CHAPITRE VI
 
Un étrange conte

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LES quatre enfants frissonnaient, malgré la chaleur du soleil. Le vieux berger disait-il la vérité ? Des pirates allumaient-ils encore leur feu maudit dans la vieille tour en ruine ? Pourquoi ? Mais y avait-il seulement des pirates au XXème siècle ?

Mick exprima tout haut ce que chacun pensait tout bas.

« Il n’y a sûrement plus de naufrages sur cette côte maintenant. N’y a-t-il pas un phare au bout des falaises pour avertir les navires du danger ? »

Le grand-père inclina sa tête grise.

« Oui, il y a un phare et il n’y a pas eu de naufrage depuis quelques années. Pourtant, la lumière est apparue, je l’ai vue de mes propres yeux, et j’ai de bons yeux encore.

— Je l’ai vue aussi », dit Yan soudain.

Le grand-père jeta un regard ennuyé à Yan.

« Ne fourre pas ton nez partout ; tu n’as jamais vu la lumière, tu dors comme un bébé toute la nuit.

— Je l’ai vue », dit Yan obstiné.

Il s’échappa aussitôt, car il redoutait une gifle de son grand-père.

Mick changea de sujet :

« Grand-père, connaissez-vous le chemin des pirates ? Y a-t-il un passage souterrain qu’ils utilisaient autrefois ? »

Le grand-père n’avait pas l’air content.

« C’est un secret. Mon père me l’avait révélé ; j’ai juré de ne pas montrer le souterrain.

— Mais Yan a dit qu’il connaissait le chemin. » Yan disparu derrière un buisson. Le vieux grand-père se retourna et le chercha partout sans le trouver.

« Ce gamin ne sait rien du tout ! Je suis le seul à avoir la clef du mystère. Yan a de l’imagination, il a dû entendre raconter la légende et il l’a prise pour une réalité.

— Ah ! » fit Mick désappointé.

Il espérait que, grâce au grand-père, ils auraient un nouveau terrain d’exploration. Après tout, peut-être le découvriraient-ils eux-mêmes tout seuls ; ce serait encore plus amusant !

François, fasciné par le récit du vieux berger, posa de nouvelles questions au sujet du phare.

« Qui peut, à votre avis, allumer le phare de la tour ? Vous dites que l’endroit est en ruine ; êtes-vous sûr que vous n’avez pas vu un éclair ? Vous dites que c’était pendant une nuit d’orage…

— Ce n’était pas un éclair. J’ai vu la première lumière alors que j’étais enfant ; cette année, je l’ai vue de nouveau trois fois à la même place, c’était la même lumière et il faisait le même temps. Et si vous me disiez que la lanterne n’était pas allumée par des mains humaines, je vous croirais. »

Un profond silence suivit cette phrase. Annie regardait au loin la tour en ruine entre les deux collines. Les pirates avaient été très intelligents de choisir un endroit que l’on ne pouvait pas apercevoir de la côte, personne donc, excepté le grand-père, n’avait pu être témoin de leurs signaux.

Le vieux berger semblait maintenant perdu dans ses souvenirs, puis il se mit à raconter des légendes des temps anciens. L’une était l’histoire d’une femme que l’on croyait sorcière.

Les quatre cousins ne quittaient pas des yeux cet étrange personnage, émerveillés de penser qu’ils étaient emportés vers un monde de magie, où les fées, les pirates, les criminels d’un temps cruel réapparaissaient grâce à un vieillard qui était un peu poète.

Lorsque François ouvrit le panier du goûter, on vit accourir Yan. Assis au soleil, sur le seuil de la cabane, les enfants regardaient le paisible troupeau. Deux agneaux vinrent se blottir contre le berger, posant leur museau sur ses genoux.

« Ce sont des agneaux que j’ai nourris au biberon, ils s’en souviennent toujours. Allez-vous-en maintenant, ce gâteau n’est pas pour vous. »

Yan mangeait à belles dents. Il souriait souvent à Annie, il l’aimait bien. Quant à elle, elle le trouvait drôle et puis elle en avait pitié, son grand-père ne lui donnait sûrement pas assez à manger.

Les cloches sonnaient l’Angélus du soir, et le ciel, d’un bleu très pâle, se teintait de l’éclat rougeoyant du soleil couchant.

« Il nous faut partir maintenant, dit François, le chemin est assez long. Merci pour ce bel après-midi, grand-père. Vous devez être content d’être débarrassé de nous maintenant, vous allez fumer tranquillement votre pipe.

— Oui, oui, dit le grand-père, sincère. J’aime être seul à penser, à rêver ; mes souvenirs ont presque cent ans. Et quand j’ai envie de parler, je parle à mes brebis, elles écoutent fort bien. »

Les enfants réprimèrent leur rire, car le berger était très solennel. Ils reprirent leur panier, dirent au revoir et s’éloignèrent.

« Pensez-vous qu’il disait vrai à propos de la tour ? Et si c’est vrai, qu’est-ce que tout cela cache ?

— Il y a une seule façon de le savoir, répondit Claude tout excitée, attendons une nuit d’orage et venons voir !

— Et notre serment ? demanda François : « Si l’aventure apparaît, nous lui tournons le dos », nous nous étions juré cela, vous ne vous rappelez pas ?

— Oh ! fit Claude en haussant les épaules…

— Il nous faut respecter notre serment », dit Annie.

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Mais elle savait bien ce qu’en pensaient les autres.

« Regardez tous ces gens qui traversent les champs ! »

Plusieurs roulottes, tirées par des chevaux, des voitures, des charrettes, encombrées de bagages et de décors, apparurent ; c’étaient les roulottes les plus fascinantes que les enfants aient jamais vues. Elles étaient plus étranges encore que celles des gitans. Une dizaine d’hommes, vêtus de costumes de l’ancien temps, marchaient à côté des voitures et guidaient les chevaux. Il y avait des jeunes, il y avait des vieux, tous paraissaient gais ; ils semblaient sortis d’un livre de légendes. Le grand-père avait dû voir des hommes habillés comme ça.

« Qui est-ce ? » demanda Annie.

Sur la plus grande des voitures, en lettres de couleur, était écrit : LES BARNIES.

« Oh ! Ce sont les Barnies, les comédiens qui jouent dans les granges, quelle chance ! »

Les Barnies aperçurent les enfants. Un homme vêtu d’une redingote de velours et portant une longue épée leur distribua des papiers. Ils les lurent aussitôt :

 

Les Barnies arrivent.

Ils chanteront, danseront, joueront

des comédies de toutes sortes :

Edith Vallée la chanteuse rossignol,

Roland Carter le danseur de la Belle Epoque,

Jeanine Caste et son violon,

Raoul Roger le meilleur ténor du monde,

et tous les autres.

Nous vous présenterons aussi Clopinant,

le cheval le plus drôle du monde.

Les Barnies arrivent.

 

« Formidable ! » dit Claude. Elle s’approcha des roulottes. Allez-vous jouer à la ferme de Trémanoir ?

— Bien sûr ! répondit un homme aux yeux rieurs. Nous y donnons un spectacle tous les ans. Vous habitez là ?

— Oui, dit Claude. Nous vous attendrons, où allez-vous maintenant ?

— À la ferme de Jobic pour la nuit. Mais nous serons bientôt à Trémanoir. »

La caravane s’éloigna emportant ces hommes et ces femmes vêtus de velours et de taffetas,

« C’est extraordinaire ! dit Mick. Leur spectacle n’est peut-être pas de premier ordre, mais c’est sûrement drôle, ils ont l’air d’une joyeuse bande.

— Tous, excepté l’homme qui conduisait la première voiture, vous avez remarqué ? Il avait l’air méchant ! » observa Annie.

Personne n’y avait fait attention.

« C’est probablement le propriétaire, ou le directeur, dit Mick. Il doit avoir beaucoup de soucis avec sa troupe ambulante. Allons ! Où est Dago ? »

 

 

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Claude siffla. Yan les suivait comme toujours et Dago jouait encore avec lui.

La ferme était paisible, presque endormie. Un cheval en liberté trottait dans un champ ; tout inspirait la joie. Dans la cour de la ferme, des pas résonnaient ; c’était M. Penlan. Il grogna quelque chose à l’égard des enfants et entra dans la grange. Annie murmura :

« Je l’imagine très bien vivant autrefois parmi les bandits de la mer !

— Oui, je vois ce que tu veux dire, répondit Mick. Il a un air tellement farouche et volontaire, je suis sûr qu’il aurait fait un excellent pirate !

— Penses-tu qu’il y a toujours des naufrageurs et que cette lumière brille réellement dans les nuits de tempête ?

— Je n’en sais rien, dit Mick, mais pourquoi s’allumerait-elle ?

— Ce berger est très vieux ! Il ne sait plus très bien ce qu’il dit…

— Mais Yan prétend avoir vu la lumière.

— Yan raconte n’importe quoi.

— Pourquoi le berger a-t-il laissé entendre que cette lumière n’était pas allumée par des mains humaines ? Il ne pense tout de même pas que le fantôme de son père revient faire ce travail ? »

Il y eut un silence.

« Nous n’avons qu’à grimper dans la tour et nous verrons bien. »

La phrase de Mick fut suivie d’un autre silence. Annie se hasarda :

« Nous avions dit que nous ne nous occuperions plus de percer des mystères.

— Oh ! Ce n’est pas tellement mystérieux ! Il s’agit seulement des souvenirs d’un vieillard qui a dû voir un éclair par une nuit d’orage. Nous pouvons très bien aller pique-niquer sur la plage et explorer les ruines. Ce n’est guère dangereux !

 

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«Allez-vous jouer à la ferme de Trémanoir ?

— J’aimerais bien, répondit Claude. Nous emmènerons Dago, il nous protégera.

— Parfait, dit Annie. J’accepte. Allons-y quand vous voudrez.

— Tu es une brave fille, dit Mick en lui donnant une bonne bourrade. Mais tu n’es pas obligée de venir, si tu as peur. Nous te raconterons à notre retour ce que nous aurons vu.

— Sûrement pas, riposta Annie rougissante. Je veux savoir quel est le mystère de la tour !

— Très bien, nous irons dès que nous le pourrons, demain peut-être », conclut François.

Mais Mme Penlan les appelait.

« Les enfants, venez vite dîner, vous devez avoir faim ! »

Le soleil était couché, François regarda le ciel avec étonnement.

« Regardez ces nuages noirs, dit-il. L’orage est proche ! Il a fait tellement chaud aujourd’hui !

— Un orage ! s’écria Claude. La lumière s’allume dans les nuits de tempête. Oh ! François ! Ne pourrions-nous pas aller voir ? »