puis il sourit.

« Très bien, dit-il. Pour ma part, je regrette d’interrompre votre bain par une journée si chaude. Si ce garçon (il désigna Philippe) obtient du lieutenant Thomas la permission de se baigner ici à des heures déterminées, je n’y vois pas d’inconvénient. Je ne me dérangerai plus quand j’entendrai des cris et des aboiements à ces heures-là !

— Merci beaucoup, dit François, mais ce n’est pas la peine, car nous ne sommes ici que pour quelques jours. »

Le militaire salua et s’éloigna d’un pas rapide.

« Quel dommage ! murmura Philippe. On était si bien dans l’eau !

— As-tu entendu ce qu’il a dit : « Les ordres « sont les ordres ! » Cet homme n’a fait que son « devoir », lança Mick assez rudement.

Philippe prit un air tout déconfit.

« Séchons-nous, dit François. Ensuite, nous irons demander quelques provisions supplémentaires à ta mère, qui est si gentille. »

Philippe avança prudemment :

« Je pense pouvoir obtenir de mon cousin la permission de nous baigner dans ce lac. Est-ce que cela vous ferait plaisir ?

— Nous ne resterons pas assez longtemps pour cela. Il aurait fallu y penser plus tôt, dit François. Mais je serais heureux de faire connaissance avec ton cousin, à l’occasion.

— Peut-être nous emmènera-t-il en avion, dit Philippe, qui espérait ainsi se faire pardonner. Regardez qui arrive ! »

Jeannot approchait du groupe au pas de course, son petit cochon dans les bras.

« Je suis venu vous chercher, dit-il. Maman vous attend pour le goûter.

— Quelle bonne nouvelle ! » dit Annie. Elle prit le petit garçon par la main, « Pourquoi ne poses-tu pas ton cochon par terre ? Il doit être très lourd pour toi !

— Il se sauve tout le temps. Alors, je le porte.

— Mets-lui donc un collier et une laisse comme à un chien, suggéra Mick. Il paraît que les cochons qui cherchent les truffes s’habituent très bien à être tenus en laisse.

— C’est impossible. Regarde Dudule, il n’a pas de cou », fit remarquer Jeannot.

En effet, le porcelet était si gras que sa tête et son corps ne faisaient qu’un, sans trace de cou.

Tout le monde prit la direction de la ferme; le porcelet se mit à courir en tête. Il semblait ravi de conduire la troupe et poussait de petits cris aigus. Dagobert crut l’animal rose en difficulté. Il courut le rejoindre et lui donna de petits coups de tête amicaux, comme pour le consoler. Mme Thomas, de sa fenêtre, vit approcher le groupe.

« J’ai pensé que vous seriez contents de goûter ici aujourd’hui, car nous avons un visiteur de marque, annonça-t-elle.

— Qui est-ce ? demanda Philippe en se précipitant dans la maison. Ah ! C’est Roland ! François, Mick, venez vite. Je vous présente mon cousin Roland Thomas, lieutenant d’aviation, dont je vous ai parlé. Roland, voici mes amis : François, Annie, Claudine… heu… je veux dire Claude, Mick et Dagobert. »

Un grand jeune homme de belle prestance, au regard clair, s’avança vers eux en souriant. Les quatre enfants le trouvèrent très sympathique. Ils comprirent pourquoi Philippe en était si fier. Ils eussent bien voulu avoir, eux aussi, un cousin comme celui-là.

« Bonjour, dit Roland Thomas. Enchanté de faire votre connaissance… Tiens ! Bonjour, mon vieux ! »

Cette dernière phrase s’adressait à Dagobert qui, sans hésiter, venait de lui tendre la patte.

« C’est curieux, dit Claude. Mon chien n’agit pas ainsi d’ordinaire. Vous devez lui plaire beaucoup.

— Comment vas-tu ? » demanda le jeune homme, avec le plus grand sérieux, tout en serrant la patte de Dagobert.

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