CHAPITRE V
Un visiteur matinal
François regarda sa montre. « Huit heures ! Il est temps de dîner, dit-il. Mais nous avons si bien goûté chez les parents de Philippe que, pour ma part, je n’ai pas faim. En revanche, je suis très fatigué. Et vous ?
— Nous aussi, répondirent les trois autres.
— Ouah ! fit Dagobert.
— Cette longue course à bicyclette, suivie de cette pénible escalade avec la charrette, m’a épuisé, dit Mick avec un soupir. Je propose que nous nous contentions d’un modeste sandwich et que nous couchions à la belle étoile. Pas besoin de tente ce soir. La brise est tiède.
— Bonne idée, dit François. Annie, qu’as-tu à nous offrir ?
— Du pain, du beurre, du fromage et les fraises de Jeannot, répondit Annie sans hésiter.
— Ce sera bien suffisant, après tout ce que nous avons ingurgité aujourd’hui. Pendant que tu prépares cela, Mick et moi, nous allons repérer l’endroit le plus confortable pour dormir. Je sens que si je m’assois maintenant, je n’aurai plus le courage de me relever, dit François.
— Moi non plus », ajouta Mick.
Ils inspectèrent les environs et virent des genêts, devant lesquels s’étendait de la bruyère serrée, aussi élastique que le meilleur matelas.
Mick se roula dedans. « Voilà ce qu’il nous faut, dit-il. Aide-moi à me relever, François, s’il te plaît ! »
Ils mangèrent quelques sandwiches tout en admirant le paysage. Le soleil baissait à l’horizon. Quand les fraises furent englouties, ils étendirent leurs sacs de couchage sur la bruyère. Il faisait encore clair.
« Bonne nuit, dit Mick, qui ferma les yeux et s’assoupit aussitôt.
— Bonne nuit », répondit François. Il resta appuyé sur son coude, pour admirer les reflets rougeoyants du crépuscule. Dagobert s’installa entre Annie et Claude, sur une couverture; il tourna en rond un bon moment pour y creuser sa place.
« N’oublie pas que tu es de garde, lui dit Claude. Il est probable que nous ne serons pas dérangés ici, mais on ne sait jamais. Et tiens-toi tranquille, ou je t’envoie dormir plus loin ! Bonne nuit, Annie ! »
Sur ces mots, Claude s’endormit. Dagobert ne tarda pas à l’imiter. Il était très fatigué de sa longue course. Annie resta les yeux ouverts et regarda longtemps le ciel aux tons changeants et l’étoile du Berger, si brillante ce soir-là. Elle se sentait heureuse.
« Je ne désire pas grandir, pensait-elle. Rien ne peut être plus charmant au monde que notre Club des Cinq. Comme nous nous amusons bien ! Non, décidément, je ne veux pas grandir ! »
Elle ferma les yeux et s’endormit enfin.
La nuit tomba. Les étoiles s’allumèrent une à une. Seuls, le murmure de la source et parfois le lointain aboiement d’un chien troublaient le silence. Les heures passèrent.
Le lendemain matin, un ronflement de moteur éveilla en sursaut tous nos amis.
François examina longuement le petit aéroplane qui survolait la colline.
« Il vient sans doute du champ d’aviation qui se trouve à l’ouest, dit-il. Savez-vous qu’il est neuf heures dix ? Nous avons fait le tour du cadran !
— C’est très bien ainsi; je vais dormir encore un peu, déclara Mick.
— Non, dit François en le secouant. Regarde ce temps splendide. Il faut en profiter. Nous nous sommes assez reposés. Hep ! Annie ! Claude ! Êtes-vous réveillées ?
— Bien sûr, cet avion m’a tirée de mon rêve, répondit Claude en se frottant les yeux. Annie se lève déjà. Quant à Dagobert, il est en train de suivre la piste d’un lapin.
— Nous allons faire notre toilette à la source, dit Annie. Puis nous préparerons notre petit déjeuner. »
Le soleil brillait dans un ciel absolument pur. La brise soufflait doucement. Tandis qu’ils se lavaient à l’eau fraîche de la source, Dagobert revint de sa promenade et s’approcha pour boire à grands coups de langue, qui lui éclaboussèrent le nez. Les garçons firent du feu Les filles préparèrent le chocolat au lait.
Quand ils eurent dévoré leurs tartines, Dagobert se mit à aboyer, du ton qu’il prenait d’ordinaire pour annoncer une personne de sa connaissance. Les enfants entendirent Clairon, qui lui répondait de loin. Bientôt, le chien de Philippe apparut. Il commença par donner un bon coup de tête à Dagobert en signe d’amitié, puis il fit le tour des enfants pour se faire caresser.
« Coucou ! lança Philippe qui contournait les genêts. Inutile de vous demander si vous avez bien dormi : je vois que vous venez seulement de terminer votre déjeuner, Pour ma part, je suis debout depuis six heures du matin. J’ai trait les vaches, donné le grain aux poules et ramassé les œufs. »
Nos amis se regardèrent avec étonnement. Ils se sentaient confus. Si jeune, leur camarade Philippe était déjà presque un fermier !
« Je vous ai apporté du lait frais, et encore quelques œufs et du gâteau, dit-il en posant son panier par terre.
— C’est très gentil de ta part, dit François. Bien entendu, nous paierons tout ce que tu nous fourniras. Sais-tu combien nous devons pour les provisions d’hier et pour celles de ce matin ?
— Ma mère ne veut rien accepter, dit Philippe. Mais comme je sais que vous tenez à payer, je vais vous faire une proposition : je mettrai l’argent dans une tirelire et j’achèterai ensuite un cadeau à ma mère, de votre part à tous, Qu’en pensez-vous ?
— C’est une bonne, idée, dit François. Nous ne pouvons pas accepter de nous ravitailler chez toi pour rien. Aussi, je crois que tu as raison, nous offrirons un cadeau à ta maman. Fais ton compte, je vais te payer tout de suite.
— Bon, dit Philippe. Voyons cela… »
Il tira de sa poche un crayon et un bout de papier, et se plongea dans les chiffres. Pendant ce temps, les filles lavèrent les tasses dans l’eau de la source, et Mick rangea les nouvelles provisions dans le garde-manger installé par Annie.
Philippe remit à François une note bien écrite que ce dernier régla aussitôt. Philippe marqua « payé » au bas de la note et dit en la remettant à son camarade :
« Voilà comment on fait dans le commerce. Merci beaucoup. Qu’avez-vous l’intention de faire aujourd’hui ? Voulez-vous visiter les superbes grottes d’Enfer, ou bien la ferme des Papillons ? Ou préférez-vous passer la journée chez nous ?
— Nous irons chez toi un autre jour, dit François qui craignait de déranger Mme Thomas. Nous ne manquerons pas de visiter les grottes avant notre départ, mais aujourd’hui il fait si beau que nous aimons mieux rester au grand air. Que décidez-vous, les filles ?
Avant qu’elles aient eu le temps de répondre, Clairon et Dagobert se mirent à aboyer en direction d’un buisson de genêts.
« Va voir qui approche », ordonna Claude à son chien.
Dagobert fit le tour des arbrisseaux, suivi de Clairon. Les enfants entendirent alors une voix étonnée :
« Te voilà, Clairon ? Que fais-tu, si loin de chez toi ?
— C’est M. Grégoire, l’un des propriétaires de la ferme des Papillons, annonça Philippe. Il se promène souvent dans les parages avec son filet, à la recherche des spécimens rares. »
Un homme s’approchait d’eux; il était grand, d’allure gauche, avec un visage osseux, des lunettes aux verres épais et des cheveux peu soignés qui lui pendaient sur le front. Il portait sur l’épaule un grand filet à papillons. Lorsqu’il vit le groupe, il s’arrêta.
« Bonjour, Philippe, dit-il. Tu es en nombreuse compagnie, à ce que je vois.
— Monsieur Grégoire, je vais vous présenter mes amis, dit Philippe fièrement. Voici Claude Dorsel et ses cousins, François, Michel et Annie Gauthier.
— Ravi de vous connaître », dit M. Grégoire en leur serrant la main.
Derrière les lunettes brillaient de petits yeux malicieux.
« Trois garçons et une fille ! s’exclama-t-il. Vraiment, Philippe, tes amis me font bonne impression. Je suis sûr qu’ils ne sont pas de ceux qui détériorent et salissent les lieux où ils campent, ou mettent le feu par négligence dans les forêts.
— Quelle horreur! » dit Claude en riant. Elle était enchantée qu’on l’eût prise, une fois de plus, pour un garçon. Rien ne pouvait lui faire plus de plaisir. « Monsieur Grégoire, ajouta-t-elle fort gracieusement, nous serions heureux de vous rendre visite et de voir vos papillons. J’espère que vous voudrez bien nous y autoriser ?
— Certainement, mon garçon, répondit M. Grégoire, les yeux pétillants de joie. Tout de suite si vous le voulez. Cela vous convient ? Alors, suivez-moi !»