CHAPITRE III
 
Le premier soir

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APRÈS ce bon goûter les quatre enfants n’avaient plus aucun courage. Mick aurait bien voulu réparer sa bicyclette convenablement, mais il se sentait paresseux.

Mme Penlan commença à laver la vaisselle. Claude et Annie offrirent de l’aider. Ce goûter copieux avait aussi servi de dîner.

« Vous devez être fatigués, ce soir, mes enfants. C’est gentil de me proposer de m’aider, mais il faudra aller vous coucher tôt. Mais dites-moi vos noms.

— Je suis Annie.

— Moi je suis Claude. En réalité, mon nom est Claudine, mais j’aurais tellement voulu être un garçon…

— Ne l’appelez jamais Claudine, conseilla Annie, elle ne vous répondrait pas. Mais puisque vous ne voulez pas qu’on vous aide, nous allons retrouver les garçons dehors. »

Elles partirent. Claude ressemblait à un garçon, en effet. Elle portait un short gris, une chemisette, ses cheveux étaient coupés court, elle avait un visage décidé. Elle mit les mains dans ses poches et marcha à grands pas comme Mick.

Mick avait trouvé le trou de sa chambre à air et était en train de la réparer. M. Penlan alla donner à manger à la vache et au veau nouveau-né.

Les garçons l’observèrent. Il portait une balle de foin énorme ; quelle force il devait avoir ! Il passa devant eux sans leur dire un mot.

« Pourquoi ne parle-t-il pas ? s’étonna Mick. Je suppose que ses sept enfants étaient aussi bavards que leur mère et qu’il n’avait jamais la chance de placer un mot. Maintenant, c’est trop tard et il a oublié.

— Qu’il est grand dit François. J’espère que je deviendrai comme lui.

— Pas moi ! Pour que mes pieds dépassent du lit et soient gelés toutes les nuits, merci ! répondit Mick. Voilà, j’ai fini, vous voyez le clou ?

— Regarde Dago, il est heureux avec les chiens de la ferme. »

En effet, Dagobert jappait et bondissait autour des chiens ; il les provoqua jusqu’à ce qu’ils jouent avec lui.

« Si Dago mange autant que nous, il va bientôt perdre sa ligne.

— Il nous suivra dans nos randonnées à bicyclette, il ne risquera pas de grossir beaucoup. »

Les filles arrivaient. Derrière elles, marchait un étrange petit garçon, pieds nus, mal coiffé et sale.

« Qui est-ce ? dit Mick.

— Je n’en sais rien, répondit Claude. Il a surgi de derrière une haie et il nous a suivies ; il ne veut pas s’en aller. »

Le gamin portait des pantalons déchirés, une chemise sans boutons ; dans son visage brûlé par le soleil, ses yeux étaient veloutés et sombres. Il se tenait non loin d’eux et les contemplait.

« Qui es-tu ? » demanda Mick.

Le petit garçon, effrayé, recula de quelques pas et secoua la tête.

« Je te demande qui tu es ou, si tu aimes mieux : comment t’appelles-tu ?

— Yan, dit le gamin.

— Yan ? C’est un surnom.

— Il veut sans doute dire « Jean. » Le petit garçon inclina la tête.

« Oui, Jean, dit-il.

— Bon, Jean, dit Annie, tu peux t’en aller maintenant…

— Je reste. »

Et il resta, les suivant partout, les regardant avec une immense curiosité, comme s’il n’avait jamais vu d’enfants auparavant.

« C’est un petit moustique, grogna Mick, toujours à tourner autour de nous, il me fatigue. Eh ! Jean !

— Quoi ?

— Va-t’en ! Tu comprends ? File ! Allez, ouste ! Au large ! »

Jean le considérait toujours avec de grands yeux.

Mme Penlan apparut sur le seuil de sa porte et entendit tout cela.

« Jean vous ennuie ? dit-elle. Il est curieux comme un chat. Retourne chez toi, Jean. Donne ça à ton grand-père et voilà pour toi. »

Jean s’empara du paquet de provisions que lui donnait Mme Penlan ; il prit la tranche de gâteau et s’en alla sans un mot. Il courait, ses pieds nus ne faisant aucun bruit.

« Qui est-ce ? demanda Claude.

— Un pauvre gosse, dit la femme du fermier. Il n’a personne, sauf son grand-père. Ils ont plus de quatre-vingts ans de différence. Le vieil homme est berger, vous le verrez sur la colline. Il a une cabane de l’autre coté du vallon, où il vit, été comme hiver, avec cet enfant.

— Comment fait-il pour aller à l’école ? demanda François.

— Il n’y va pas. Il joue tout le temps. Mais il faut que vous connaissiez le grand-père qui est le descendant d’une famille de pirates ; il vous racontera d’étranges histoires…

— Nous irons le voir.

— Vous savez que cette côte était le refuge des pirates ?

— Non, je l’avais oublié, dit Mick, Que faisaient-ils ? Allumaient-ils des lumières pour faire croire aux bateaux que le port était proche ?

— C’est cela ! Les navires s’écrasaient alors contre les rochers. Les pirates les pillaient ensuite, sans pitié.

— La mer est-elle loin d’ici ? demanda Claude, Je la vois de la fenêtre de ma chambre.

— Vous y serez en dix minutes. Allez-y demain, si vous voulez, répondit la fermière. Vous avez l’air fatigués maintenant. Pourquoi ne faites-vous pas une petite promenade et ne revenez-vous pas vous coucher ? Je vous ferai une omelette lorsque vous reviendrez.

— Oh ! Nous serions absolument incapables d’avaler quoi que ce soit, répliqua Mick affolé. Mais nous allons faire une promenade, c’est une bonne idée ! Courons explorer la ferme. »

Mme Penlan les quitta, et Mick regarda les autres.

« Une omelette ! dit-il, vous vous rendez compte ! M. Penlan en mangera sûrement une, mais pas nous ! »

Ils sortirent en riant. Dagobert les suivit. La soirée était douce, une brise fraîche descendait des collines. Les enfants se promenèrent en silence, heureux de découvrir la ferme et ses habitants : les canards, les poules et, plus loin, les troupeaux de moutons couchés dans l’herbe de la colline. Les vaches ruminaient, et un vieux cheval s’approcha d’une haie pour contempler les nouveaux venus. Les enfants caressèrent ses naseaux veloutés tandis qu’il s’inclinait pour renifler Dagobert qu’il ne connaissait pas. Le chien lui rendit son bonsoir.

Les Cinq pénétrèrent dans les granges qui étaient sombres, sentaient bon le foin et le bois.

Mick était sûr que la plus grande de toutes servirait de théâtre aux Barnies.

« Ce sont sans doute des acteurs épouvantables, mais nous nous amuserons de toute façon. Nous pourrions, nous aussi, faire comme eux, ce doit être merveilleux d’errer à travers le pays et de distraire les paysans avec des chansons et des danses !

— Si nous essayions d’en faire autant ? Nous pourrions donner une soirée, ou, mieux, un numéro au milieu du spectacle des Barnies s’ils nous le permettent.

— Ils ne nous le permettront pas, car nous sommes des étrangers, grogna Mick. Mais qu’y a-t-il derrière ce sac ? »

Dago était allé voir et aboyait de toutes ses forces. Les enfants se penchèrent.

« C’est encore Yan ! » s’écria François furieux, et il tira le gamin hors de sa cachette.

« Pourquoi nous suis-tu, petit nigaud ? demanda-t-il. Nous n’aimons pas ça, tu as compris ? Va trouver ton grand-père avant d’avoir mangé tout ce que Mme Penlan t’a donné, dépêche-toi. »

Il regarda l’enfant s’éloigner dans les champs.

« C’est rudement difficile de se débarrasser de lui, dit-il. Je pense qu’il est un peu simplet. Nous irons voir si son grand-père a vraiment des histoires excellentes à nous raconter ! »

Mick bâillait.

« Rentrons maintenant, dit-il, j’ai sommeil. Tu viens, François ? »

Ils étaient tous comme Mick : ils avaient hâte d’être dans leur lit. Ils rentrèrent à la ferme suivis de Dago ; plus loin derrière eux, le cortège des chiens les accompagnait.

Les fermiers étaient, assis au coin de l’âtre, écoutant la radio. Mme Penlan aurait voulu les conduire jusqu’à leurs chambres, mais ils la prièrent de ne pas se déranger.

« Bonsoir, monsieur Penlan. »

Le géant ne les regarda point, il grogna : « Ha ! »

François était couché et presque endormi, lorsqu’il entendit un étrange bruit par la fenêtre. Il ouvrit les yeux et écouta.

« Pourvu que ce ne soient pas des rats, pensa-t-il, sinon Annie va être effrayée, et Dago fera un scandale. »

François parla doucement à Mick.

« Mick, tu es réveillé, tu n’entends pas un bruit venant de la fenêtre ? »

Pas de réponse. Mick était profondément endormi. Il rêvait qu’il avait dans le pied un trou aussi gros que dans la chambre à air de son vélo et qu’il ne pourrait plus marcher jusqu’à ce qu’on l’ait réparé.

François demeura étendu dans l’obscurité, guettant la moindre rumeur. Il était sûr maintenant que quelqu’un essayait de regarder par la fenêtre.

Il se glissa hors de son lit, traversa la chambre sur la pointe des pieds. François voyait les feuilles du lierre remuer. Il passa brusquement la tête par la fenêtre et vit tout près du sien un visage effrayé.

« Yan ! Qu’est-ce que tu fais là à nous épier ? Qu’avons-nous de tellement extraordinaire ? » gronda-t-il furieux.

Yan était terrifié. Il se laissa glisser le long du lierre comme un chat, tomba avec un bruit mat sur le sol, et se sauva en courant.

« J’espère qu’il ne va pas continuer comme cela longtemps, pensa François en se recouchant, sinon je lui donnerai une bonne leçon ! »

Mais François ne fut pas long à se rendormir, Aucun des quatre enfants n’ouvrit les yeux, jusqu’à ce que retentisse le chant triomphant du coq.

« Cocorico ! »

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Yan s’en alla en courant.

Les garçons, qui se réveillèrent les premiers, bondirent hors de leur lit pour voir le soleil éclairer la campagne endormie. Mais François regarda sa montre : il était horriblement tôt ! Pourtant, il entendait des pas dans l’escalier. La fermière était déjà levée, son géant de mari aussi !

Les garçons se recouchèrent et se rendormirent jusqu’à ce qu’on frappât un grand coup à leur porte.

« Il est sept heures et demie, le petit déjeuner sera servi à huit heures. Vite ! Debout ! »

Comme c’était merveilleux de se trouver dans un endroit inconnu au premier matin des vacances ! Finis les examens, les devoirs et les punitions ! Les enfants ne songeaient plus qu’aux bains de mer, aux jeux dans la campagne et aux promenades. Ils furent vite prêts ; le déjeuner les attendait.

« Formidable ! » s’écria Mick en voyant les grands bols de café au lait bouillant, les tartines de beurre, de miel et de confiture.

« Madame Penlan, vos sept enfants ont dû être bien tristes de se marier et de quitter la maison ! À leur place, nous serions restés avec vous toute notre vie. »