CHAPITRE XVIII
 
Mick a une idée

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LES CINQ enfants quittèrent la cuisine pour suivre M. Penlan. Yan était sorti de sa cachette, il n’avait pas envie de rater cette aventure. Mais le fermier décréta :

« Pas les filles, ni toi, Yan.

— Je garderai les petites ici avec moi, dit Mme Penlan qui avait oublié sa colère. Yan, viens vite. »

Yan vous glissait toujours entre les doigts comme un lézard. Rien n’aurait pu l’empêcher de suivre les garçons et le fermier ! Pour rien au monde il ne manquerait un tel spectacle. Dagobert, naturellement, était aussi excité que les autres.

« Quelle nuit ! dit Mme Penlan. Dire que M. Penlan, mon mari, ne m’avait jamais dit qu’il recherchait des contrebandiers ; nous savions bien qu’il se promenait sur la côte, mais dire qu’il montait la garde sans que je le sache ! »

François et Mick avaient oublié leur fatigue ; ils couraient à travers la cour de la ferme derrière M. Penlan, suivis de Yan et de Dago. Ils entrèrent dans le hangar aux machines.

« Nous avons bloqué l’ouverture… », commença François. Mais il s’arrêta soudain ; la lampe de M. Penlan éclairait l’angle où se trouvait la trappe. Elle était ouverte. C’était incroyable ! Mais oui, elle était ouverte ! Les sacs, les caisses et la machine agricole avaient été repoussés !

« Qui a pu faire cela ? s’écria François. Les contrebandiers sont partis avec leur marchandise, nous sommes vaincus ! »

M. Penlan grogna, dans sa colère, et referma la trappe violemment. Il allait parler lorsqu’on entendit des voix non loin de là. C’étaient les Barnies qui revenaient après avoir cherché en vain les enfants.

Ils virent la lumière dans le hangar et entrèrent. Lorsqu’ils aperçurent François et Mick ils s’exclamèrent :

« Vous êtes là ! Nous vous avons cherchés partout. »

François et Mick étaient si étonnés de voir se briser leurs espoirs qu’ils n’avaient même pas le courage de répondre aux comédiens. M. Penlan paraissait de mauvaise humeur, il répondit assez sèchement aux Barnies, en disant que tout allait bien maintenant et qu’il allait se coucher. Les acteurs se dispersèrent tout en bavardant entre eux. Le fermier revint vers la maison suivi des deux garçons. Yan avait disparu. Comme il n’était pas à la ferme lorsqu’ils y entrèrent, François supposa qu’il était remonté dans les collines retrouver son grand-père.

« Trois heures du matin ! dit M. Penlan en regardant la pendule. Je vais dormir une heure ou deux, femme, puis je me lèverai pour traire les vaches. Envoie ces enfants au lit, je suis trop fatigué pour parler ! Bonsoir ! »

Et mettant sa main devant sa bouche, il en retira solennellement son dentier, qu’il posa dans un verre d’eau sur la cheminée.

« Ooah… », dit-il à sa femme, en enlevant son manteau mouillé.

Mme Penlan envoya les enfants dormir. Ils tombaient de fatigue maintenant. Les filles se déshabillèrent, mais les garçons s’effondrèrent sur leur lit, sans prendre le temps de se dévêtir.

Le lendemain matin, ils n’entendirent pas les coqs chanter, ni les vaches meugler ; ils ne surent pas que les voitures des Barnies traversaient la cour de la ferme ; les comédiens faisaient leurs paquets, car la nuit prochaine ils joueraient dans un autre village.

François s’éveilla enfin. Il se demanda tout d’abord pourquoi il était encore tout habillé ! Peu à peu, les images de la veille revinrent dans son esprit. Dire qu’ils avaient raté une prise fantastique !

Si seulement il savait qui avait ouvert la trappe !

Un petit déclic se fit dans sa tête et il sut. Naturellement ! Pourquoi n’y avait-il pas pensé avant ? Pourquoi n’avait-il pas raconté à M. Penlan que le gouverneur se trouvait dans l’ombre de la cour et murmurait : « Là, je suis là. »

Il avait dû attendre les contrebandiers, il faisait probablement appel aux pêcheurs de l’endroit pour ramer entre les récifs jusqu’au bateau. Ceux-ci empruntaient le passage des pirates…

Les Barnies venaient souvent jouer à la ferme de Trémanoir. Rien ne pouvait donc être plus facile pour le gouverneur que de faire coïncider son affaire de contrebande avec les soirées données dans la grange, puisque le passage souterrain aboutissait dans le hangar aux machines. Par une nuit d’orage, tout était plus simple encore : personne ne sortait, le gouverneur pouvait grimper sur les collines et attendre le signal.

Il pouvait aussi s’arranger pour que l’homme qui donnait le signal annonçât aussi la nouvelle de l’arrivée du gouverneur à Trémanoir. Mais qui était « l’homme aux signaux » ? Probablement l’un des pêcheurs descendant des vieux pirates, heureux de vivre une aventure et de gagner de l’argent.

Chaque chose entrait à sa place comme dans un jeu. François voyait clairement le puzzle se reconstituer.

Mais qui aurait pu penser que le directeur des Barnies était mêlé à des histoires de contrebande ?

François entendit du bruit dehors. Il courut à la fenêtre. Lorsqu’il vit les Barnies empiler leurs malles et leurs décors sur les carrioles, il se hâta de descendre. Il avait réveillé Mick, il lui fallait dire à M. Penlan ce qu’il savait au sujet du gouverneur ; il fallait arrêter celui-ci qui cachait sans doute les produits de sa contrebande dans l’une des voitures !

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Mick courut derrière François, ils arrivèrent auprès de M. Penlan qui surveillait le départ des Barnies ; il avait l’air sombre.

« Monsieur, j’ai oublié de vous dire quelque chose d’important. Puis-je vous parler ? »

Ils marchèrent vers le champ le plus proche et François révéla ce qu’il savait,

« Le gouverneur attendait dans l’obscurité, la nuit dernière ; je suis sûr qu’il avait rendez-vous avec les contrebandiers ; il nous a entendus approcher et il a cru que c’étaient eux ! C’est sûrement lui qui a ouvert la trappe, lorsqu’il l’a vue fermée avec toutes ces caisses entassées. Maintenant, il doit cacher sa marchandise de contrebande quelque part dans ses roulottes.

— Pourquoi ne me l’as-tu pas dit hier soir ? demanda M. Penlan. Il est peut-être déjà trop tard. Il faut que j’obtienne un ordre de perquisition de la police ! Si j’empêche les Barnies de s’en aller maintenant, le gouverneur va se douter de quelque chose. »

François était soulagé de constater que M. Penlan avait remis son dentier et qu’il pouvait parler normalement.

« J’ai cherché maintes fois dans les affaires des Barnies et j’ai toujours été déçu de ne rien trouver.

— Savez-vous ce qu’ils passent en contrebande ?

— Oui, des drogues dangereuses, des poisons qui sont vendus à des prix très élevés. Les paquets sont tout petits, mais j’ai eu beau fouiller les poches des vêtements, je n’ai rien découvert !

— Un tout petit paquet est facile à cacher… dit Mick pensif, mais s’il s’agit d’une chose si dangereuse, le gouverneur ne l’aura pas sur lui, n’est-ce pas ?

— Oh ! Non, il aurait trop peur, répondit M. Penlan. Je suis obligé de les laisser partir cette fois, mais j’avertirai la police ; s’ils peuvent fouiller les voitures sur la route, ce sera parfait. Je ne peux faire venir les gendarmes ici, c’est trop tard. Allons téléphoner de la ferme. »

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M. Binet arriva à ce moment-là, portant les pattes de Clopinant. Il dit aux garçons :

« Vous nous avez bien inquiétés hier soir. Que vous était-il arrivé ?

— Eh bien, ajouta Sid qui transportait toujours sous son bras la tête de Clopinant, mon pauvre cheval s’est fait bien du souci pour vous.

— Vous n’avez pas couru les collines toute la nuit en transportant Clopinant ? demanda Mick étonné.

— Non. Je l’avais laissé avec le gouverneur, il a veillé sur le brave cheval, tandis que je vous cherchais partout. »

Mick contemplait la tête de Clopinant et ses grands yeux comiques. Il l’observait comme jamais il ne l’avait encore observée et alors il se passa une chose extraordinaire… Mick s’empara brutalement de cette tête et il s’enfuit à toutes jambes vers la ferme.

François n’y comprenait rien. Sid cria : « Où vas-tu ? Reviens immédiatement ! » Mais Mick n’obéit pas, il tourna le coin de la ferme et disparut. Sid courut après lui, ainsi que tous les autres. Le gouverneur apparut dans la cour. Il semblait furieux, il cria, hurla, brandît les poings. Mick avait disparu.

« Pourquoi voulait-il voler la tête de Clopinant ? demanda M. Penlan étonné, il est fou. »

François soudain comprit, il savait pourquoi Mick avait emporté la tête de cheval.

« Monsieur Penlan, pourquoi le gouverneur exige-t-il que la tête de cheval soit toujours sous la garde de quelqu’un ? Peut-être y cache-t-il quelque chose de précieux que personne ne doit trouver. Vite, allons voir ! »