CHAPITRE VII
 
La nuit

img22.png

img23.png

AVANT que les enfants aient fini leur dîner, la cuisine fut envahie-par l’obscurité, alors que d’habitude le jour entrait fort tard par les grandes fenêtres ouvertes sur la cour. L’orage était de plus en plus menaçant et bientôt un roulement de tonnerre se fit entendre.

Le petit fox vint se cacher sous les jupes de Mme Penlan ; il avait horreur des orages. Elle le réconforta, tandis que son mari grognait.

« Mon mari dit que ce chien est craintif comme une souris. 

Mme Penlan excellait vraiment dans l’art de traduire les grognements de son époux.

« Il n’aime pas l’orage ; il faudra le faire dormir dans notre chambre cette nuit. »

De nouveau le tonnerre grondait, tandis que des éclairs d’un bleu métallique déchiraient le ciel.

« Ecoute, si tu dois te lever cette nuit pour voir le poulain, il faudra faire attention que les chiens n’aboient pas trop. »

Elle se retourna vers les enfants :

« Ne vous inquiétez pas, si vous entendez les chiens japper. »

Les éclairs se rapprochaient, la mer devait être en tempête, la pluie tombait dru. Sur le toit les gouttes rebondissaient, en faisant un crépitement sec.

Les quatre enfants allèrent jouer aux cartes sur le coin d’une table éclairée par une lampe à pétrole, car il n’y avait pas d’électricité à Trémanoir. Dagobert s’assit tout contre Claude et posa sa tête sur ses genoux, il n’avait pas peur, mais il n’appréciait pas particulièrement la tourmente.

« Nous allons nous coucher », dit François enfin.

Il savait que les Penlan aimaient dormir de bonne heure, ils se levaient si tôt ! Les cousins dirent bonsoir et ils se retirèrent dans leurs chambres. Les fenêtres étaient encore ouvertes. Le vent faisait danser les petits rideaux. Au loin, les collines illuminées par les éclairs apparaissaient et disparaissaient tour à tour, comme par magie. Les enfants regardaient de tous leurs yeux. Ils aimaient tous l’orage ; surtout Mick. Une impression de puissance et de majesté se dégageait de cette tempête. La mer devait être belle, montant à l’assaut des falaises obscures.

« François, si nous allions à l’endroit que le berger nous a montré ? demanda Claude. Vous avez tous ri tout à l’heure quand je vous l’ai demandé.

— Et j’en ris encore ! Nous n’irons sûrement pas, nous serions trempés ! Cela n’a aucun intérêt d’être dehors par ce temps.

— Bon, répondit Claude, d’ailleurs je n’aime pas particulièrement la pluie et l’obscurité.

— Parfait, dit François. Viens, Mick, allons nous coucher. »

L’orage tournait au-dessus de la région, il dura encore quelque temps. Pourtant, les filles s’endormirent vite, car elles étaient lasses. Seuls, les garçons se sentaient nerveux, presque fiévreux.

« Mick, dit François, sortons et allons voir. Je voudrais savoir si le grand-père a dit vrai, si la lumière de la tour est allumée.

— D’accord, répondit Mick en s’habillant. Je ne pouvais pas dormir. »

La nuit était très chaude. Ils prirent une lampe électrique et sortirent. Ils marchèrent sur la pointe des pieds dans le couloir, passèrent sans bruit devant la chambre des Penlan, une marche de l’escalier craqua. Ils s’arrêtèrent inquiets à l’idée qu’un chien pourrait aboyer, mais aucun ne s’éveilla. Ils s’éclairaient de leur lampe pour descendre.

« Sortirons-nous par la grande porte, ou par-derrière ?

— Par-derrière. Celle de devant est trop difficile à ouvrir. »

Ils durent passer par la cuisine qui était fermée, mais ils parvinrent à ouvrir sans faire trop de bruit. C’était toute une expédition. Enfin, ils se trouvèrent dehors, la pluie avait cessé, mais le ciel était encore noir et couvert ; au loin l’orage grondait. Un vent frais s’était soudain levé, frappant les enfants au visage.

« C’est bon, ce petit vent ! murmura Mick. Maintenant il faut traverser la cour et, si nous voulons prendre le raccourci, il faut traverser le premier pré sur la droite, n’est-ce pas ?

— Oui, je pense », dit François.

La cour était sombre et étrangement silencieuse, alors que tout le jour on y entendait des jacassements de volaille, des aboiements de chiens, des hennissements de chevaux.

Ils passèrent devant l’écurie et entendirent Colibri, le poulain.

« Allons voir s’il va bien, il avait l’air si malheureux cet après-midi quand je l’ai vu. »

Ils tournèrent leur lanterne afin d’éclairer l’étable et découvrirent le poulain debout sur ses longues pattes, mâchant consciencieusement un peu de foin. Tout allait bien.

La pluie recommençait à tomber, et il était difficile de grimper dans le chemin boueux entre les hautes herbes. Il faisait très sombre.

« Oh ! François ! Tu as entendu ?

— Non, quoi ? »

François tendit l’oreille.

« J’ai entendu tousser.

— C’est l’un des moutons. J’ai déjà entendu l’une de ces bêtes tousser exactement comme notre oncle en se raclant la gorge.

— Non, ce n’était pas un mouton. Je crois qu’il y a quelqu’un dans les champs, au carrefour des sentiers.

— Tu as trop d’imagination. Il faut être aussi fou que nous pour se promener dans les champs à cette heure. Il n’y a sûrement personne. »

De nouveau, le tonnerre retentit un peu plus près, puis un éclair zébra la nuit. Mick s’accrocha au bras de François.

« Il y a quelqu’un devant nous, murmura Mick. Je l’ai vu dans la lumière de l’éclair ! Que fait-il là, immobile arrêté à la croisée des chemins ? On dirait qu’il scrute la nuit ! Attend-il quelqu’un ? Il hésite… Quel chemin va-t-il prendre ? »

Un autre éclair déchira l’obscurité.

« Je l’ai aperçu à mon tour ! dit François. Il a choisi le chemin que nous allions suivre… Il va peut-être vers les collines pour découvrir les pirates comme nous… Mais je suis sûr qu’il s’est retourné, qu’il nous a vus !

— Peut-être pas… Viens, suivons-le !

Les garçons montèrent toujours prudemment entre les haies. L’homme avait disparu. Il s’était peut-être caché ? Peut-être les épiait-il dans l’ombre ? Soudain une main se referma durement sur l’épaule de Mick. Il se débattit mais la main était si forte que Mick ne put s’empêcher de crier. François sentit la même poigne de fer s’abattre sur lui, mais il eut le temps de se glisser de l’autre coté de la haie.

« Laissez-moi partir ! » criait Mick se débattant comme un beau diable.

Sa chemise était presque arrachée, il s’agrippait au poignet de l’homme et finalement il réussit à se sauver en lui abandonnant un grand lambeau de tissu.

Il courut se cacher lui aussi sous un buisson dans l’obscurité. Il entendit l’homme s’approcher en grognant et il s’enfonça encore plus profondément sous les branches d’un petit arbre. Une lumière balaya le sol tout près de lui, mais le manqua.

Mick entendit les pas s’éloigner et sortit enfin de sa cachette.

« François », murmura-t-il.

La voix de François lui répondit toute proche.

« Je suis là. Tout va bien ?

— Oui, Mais j’ai perdu ma lampe. Où es-tu, François, dans l’arbre ? »

img24.png

Des doigts lui caressèrent les cheveux.

« Sur la première branche. Je me suis d’abord caché dans la haie, et puis j’ai grimpé. Je n’ai pas osé braquer ma lumière sur ce bandit.

— Il est parti, mais il m’a fait horriblement mal à l’épaule ! Il a même déchiré ma chemise. Qui était-ce, l’as-tu vu ?

— Non, répondit François en sautant à terre. Mais essayons de retrouver ta lampe. Ce serait dommage de l’avoir perdue, nous en aurons encore besoin. »

Comme François ne se hasardait toujours pas à se servir de sa propre lampe, ils cherchèrent à tâtons. Enfin, ils mirent la main dessus.

« Ecoute, je suis sûr que ce bonhomme revient, j’ai entendu sa petite toux sèche. Qu’allons-nous faire ?

— Je propose de nous cacher et de le suivre pour voir où il va. Quelqu’un qui erre dehors toute la nuit ne peut être un homme bien recommandable ! Il faut découvrir ses méfaits.

— D’accord. Enfonçons-nous dans les buissons. »

Les pas se rapprochèrent, de nouveau l’homme toussa.

« Je connais cette toux, murmura Mick. Qui tousse comme cela.

— Chut !

Ils entendirent l’homme s’éloigner sur la colline. Après avoir attendu un petit peu, ils le suivirent avec prudence, le plus silencieusement possible. Bientôt, le ciel s’éclaira un peu et ils aperçurent une ombre devant eux.

Retenant leur souffle, ils la suivirent à distance ; leur cœur battait très fort.

« C’est peut-être un employé de la ferme ? murmura François. Il s’est arrêté et a l’air de redescendre vers les granges. Penses-tu que ce soit l’un des laboureurs ? Ils habitent dans les maisons des alentours. »

En effet, l’inconnu redescendait maintenant vers la cour de la ferme en empruntant un autre sentier. Les garçons suivaient toujours. Il traversa le jardin potager qui appartenait à Mme Penlan, puis se dirigea vers la porte de la façade. Allait-il dévaliser la ferme ? Etait-ce un voleur ? Les enfants sentaient l’angoisse les envahir. Mais le bruit d’une clef, puis d’une porte refermée les força à s’arrêter.

« Il est entré ! dit François tout étonné.

— Tu devines maintenant ? Nous aurions dû nous en douter quand nous avons entendu sa toux. C’était M. Penlan. Cela ne m’étonne pas qu’il ait disloqué mon épaule dans sa main de géant !

— M. Penlan ! Mais tu as raison ! répondit François, si étonné qu’il en oubliait de parler à voix basse. Nous ne nous étions pas aperçus que la porte était ouverte, puisque nous sommes sortis par-derrière. C’est idiot, nous avons suivi le fermier ! Mais qu’allait-il faire sur les collines, par ce temps-là ?

— Peut-être qu’il aime se promener la nuit. Rentrons maintenant.

Ils se glissèrent jusqu’à la porte de derrière qui était heureusement toujours ouverte. Ils entrèrent, refermèrent derrière eux, enlevèrent leurs chaussures et montèrent l’escalier sur la pointe des pieds. Ils poussèrent des soupirs de soulagement lorsqu’ils se sentirent en sécurité dans leur chambre.

« J’ai horriblement mal à l’épaule. Allume et dis-moi si elle n’est pas enflée. »

François alluma sa lampe électrique et poussa un sifflement.

« Eh bien, tu as un bleu qui couvre toute l’épaule ! Il a dû te serrer rudement fort !

— Oui, très fort ! soupira le pauvre Mick. Le bilan de notre nuit n’est pas brillant ! Nous avons suivi notre hôte ! Il ne s’est rien passé ! Tout cela est absurde !

— Cela n’a pas d’importance. J’espère seulement qu’aucune lumière, pendant ce temps, ne s’est allumée dans la tour ! » conclut François en se glissant dans son lit.