CHAPITRE XIII
 
Une grosse émotion

 

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Les cinq, hors d’haleine, s’arrêtèrent devant l’entrée des grottes. Maintenant qu’ils étaient à l’air libre, à la lumière du jour, ils trouvaient stupide d’avoir fui à cause d’un bruit insolite. Ils se regardèrent, gênés.

« Ouf ! dit François en s’épongeant le front. Quelle émotion nous avons eue ! Ce sifflement… Je crois l’entendre encore. On aurait dit un sifflet de sergent de ville utilisé par un fou. Quant au hurlement…

— Horrible ! gémit Annie. Quelque chose comme un rugissement de fauve… Jamais je ne remettrai les pieds dans ces cavernes. Eloignons-nous vite de cet endroit sinistre ! »

Ils marchèrent silencieusement le long du chemin. Le temps s’améliorait. La pluie venait de cesser, les nuages se dissipaient lentement.

Quand ils furent revenus sous la tente — la bruyère était encore mouillée — ils reprirent la discussion.

« Nous demanderons à Philippe s’il a déjà entendu des cris pareils dans les grottes, dit Mick. J’ai l’impression que personne ne voudrait les visiter si cela arrivait souvent.

— Il faut avouer que nous avons manqué de courage », reconnut François, honteux de lui-même.

Claude le taquina :

« Si tu le regrettes, retourne là-bas et crie de toutes tes forces. Peut-être réussiras-tu à effrayer celui qui nous a donné une si belle frousse !

— Merci bien, dit François. Je n’ai aucune envie de participer à un concours de hurlements dans les grottes d’Enfer ! »

Il alla chercher ses jumelles et les braqua sur le champ d’aviation.

« Que fais-tu ? lui demanda Mick.

— J’essaie d’apercevoir le cousin de Philippe», répondit François.

Après quelques instants, il s’écria, tout surpris :

« Quelle agitation ce matin ! Je vois des gens qui vont, qui viennent… Certains d’entre eux courent… Il y a aussi beaucoup d’avions, qui ont dû arriver depuis peu. »

Chacun voulut voir si François disait vrai. Ils constatèrent, grâce aux jumelles, qu’il se passait sans aucun doute quelque chose d’insolite à l’aérodrome.

Un appareil vint se poser sur la piste.

« Encore un ! constata Mick. D’où viennent les autres? Nous n’avons entendu aucun bruit de moteur.

— Ils sont peut-être arrivés pendant que nous visitions les grottes, dit Claude. Quel dommage que nous ne puissions pas voir Roland pour lui demander de quoi il retourne !

— Si nous allions à la ferme cet après-midi ? proposa Annie. Philippe aura peut-être des nouvelles intéressantes. »

Les autres approuvèrent. « Par chance, le soleil perce, remarqua Claude. La bruyère va vite sécher. Ecoutons la radio, c’est l’heure des prévisions météorologiques. Je n’ai guère envie de porter mon imperméable sur le bras en promenade si le beau temps doit durer. »

Malheureusement, ils constatèrent qu’ils venaient de manquer les prévisions météorologiques. Mick s’apprêtait à tourner le bouton lorsque deux mots frappèrent son oreille : « Mont-Perdu… » Il resta la main en l’air et écouta, surpris. La voix du speaker résonna clairement :

« Les avions volés à la base du Mont-Perdu sont deux prototypes de grande valeur. Il semblerait que deux de nos meilleurs pilotes se soient enfuis à bord de ces appareils : le lieutenant Roland Thomas et le lieutenant Jean Dufrêne. Les avions auraient quitté leur base au cours d’une tempête sur le Mont-Perdu, la nuit dernière. On pense que les pilotes sont des traîtres qui auraient agi pour le compte d’une puissance étrangère. »

Après une courte pause, le speaker passa à un autre sujet.

Mick éteignit la radio et tous se regardèrent, muets de surprise. « Le cousin de Philippe, faire une chose pareille ? Ce sympathique jeune homme, un traître qui se sauve à bord d’un prototype ? » pensait chacun.

« Ce n’est pas possible, murmura finalement Claude.

— Nous avons entendu les avions s’envoler, dit Mick. Ils étaient deux. Nous devrions nous rendre à la gendarmerie la plus proche pour dire ce que nous savons.

— Ce que nous savons est bien vague, fit remarquer François.

— Je ne peux pas croire que ce soit vrai, reprit Mick d’une voix contenue, Roland… Il paraissait tellement bien, ce garçon-là. Nous l’admirions tant…

— Oh ! oui, dit Annie en détournant la tête.

— Dagobert aussi lui a témoigné de l’amitié. D’ordinaire, il ne se trompe pas sur les gens, ajouta Claude. Pauvre Philippe ! Quel coup ce doit être pour lui ! Il aime beaucoup son cousin. Et même il le considère presque comme un dieu ! »

Dagobert se leva soudain, contourna les buissons de genêts et se mit à aboyer. Claude discerna qu’il s’agissait d’un aboiement de bienvenue. Philippe fit son apparition, pâle et visiblement bouleversé.

Il vint s’asseoir près de ses amis.

« J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer, dit-il d’une voix sans timbre.

— Nous sommes au courant, dit Mick, apitoyé. Nous venons d’écouter la radio. C’est incroyable ! Ton cousin… »

Le visage de Philippe se contracta et des larmes se mirent à couler le long de ses joues. Les autres enfants, navrés, ne savaient que faire devant une si évidente douleur. Dagobert, compatissant et moins embarrassé, s’approcha de Philippe et, d’un grand coup de langue, essuya ses larmes. Le jeune garçon prit le chien par le cou et parla d’une voix entrecoupée :

« Ce n’est pas Roland ! Je le sais ! J’en suis sûr ! Il n’est pas capable d’une action aussi laide. Vous êtes de mon avis, n’est-ce pas? »

En disant ces mots, Philippe regardait fixement ses amis. On sentait qu’il se révoltait à la seule idée que l’on pût soupçonner son cousin.

— Pour ma part, je me refuse à croire qu’il ait trahi son pays, dît François gravement. Nous ne l’avons vu qu’une fois, mais il nous a paru à tous loyal, digne de confiance… »

Philippe, satisfait du jugement de ses amis, sortit de sa poche un grand mouchoir à carreaux, s’essuya le visage et se moucha bruyamment.

« Pour moi, il est une sorte de héros, avoua-t-il. Quand les gendarmes sont venus à la ferme, pour interroger mes parents au sujet de mon cousin, je ne pouvais en croire mes oreilles.

— Ainsi, Roland et son compagnon ont vraiment disparu ? Il ne manque aucun autre pilote ?

— Non, répondit Philippe. Tout le monde a répondu « présent » à l’appel, ce matin, excepté Roland Thomas et Jean Dufrêne.

— Cette affaire se présente mal, opina Mick après quelques instants de réflexion.

— Roland n’est pas un traître ! s’écria Philippe, les yeux brillants de colère. Veux-tu dire que…

— Je ne veux rien dire du tout, protesta Mick. Ne sois pas stupide.

Dagobert disparut de nouveau derrière les genêts en aboyant, cette fois, à plein gosier, François s’avança et vît deux gendarmes auxquels le chien montrait les crocs.

Le jeune garçon appela Dagobert.

« Nous avons appris que vous campiez depuis quelques jours sur le Mont-Perdu, et nous sommes venus vous poser quelques questions au sujet des événements de la nuit dernière, dit le premier gendarme. Vous étiez bien ici, n’est-ce pas ?

— Oui, dit François. Nous allons vous dire tout ce que nous savons. Je ne crois pas, malheureusement, que cela vous avancera beaucoup. En tout cas, nous sommes persuadés que le lieutenant Thomas est victime d’une erreur…

— Peut-être, dit le gendarme. Asseyons-nous pour causer un peu. »

Ils s’assirent tous dans la bruyère. François fit le récit de ce qu’ils avaient remarqué et entendu.

Le second gendarme leva le nez du carnet sur lequel il inscrivait la déposition de François :

« N’avez-vous vu personne rôder dans les parages ? » demanda-t-il.

François réfléchit quelques instants, et répondit :

« Nous n’avons aperçu que M. Rousseau, l’éleveur de papillons.

— Vous êtes sûrs qu’il s’agissait bien de M. Rousseau ? questionna le gendarme.

— Il faisait sombre, mais je pense que c’était bien lui qui se promenait avec son filet à papillons sur l’épaule. Il m’a dit que M. Grégoire l’accompagnait. Cependant, je n’ai pas vu M, Grégoire. J’ai l’impression très nette que ces deux-là ne s’intéressent qu’aux papillons. »

Le second gendarme referma son carnet et se prépara à partir.

« Merci beaucoup, dit-il. Nous allons de ce pas jusqu’à la ferme des Papillons pour interroger les éleveurs.

— Permettez-nous de vous accompagner, demanda Mick, curieux comme toujours.

— Non, c’est impossible, répondit fermement le premier gendarme.

— Dès que vous saurez que mon cousin Roland est hors de cause, avertissez-nous, s’il vous plaît ! implora Philippe.

— Je comprends que tu aies de la peine, mon garçon. C’est ton cousin. Pourtant, il faut t’y résigner : Roland Thomas est bel et bien parti l’autre soir dans l’un des deux avions volés. Aucun doute là-dessus !» dit le second gendarme.