CHAPITRE XIV
Le passage secret
FRANÇOIS s’arrêta sur la dernière marche de l’escalier et écouta : aucun bruit…
« Qui est là ? demanda-t-il. Je sais qu’il y a quelqu’un ! Je vous entends. »
Toujours aucun bruit. La cuisine, envahie par les herbes, le lierre et les rosiers grimpants, ressemblait plutôt à un jardin qu’à quelque décor dramatique. Personne ne répondit. François marcha dans la pièce et regarda tout autour de lui. Tout était calme et silencieux. Il vit une porte qui donnait sur une autre pièce, s’empressa d’aller l’ouvrir.
La pièce était vide elle aussi. Il visita ainsi, successivement, les quatre chambres qui composaient la maison. Dagobert était toujours calme et indifférent, ce qui prouvait qu’il n’y avait là aucun malfaiteur.
« Dago, ce doit être une fausse alarme. C’était probablement un lapin ! Mais qu’est-ce que tu renifles ? »
Le chien reniflait le coin, près de la porte. Lorsqu’il se retourna vers François, il semblait vouloir dire quelque chose. François s’approcha, mais comme il n’y avait rien là non plus, il se demanda pourquoi Dagobert avait l’air tout à coup si vivement intéressé.
« Mick, fais descendre les filles, s’il te plaît, cria François, il n’y a personne ! Annie a dû entendre un animal qui se promenait par là.
— Je suis désolée de vous avoir effrayés, dit Annie, mais en effet il n’y a sûrement personne, le chien est si calme.
— Que faisons-nous maintenant ? Nous déjeunons ? Ou bien continuons nous à explorer pour trouver l’entrée du passage secret qui conduit d’ici aux cavernes ? »
François regarda sa montre.
« Il n’est pas tout à fait l’heure de déjeuner, dit-il, à moins que vous n’ayez particulièrement faim…
— Oui, je commence à me sentir en appétit, répondit Mick, mais, d’autre part, je ne pourrai jamais attendre, je suis trop impatient de trouver le passage secret.
— Je suis entré dans les quatre chambres, expliqua François, aucune ne semble contenir autre chose que des herbes ou des ronces.
— Allons voir ! Allons voir ! C’est passionnant ! s’écria Claude. Dagobert, en avant ! »
Ils commencèrent à explorer les quatre pièces. Il était facile de deviner qu’il n’y avait là aucune trappe. En effet, le sol était envahi par les herbes ; si un homme avait emprunté un passage secret dans l’une des chambres, les ronces auraient été écrasées. Or, elles poussaient partout en liberté.
« Ecoutez, dit François, nous allons forcer Dago à chercher l’entrée.
— Comment ? demanda Claude.
— Eh bien, nous lui ferons sentir les taches d’huile sur les marches, et, s’il y en a d’autres que nous ne voyons pas sous les herbes, il les découvrira, grâce à son flair.
— Moi, je pense, dit Claude, qu’il n’y a aucune entrée de souterrain ici. Nous avons regardé partout. Viens, Dagobert, on te demande de faire un miracle ! »
Elle appuya gentiment sur la tête de son chien jusqu’à ce qu’il ait le nez sur la tache d’huile.
« Et maintenant, suis cette piste. »
Le chien savait parfaitement ce qu’on lui demandait. Il renifla bien fort et grimpa sur la première marche puis sur la seconde.
« Non, Dago, pas dans ce sens ! Dans l’autre sens, il doit y avoir d’autres taches d’huile sur le plancher de la maison. »
Docile, Dago se retourna et fouinant entre les herbes, découvrit plusieurs marques sur le sol.
« Que ce chien est intelligent ! s’écria sa maîtresse enchantée. Nous allons enfin savoir ! »
Pour Dagobert, c’était presque un jeu, la piste était facile à suivre ; d’une tache à l’autre, d’une pièce à l’autre, il avançait… Enfin, il s’arrêta devant une cheminée, passa la tête à l’intérieur du foyer et ne bougea plus.
« Fantastique ! s’exclama Claude. La piste finit là, ce qui veut dire que le passage secret est à l’intérieur de cette cheminée. »
Ils y pénétrèrent tous en s’accroupissant. La cheminée était énorme. François braqua sa lumière et soudain…
« Regardez ! »
Sa lampe éclairait une cavité sombre assez grande pour qu’un homme puisse s’y glisser.
« Je crois que nous avons trouvé ! Vous voyez ce trou ? Si nous entrons à l’intérieur, je suis sûr que nous découvrirons le souterrain. Bravo, Dago !
— Nous allons être tout noirs de suie ! dit Annie.
— Qu’est-ce que cela peut faire ? Nous sommes sur une piste importante, répondit Claude. N’est-ce pas, François ?
— Je comprends ! Si c’est bien ce que nous pensons et s’il s’agit de contrebande, nous allons rendre un fameux service à la police ! Que faisons-nous ? Nous déjeunons ou nous entrons dans ce trou ?
— Dans le trou ! répondit Mick. Mais si nous envoyions Dagobert d’abord ? »
Dagobert s’enfonça dans l’obscurité et disparut, il avait l’air enchanté, on voyait sa queue remuer. Que voyait-il au bout de ce tunnel ? Des lapins, des rats ? Quel ennemi étrange les enfants allaient-ils prendre en chasse ?
« J’y vais maintenant, dit François. Mick, tu aideras Annie et Claude et ensuite, tu viendras. »
Il disparut ; un par un, les autres s’engouffrèrent à sa suite. Tout au bout de la galerie se trouvait une petite place qui ressemblait à un placard, et François se demanda s’il ne s’agissait pas seulement d’une cachette. Mais, dans le rayon de sa lampe, il vit près de ses pieds un autre trou qui paraissait profond. Il éclaira davantage et découvrit des escaliers métalliques. Il appela les autres, puis descendit en s’agrippant des mains et des pieds. François se retrouva sur la terre ferme. Il éclaira tout autour de lui.
Le passage était là, juste devant lui. C’était peut-être celui qui conduisait aux cavernes, celui que l’homme à la lampe avait longtemps emprunté !
François entendait les autres descendre à leur tour.
Il pensa soudain à Dagobert. Où était-il ? Il avait dû dégringoler le long de cette échelle métallique et se retrouver tout de suite en bas. Pauvre Dago ! François espérait qu’il ne s’était pas fait mal. Mais non ! Il aurait sûrement aboyé, il avait dû retomber sur ses pattes comme un chat.
Le garçon appela les autres.
« J’ai trouvé le passage. J’avance un petit peu, attendez-moi tous. Ensuite, nous pourrons marcher en file indienne. »
Mais Claude, elle aussi, s’inquiétait de Dago.
« Il a dû se faire mal, François. Il a dû tomber. Mon Dieu ! Où est-il ?
— Nous allons sûrement le retrouver tout de suite. Restez tout près les uns des autres et faites attention, le passage descend en pente raide ! »
En effet, les quatre enfants glissaient, tombaient les uns sur les autres. Enfin, ils découvrirent, dans les parois du mur, des crochets de fer auxquels ils pouvaient se retenir.
« Voilà qui est fort utile !
— Surtout lorsqu’on vient dans l’autre sens. Il doit être impossible de grimper par un tel chemin si l’on ne peut s’agripper au mur. »
Après cette descente un peu périlleuse, les quatre enfants se retrouvèrent soudain dans un vaste espace humide qui sentait la terre mouillée et le varech. C’était une caverne. Les murs étaient taillés dans le rocher, et dans la lumière de la lampe, on les voyait briller.
« Je voudrais retrouver Dago, murmura Claude, je ne l’entends pas.
— Il devait nous précéder, mais regardons un peu, en traversant cette caverne, s’il y a une issue. On doit arriver sur la côte. Regardez ! Il y a une marche dans le rocher. Cette grotte a une sortie. »
Ils passèrent sous la voûte, traversèrent un autre couloir de pierre, et le passage se divisa bientôt en deux branches, l’une allait vers la mer, l’autre vers la terre.
« Allons du côté de la mer, cela vaut mieux », dit François.
Ils allaient prendre le chemin à main droite, lorsque Claude s’arrêta et serra très fort le bras de son cousin ;
« Écoute, dit-elle, j’entends Dago. »
Ils s’arrêtèrent tous et écoutèrent. Claude avait l’ouïe très fine, elle entendait son chien japper.
« Ouah ! Ouah ! Ouah ! »
« Dago ! hurla-t-elle si fort que les autres sursautèrent, Dago !
— Il ne peut t’entendre d’aussi loin, et tu nous crèves les tympans ! Mais il nous faut prendre le chemin qui mène vers l’intérieur de la falaise, car les aboiements viennent de cette direction, dit Mick.
— D’accord, répondit François, allons le chercher, et puis nous poursuivrons notre exploration. »
Ils tournèrent donc sur leur gauche. Le chemin était plus aisé que celui qu’ils avaient emprunté pour venir, car il était plus large. Les aboiements de Dago s’espaçaient. Claude le siffla espérant qu’il allait venir en courant, mais il ne vint pas,
« C’est curieux qu’il ne vienne pas, je crains qu’il ne soit blessé. Dago ! »
Le passage tournait et de nouveau se divisait en deux à la grande surprise des enfants, ils découvrirent une porte dans le mur rocheux. Une porte ! c’était vraiment extraordinaire ! « Regardez ! On dirait une porte de forteresse, s’exclama Mick.
— Dagobert est derrière, dit Claude, il a dû essayer de passer par là, et la porte s’est refermée sur lui. Dago, nous sommes là, nous venons. »
Elle poussa de toutes ses forces, mais la porte ne céda pas. Enfin, elle découvrit un verrou qui avait l’air ancien, elle le poussa, la porte s’ouvrit aisément. Les quatre enfants entrèrent dans une autre grotte qui ressemblait plutôt à une pièce habitable.
Dago se rua vers eux. Il n’était pas blessé. Il était si heureux qu’il jappait de bon cœur :
« Ouah ! Ouah ! »
« Oh ! Dago ! Comment es-tu venu jusqu’ici ? lui demanda sa maîtresse en le caressant. La porte s’est-elle refermée sur toi ? Comme c’est curieux, on dirait un magasin ! Regardez toutes ces caisses toutes ces boîtes. »
Ils regardèrent tous, mais au même moment ils entendirent un petit bruit sec, François se jeta contre le battant de bois et essaya de l’ouvrir…
« C’est fermé ! Quelqu’un l’a fermé ! J’ai entendu. Laissez-nous sortir ! Laissez-nous sortir ! »