CHAPITRE XIX
 
La vérité au sujet de Clopinant

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À CE MOMENT, Mick réapparut à un autre coin de la cour. Il portait toujours la tête de cheval mais était inquiet, car Sid et le gouverneur couraient très vite. Il n’avait pas eu le temps de cacher Clopinant quelque part. Il rejoignit M. Penlan… « Prenez-la, dit-il, je crois que la contrebande est à l’intérieur. »

Sid et le gouverneur, pris de fureur, se jetèrent sur le fermier, mais celui-ci était un géant. Il tenait la tête de cheval à bout de bras, hors d’atteinte de ses ennemis. Pendant ce temps, de sa main gauche il repoussait le gouverneur.

Les Barnies entouraient maintenant le petit groupe. L’un des deux ouvriers de la ferme accourut à la rescousse. Mme Penlan et les filles, entendant cette rumeur de bagarre, s’approchèrent à leur tour. Dagobert et ses quatre amis chiens aboyaient de toutes leurs forces. Le gouverneur se battait avec furie, et l’on vit M. Binet aider le fermier à le repousser, tandis que l’ouvrier de M. Penlan abattait sa poigne de fer sur l’épaule du gouverneur.

« Ne le laisse pas partir ! cria Penlan.

— Laissez mon cheval tranquille ! hurlait le gouverneur dont le visage avait pâli. Il est à moi, c’est ma propriété, c’est mon bien.

— Vous dites que ce cheval est votre entière propriété, à l’intérieur comme à l’extérieur ? »

Le gouverneur ne disait plus rien, il semblait désemparé. M. Penlan retourna la tête du haut en bas et regarda à l’intérieur du cou, il y plongea sa main, trouva une petite poche et l’ouvrit, une dizaine de cigarettes en tombèrent.

« Ce sont mes cigarettes, dit M. Binet. Cela n’a pas une grande importance que je les range là, n’est-ce pas ? Quelquefois, entre deux tours du cheval pendant le spectacle, j’ai envie de fumer.

— Il n’y a rien de mal à cela », répondit le fermier et il replongea sa main, cherchant dans l’étoffe du déguisement. Le gouverneur observait ; il respirait très vite.

« Je sens quelque chose, gouverneur, dit M. Penlan. Il y a là une petite cachette secrète. Comment est-ce que cela s’ouvre ? Voulez-vous m’aider ou devrai-je casser la tête de cheval.

— Ne la cassez pas ! crièrent Sid et Binet à la fois…

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? demanda Binet au gouverneur. Nous ne savions pas que Clopinant avait un secret.

— Il n’en a pas ! répondit le gouverneur.

— J’ai trouvé, j’ai pu ouvrir la cachette ! s’exclama M. Penlan, ça y est, je le tiens. »

À l’intérieur du cou du cheval, les grands doigts du fermier s’agitaient. Il en sortit un petit paquet enveloppé dans du papier blanc.

« Qu’est-ce que c’est, gouverneur ? N’est-ce pas l’un des nombreux paquets de drogue dont vous avez fait la contrebande sur cette côte ? C’est pour cela, n’est-ce pas, que vous avez ordonné à Sid de ne jamais abandonner Clopinant nulle part ? Si je défaisais le papier pour voir ce qu’il contient ? »

Il y eut un murmure de mécontentement général. Les Barnies étaient horrifiés. Sid se retourna furieux contre le gouverneur.

« Ce n’est pas Clopinant que vous nous faisiez garder, c’est cet horrible poison ! Quand je pense que pendant tout ce temps j’ai aidé un homme qui mérite la prison, j’en ai la nausée ! Je ne travaillerai plus jamais avec Clopinant, jamais ! »

Le pauvre Sid avait un visage malheureux ; c’est tout juste si les larmes ne coulaient pas sur ses joues ! Se frayant un chemin entre les Barnies, il s’éloigna. Un moment plus tard, Binet le suivit.

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M. Penlan enfouit le petit paquet blanc dans sa poche.

« Qu’on enferme le gouverneur dans la petite grange, dit-il, et toi, Daniel, ordonna-t-il à son ouvrier, prends ta bicyclette et va chercher la police. Quant à vous, Barnies, je ne sais pas très bien quoi vous dire, vous avez perdu votre directeur, mais cela vaut probablement mieux. »

Les Barnies considéraient leur chef que l’on entraînait vers sa première geôle.

« Nous ne l’avons jamais aimé, dit l’un des comédiens, mais il avait de l’argent quand nous étions en difficulté, l’argent de sa contrebande, sans doute. Nous acteurs, chanteurs et danseurs, nous n’étions qu’un prétexte pour lui ! Nous servions à cacher ses méfaits !

— Nous nous arrangerons entre nous, dit un autre comédien, courage, Sid, viens ! »

Sid et Binet revinrent et dirent d’un ton solennel :

« Nous ne nous servirons plus jamais de Clopinant, il nous porterait malheur. Nous prendrons un âne à la place et inventerons un autre scénario.

— C’est bien, dit le fermier, en emportant Clopinant, je me charge du vieux cheval, Ses yeux amusants me feront toujours sourire et à moi il ne portera jamais malheur. »

Les Barnies firent des adieux mélancoliques. Sid et Binet serrèrent la main des enfants.

« Merci pour tout, monsieur Penlan, à un de ces jours.

— Je vous reverrai à votre prochain passage, dit M. Penlan, vous pourrez vous servir de ma grange, Sid. »

Le gouverneur était enfermé. M. Penlan ramassa le corps du cheval que Sid n’avait pas voulu emporter non plus et il regarda les cinq enfants, car Yan venait de se joindre aux cousins.

Il leur sourit à tous.

« Eh bien, tout est fini maintenant, dit-il. Mick, j’ai pensé que tu étais devenu fou quand je t’ai vu partir en courant avec cette tête de cheval sous le bras.

— J’ai eu une sorte d’inspiration, dit le garçon, modestement, en une seconde j’ai vu clair ! Il était temps, n’est-ce pas ? Les Barnies allaient s’en aller. »

Ils retournèrent à la ferme. Mme Penlan y était rentrée depuis un moment, les filles se doutaient bien pourquoi.

« Je vous prépare un bon repas mes pauvres petits, vous n’avez rien mangé depuis ce matin ! Allez dans l’office et apportez ce que vous trouverez. »

Le jambon, le saucisson, le lard, les pâtés en un instant s’amassèrent sur la table. Annie alla cueillir des laitues dans le jardin et les lava ; François éplucha des tomates, Claude fit cuire des œufs durs, une tarte aux fruits apparut comme par enchantement, répandant une bonne odeur, et deux grands pots de crème fraîche firent la joie de tous. Yan faisait les cent pas dans la cuisine, ses yeux devenaient de plus en plus grands au fur et à mesure qu’il voyait tant de délices préparées.

Mme Penlan riait :

« Allons, petit voyou, ôte-toi de mon chemin. Veux-tu manger avec nous ?

— Oui, dit Yan, le regard brillant.

— Alors, monte et va te laver les mains. » Merveille des merveilles ! Yan grimpa l’escalier quatre à quatre et redescendit avec des mains presque propres. Tous s’assirent, François approcha une chaise à côté de lui et y arrangea Clopinant de telle manière qu’il avait l’air d’être assis à table, lui aussi.

Annie attrapa le fou rire.

« Oh ! Clopinant ! Tu as l’air vrai. Monsieur Penlan, qu’allez-vous en faire ?

— Je vais le donner, répondit le fermier en continuant à dévorer son repas. Oui, je vais le donner à des amis.

— Ils ont de la chance ! dit Mick. Savent-ils faire marcher les pattes de devant et les pattes de derrière ensemble ?

— Oh ! oui ! dit le fermier, ils se débrouilleront très bien. Il y a une seule chose qu’ils ne savent pas ! Aaaah ! »

Les enfants le regardèrent tout étonnés, pourquoi riait-il ainsi ?

« Fais attention maintenant, monsieur Penlan ! dit la fermière à son mari, le cheval te regarde. »

Le fermier rit encore à gorge déployée, puis dit aux enfants attentifs :

« Je vous disais que mes amis ignorent quelque chose !

— Quoi donc ?

— Ils ne savent plus sortir du cheval lorsqu’ils s’y sont enfermés. Aaaaah !

— Attention à toi, monsieur Penlan, dit sa femme très amusée, Clopinant te regarde toujours. Mais pourquoi ne dis-tu pas la vérité tout de suite ? Tu vas donner le cheval à Mick et à François, n’est-ce pas ?

— Mon Dieu ! C’est vrai ? s’écria Mick enthousiasmé. Oh ! Merci !

— C’est naturel, dit le fermier, vous m’avez rendu un grand service. Je suis content de vous faire ce cadeau. Exercez-vous avec Clopinant, vous nous donnerez un spectacle avant de nous quitter ! Aaaah ! Clopinant est intelligent, il a tout compris !

— Il a cligné des yeux ! » s’écria Claude ; Dagobert sortit de dessous la table pour admirer Clopinant. « Je l’ai vu cligner des yeux. »

Était-ce si étonnant ? Le pauvre cheval de théâtre avait vécu une bien extraordinaire aventure !

 

 

FIN