CHAPITRE I
 
Les vacances commencent

 

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ZUT ! Mon pneu est à plat, dit Mick. Pas de chance ! Cela tombe mal !

François jeta un regard sombre vers la bicyclette de Mick, puis consulta sa montre.

« Juste le temps de le regonfler, en espérant qu’il tiendra jusqu’à la gare. Nous n’avons plus que sept minutes avant le départ du train. »

Déjà Mick s’affairait. Les autres, descendus eux aussi de leur bicyclette, faisaient cercle autour de lui, souhaitant de tout leur cœur que le malheur put être vite réparé.

Quel drôle de départ en vacances ! Dans sept minutes, les enfants grimperaient dans le train, à la gare d’Alleville. Heureusement, leurs bagages étaient partis en avance. Il n’y avait plus qu’à expédier les vélos. Dire qu’ils avaient pensé arriver de bonne heure et s’installer confortablement dans leur compartiment !

« C’est impossible ! Nous ne pouvons pas manquer le train, dit Claude qui détestait que les choses aillent de travers.

— C’est très possible, au contraire, répondit François en se moquant de la grimace de Claude. Qu’en penses-tu, Dagobert ? »

Dagobert jappa en remuant la queue, comme s’il était tout à fait d’accord. Mais comme c’était un bon chien, il lécha aussitôt la main de Claude pour la consoler. D’ailleurs, tout allait bien, le pneu était déjà en état de marche.

« Ouf ! J’ai eu chaud ! dit Mick en remontant sur sa bicyclette. J’ai eu bien peur de vous voir partir sans moi

— Oh ! Nous n’aurions jamais fait ça, dit Annie. Nous aurions pris le prochain train. Viens vite, Dago ! »

Les quatre cousins et Dago se hâtèrent. Le train était déjà annoncé… Le porteur vint vers eux : il avait une bonne tête épanouie, des joues rouges, un large sourire.

« J’ai déjà enregistré vos bagages, dit-il. Vous n’avez pas grand-chose. Une petite malle pour vous tous !

— En vacances, nous n’avons besoin de rien ! répondit François…Voulez-vous prendre nos bicyclettes, s’il vous plaît ? »

Le porteur, toujours placide, emmena les bicyclettes.

« Vous allez à Toulirac, je vois, dit le porteur. Et à Trémanoir aussi ? Tâchez d’être prudents là-bas, la mer est mauvaise.

— Oh ! Vous connaissez Trémanoir ? demanda Annie. Est-ce que c’est joli ?

— Joli ? Hum… je n’en sais rien ! »

Le train approchait dans un grand bruit de roues et de machine. Le porteur continuait à bavarder :

« J’allais pêcher avec mon oncle, qui possédait Un bateau. Je me souviens seulement que c’était un endroit sauvage, désolé. Je n’aurais pas pensé qu’on puisse choisir un tel lieu pour des vacances ! Pas de jetée, pas de marchand de glaces, pas de pâtisseries, pas de cinéma, rien du tout.

— Parfait ! décréta François. C’est tout ce que nous voulons. Nous avons seulement envie de nous baigner, de louer un bateau, d’aller à la pêche, d’explorer le pays. Voilà les vacances que nous aimons !

— Ouah ! fit le chien, approuvant François.

— Montons en voiture, trouvons une bonne place, vite !… »

Claude était pressée.

« Bonnes vacances ! dit le porteur. Et si vous voyez mon oncle, dites-lui que vous me connaissez. Il s’appelle comme moi : Jean Le Fort.

— Merci ! Nous tâcherons de trouver votre oncle ! »

Et François s’engouffra à la suite des autres dans le couloir du wagon.

Ils eurent de la chance, car ils purent s’asseoir tous les quatre, chacun dans un coin. Quant à Dagobert, appuyé à la fenêtre, le nez dehors, il respirait l’air frais.

« Tu ne peux pas faire tout le voyage comme ça, Dago, tu vas attraper des poussières dans l’œil !

— Tu te souviens, la dernière fois, il se frottait les yeux avec sa patte. C’était affreux !

Dago ne fit pas attention à toutes ces paroles qui ne l’atteignaient point. Il avait décidé de voyager à la fenêtre. Il était content, les vacances étaient revenues, le temps heureux où il vivait au milieu de ses amis et de ses maîtres. Déjà il faisait des projets : « J’attraperai un lapin », se disait-il dans sa bonne grosse tête de chien. Il n’en avait jamais attrapé encore et continuait à vivre d’espoir.

« Nous partons, mes enfants ! J’aime tellement le début des vacances ! » s’écria François.

Pendant des mois, ils avaient fait des projets, en consultant des cartes ; ils avaient imaginé les joies de l’été. Maintenant ils éprouvaient un grand bonheur d’être dans le train.

« Et il fait vraiment un temps de vacances ! Claude, demanda Annie, comment ta maman a-t-elle eu l’idée de nous envoyer à la ferme de Trémanoir ?

— C’est papa qui en a entendu parler. Tu sais que tous ses amis savants aiment beaucoup les endroits tranquilles où ils peuvent travailler en paix, dans la solitude. L’un d’entre eux allait à la ferme de Trémanoir, parce qu’on lui avait dit que c’était le coin le plus sauvage et le plus silencieux de la région. Papa racontait que son ami était parti maigre comme un clou et qu’il était revenu gras comme une oie de Noël ! C’est pourquoi maman a décidé de nous envoyer là.

— Elle a raison, dit Mick. Après trois mois d’école, je n’ai plus que la peau sur les os. Pourvu qu’on grossisse ! »

Ils pouffèrent tous de rire, car Mick était joufflu et dodu à souhait.

« Toi, tu as besoin d’un peu d’exercice pour faire fondre ta graisse ! Nous allons bien nous amuser : on va marcher, nager, pêcher !

— Et bien manger ! dit Claude. Dago, il faudra être poli avec les chiens de la ferme ; sinon tu ne seras pas gâté.

— Et avant de te mettre à chasser les lapins, prière de demander la permission aux roquets du voisinage. »

Dago se retourna ; sa petite truffe brillait, sa langue rose pendait ! Il avait vraiment l’air de rire !

« C’est ça ! Ris de mes plaisanteries, Dago ! Je suis si contente que tu viennes avec nous.

— Il est toujours venu avec nous, à toutes nos vacances, dit Claude, il a été mêlé à toutes nos aventures.

— Je ne veux courir aucune aventure, cette année, répliqua Annie d’une voix très ferme. J’en ai assez des mystères et des périls… Je veux seulement m’amuser.

— Parfait ! déclara François. Pas d’aventure cette année, et si quelque chose va mal, nous ne nous en occuperons pas, d’accord ?

— D’accord, répondit Annie.

— Parfait, dit Claude, d’un air dubitatif.

— Bien ! » approuva Mick.

François parut surpris.

« Qu’est-ce qui vous arrive ? Je ne vous reconnais pas. Vous croyez que si nous nous trouvons face à face avec des personnages extraordinaires, en plein mystère, nous détournerons la tête et dirons : « Non, merci, pas d’aventure ! »

— On verra, dit Claude, Je ne suis pas sûre… » Mais la discussion s’arrêta là, car Dago avait une poussière dans l’œil et commençait à se frotter avec sa patte en poussant des plaintes lamentables.

« Je te l’avais bien dit ! gronda Claude. Laisse-moi t’aider ; tiens-le, veux-tu, François ? »

Tout se passa bien, on enleva la poussière de l’œil de Dago et il se précipita de nouveau à son poste, à la fenêtre.

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« Remontons la vitre ; il n’obéira jamais ! »

Et le problème fut résolu rapidement, car ce fut l’obscurité complète, le train siffla longuement et tout à coup s’engouffra dans un tunnel interminable. Dago, affolé, se réfugia sur les genoux de sa maîtresse.

« Allons, Dago, tu n’es pas un bébé. C’est un tunnel ! François, débarrasse-moi de lui, il est beaucoup trop lourd, il se prend toujours pour un tout petit chien, il me fatigue ! »

Le voyage sembla très long. Le compartiment était chaud. Lorsque le train s’arrêtait, c’était dans de petites gares sans intérêt et puis il fallait changer de train, attendre la correspondance. Dago mourait de soif, et la pauvre Claude devait mendier de l’eau aux porteurs.

Les Cinq avaient emporté leur déjeuner avec eux, mais ils n’avaient pas grand-faim. La bouteille d’orangeade, au contraire, fut bientôt vide. Ils étaient de plus en plus sales, ils avaient de plus en plus soif.

« Je donnerais tout ce que je possède pour un bain, dit François en s’éventant avec son journal.

— À quelle heure arrivons-nous ? demanda Annie,

— Nous descendrons à Kermaneur, c’est le plus proche village avant la ferme de Trémanoir ; de là, nous irons à bicyclette. Avec un peu de chance, nous arriverons à l’heure du goûter.

— J’espère que nous pourrons boire des jus de fruits ! J’ai l’impression d’avoir traversé le désert. »

Le train stoppa enfin dans un endroit parfaitement sauvage. On voyait seulement deux petites baraques de bois construites le long de la voie ferrée. La locomotive s’arrêta en soufflant, comme si elle n’avait pas la force d’aller plus loin.

Les enfants n’avaient pas vu le nom de la station. Ils entendirent quelqu’un les héler. C’était le chef de gare,

« Alors on ne descend pas ? Vous voulez rester là toute la journée ?

— Mon Dieu ! C’est Kermaneur ? Nous descendons ! »

La petite gare avait l’air triste, perdue au milieu des champs et des collines. Pas une seule maison en vue !

Mais Claude avait des yeux de lynx, et soudain ces yeux-là se mirent à briller. Elle serra le bras de François.

« Regarde la mer ! Là, entre les collines ! Tu ne vois pas ? Je suis sûre que c’est la mer. Elle est d’un bleu !…

— Ah ! Je me sens mieux, dit Mick. Vite, allons chercher nos bicyclettes et demandons le chemin de la ferme de Trémanoir. Si on ne me donne pas bientôt à boire, ma langue va pendre comme celle de Dago. »

Le pauvre Mick dut regonfler encore une fois son pneu.

« La ferme est-elle loin ? »

François consulta son carnet de route :

« Descendre à Kermaneur, cinq kilomètres jusqu’à Trémanoir. Le village est environ à un kilomètre de la ferme »

« Ce n’est pas terrible. Nous pourrons toujours-boire une limonade ou manger une glace au village.

— Ouah ! Ouah ! approuva Dago, qui raffolait des glaces.

— Pauvre chien, dit Annie, il aura tellement chaud en courant derrière nous ! N’allons pas trop vite !

— Avec mon pneu dégonflé, je ne risque pas de gagner une course »

Ils allèrent donc doucement. Dago les regardait avec reconnaissance. Il ne se plaignait jamais lorsqu’il était avec les quatre enfants ; il les aimait tant !

Il devait être cinq heures. C’était une journée calme, ils ne rencontrèrent personne. Il faisait tellement chaud que les oiseaux eux-mêmes se taisaient ; pas de vent, le pays tout entier dormait dans le soleil et le silence. C’était un bien étrange pays…

« Je sens l’aventure dans l’air, dit soudain François, mais nous sommes fatigués de l’aventure, n’est-ce pas ? Pas question. Nous passerons notre chemin et ne chercherons à percer aucun mystère ; vous êtes bien d’accord ? »