CHAPITRE X
 
L’énigmatique M. Rousseau

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MICK et François se dirigèrent vers les serres où l’on élevait les papillons et les chenilles. Ils regardèrent au travers des vitres, espérant voir M. Grégoire, mais il n’y avait personne. Alors ils s’approchèrent de la maison.

« Si nous l’appelions de l’extérieur ? proposa Mick. Il sortirait pour nous parler. Cela nous éviterait de rencontrer sa bonne, qui est si déplaisante. »

François approuva, et ils se mirent à crier : « Monsieur Grégoire ! Monsieur Grégoire ! »

Personne ne répondit, mais une main souleva le rideau d’une des fenêtres du premier étage; les deux garçons appelèrent de nouveau en faisant des signes vers la fenêtre :

« Monsieur Grégoire ! Nous avons trouvé un superbe papillon que nous vous apportons ! »

La fenêtre s’ouvrit et la vieille Jeanne se pencha au-dehors.

« M. Grégoire n’est pas là ! leur dit-elle de sa voix cassée.

— Dommage ! Est-ce que son associé est absent aussi ? » demanda Mick.

La vieille les regarda un moment sans parler, grommela quelque chose d’indistinct, puis disparut brusquement de la fenêtre.

Mick, étonné, s’adressa à François : « Comment se fait-il qu’elle soit partie si soudainement ? On aurait dit que quelqu’un la tirait par-derrière !

— Tu penses que c’est peut-être son fils, celui dont elle se plaint ? dit François, aussi intrigué que son frère.

— Je n’en sais rien, dit Mick. Faisons le tour de la maison. Il n’est pas tellement sûr que M. Grégoire soit absent. On ne peut pas se fier à ce que dit cette femme. »

Au moment où ils jetaient un coup d’œil dans un hangar, ils entendirent des pas précipités derrière eux. Un homme s’avançait, petit et maigre, le visage étroit, avec un nez pincé chevauché de lunettes noires. Il portait un filet à papillons.

Après un salut plutôt sec, il dit :

« M. Grégoire n’est pas ici pour l’instant. Que désirez-vous ?

— Etes-vous bien M. Rousseau, son associé ? demanda Mick.

— Oui, répondit l’homme au nez pincé.

— Nous avons trouvé un papillon qui nous paraît si beau que nous vous l’avons apporté », reprit Mick.

Il ouvrit la boîte où l’insecte reposait et suçait le sucre resté dans le fond, M. Rousseau l’examina à travers ses lunettes noires.

« En effet, il m’intéresse. Je vous l’achète, dit-il.

— Oh ! Nous voulions vous l’offrir. Comment appelle-t-on cette sorte de papillon ? demanda François.

— Je ne peux pas vous le dire avec certitude sans un examen approfondi », articula sèchement M. Rousseau en refermant la boîte.

Il sortit de sa poche deux pièces qu’il tendit à François.

« Tenez, dit-il. Je vous remercie. J’informerai M. Grégoire de votre visite. »

Il les planta là et s’éloigna à grands pas, son filet à papillons sur l’épaule.

François regarda avec des yeux ronds les deux pièces, puis la maigre silhouette qui disparaissait au coin de la maison.

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« Quel drôle d’homme ! dit-il. Qu’allons-nous faire de cet argent, Mick ?

— Si nous le laissions à cette pauvre bonne ? Elle a l’air de manquer de tout. Ses patrons ne doivent pas la payer bien cher !

— Bonne idée. Tiens, donne-le-lui toi-même », dit François.

Ils revinrent vers la façade de la maison. Ils espéraient voir la vieille femme, mais personne ne se montra. Après une courte hésitation, ils frappèrent à la porte. Jeanne ouvrit.

« Allez-vous-en! gémit-elle en levant les bras au ciel. Mon fils va revenir bientôt. Il ne veut pas voir d’étrangers ici. Partez vite !

— D’accord, dit Mick. Tenez, voici quelque chose pour vous. »

Il lui mit les pièces dans la main. Elle les regarda comme si elle ne pouvait en croire ses yeux, puis, avec une surprenante rapidité, fit glisser les pièces de monnaie dans l’une de ses chaussures, qui étaient bien usées. Quand elle se releva, des larmes coulaient le long de ses joues.

« Vous êtes bons, murmura-t-elle. Oui, vous êtes bons ! Partez vite et ne revenez plus ici. Mon fils est un méchant homme ! »

Les garçons s’éloignèrent silencieusement, ne sachant que penser. Pourquoi Jeanne accusait-elle ainsi son fils? Pourtant, Philippe le connaissait et n’en disait pas de mal. Sans doute la pauvre femme avait-elle perdu la tête…

« Quelle drôle de maisonnée, remarqua Mick. Les deux éleveurs de papillons sont bizarres. Leur bonne l’est encore bien davantage, et son fils semble la terrifier. Décidément, il est préférable de ne pas revenir ici.

— Tu as raison », dit François. Ils arrivaient auprès des fillettes.

« Nous allions envoyer Dagobert pour voir ce que vous faisiez », dit Annie.

Les garçons leur racontèrent ce qui s’était passé et l’impression étrange qu’ils en gardaient.

« Même si nous trouvons maintenant des papillons encore plus extraordinaires, nous ne les porterons pas à ces gens-là, décida François. C’est curieux tout de même que ce M. Rousseau n’ait pas su nous dire de quelle espèce il s’agissait. Ne trouvais-tu pas, Mick ?

— Oui. C’est probablement M. Grégoire qui est l’expert de l’association », opina Mick.

Quand ils furent revenus à l’endroit où ils campaient, Dagobert se précipita vers le garde-manger. Mais Annie secoua la tête.

« Non, Dagobert, ce n’est pas encore l’heure du dîner.

— Qu’allons-nous faire pour passer le temps ? demanda Mick en se laissant tomber sur l’herbe. Voici encore une belle soirée.

— Oui, mais je n’aime pas beaucoup ces gros nuages qui montent lentement à l’ouest, dit François. Il pleuvra demain.

— Quel dommage, dit Claude. Le beau temps ne pouvait-il pas durer quelques jours de plus ? Que ferons-nous s’il pleut ? Nous ne pourrons que rester assis sous la tente, et nous aurons froid !

— Console-toi, nous en profiterons pour aller visiter les grottes, dit Mick. Pour le moment, écoutons la radio. Si nous avons la chance de capter de la bonne musique, elle résonnera merveilleusement ici.

— Alors, faites marcher le poste doucement, conseilla Annie. Je déteste les gens qui promènent leur poste à transistors avec eux et en usent sans discrétion. J’ai envie de flanquer des coups de pied dans leur appareil, pour leur apprendre à respecter la paix des autres.

— Eh bien, Annie, je ne te savais pas si féroce ! dit Claude, surprise.

— Tu ne connais pas comme nous notre petite sœur, dit François en souriant. Elle n’est pas toujours commode, surtout quand elle constate que quelqu’un se montre mal élevé et gêne son entourage.

— Ici, en tout cas, nous ne risquons guère d’importuner nos voisins », fit remarquer Mick.

Après quelques tâtonnements, les premières mesures de la Symphonie inachevée vinrent charmer leurs oreilles. Les quatre enfants s’étendirent dans l’herbe, appuyés sur un coude, de façon à pouvoir admirer le coucher du soleil, tout en écoutant la divine musique de Schubert. Malheureusement, la bande sombre que formaient les nuages continuait de monter à l’horizon, et le soleil allait bientôt disparaître derrière.

Tout à coup, le ronronnement d’un moteur d’avion couvrit les sons harmonieux de l’orchestre : « R-r-r-r-r-r-r-r ! »

Mick et François sautèrent sur leurs pieds, et Dagobert se mit à aboyer.

« Tiens, comme le bruit semble proche, dit Mick. C’est peut-être le cousin de Philippe. »

Un petit aéroplane contourna le faîte de la colline et décrivit un grand cercle avant de descendre vers l’aérodrome. Les enfants eurent juste le temps d’apercevoir le numéro de l’appareil :

« Cinq… sept…, commença François.

Mick l’interrompit.

« C’est bien l’avion de Roland Thomas. J’ai reconnu son numéro. Faisons-lui signe ! »

Ils agitèrent tous le bras avec frénésie, quoi qu’il fût improbable que le jeune homme pût les voir, dans l’ombre de la colline. Ils regardèrent l’appareil se poser doucement sur la piste.

François courut chercher les jumelles et vit une silhouette sauter de l’avion.

« C’est sûrement Roland Thomas, dit-il. Ah! Que je voudrais aussi monter dans le ciel, survoler des montagnes et aller loin, loin, loin, au-delà des mers… »

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