CHAPITRE IV
 
Dans les grottes

img12.png

LES trois premiers jours à la ferme de Trémanoir s’écoulèrent dans la paresse et le bien-être. Les enfants se promenaient au soleil, s’asseyaient dans les champs, regardaient les troupeaux. Ils mangeaient beaucoup, dormaient bien et jouaient avec les chiens ; Yan les suivait partout, il courait pieds nus derrière eux. Lorsqu’ils pique-niquaient dans une prairie, il se cachait derrière une haie et les observait de ses grands yeux brûlants.

« Cela ne sert à rien de lui dire de partir, grognait François, il disparaît derrière une haie et surgit d’une autre. Pensez-vous qu’il va bientôt se fatiguer de nous épier ainsi ?

— Je crois qu’il est seulement curieux, répondit Claude.

— Mais Dago qui gronde toujours lorsqu’il voit des gens sales ou mal habillés, l’a adopté ; il joue avec lui, n’est-ce pas bizarre ?

— J’irai voir son grand-père demain et je lui demanderai de garder Yan auprès de lui. »

À cet instant, deux yeux sombres apparurent entre les branches d’un arbre, et Dago s’élança vers le gamin en jappant de plaisir.

« Dago, viens ici ! cria Claude. Ne comprends-tu pas qu’il ne faut pas encourager Yan à nous suivre ? »

Sa voix était si sévère que le chien revint s’asseoir près d’elle, la tête basse.

François fit partir Yan, et celui-ci disparut tellement vite que les enfants demeurèrent perplexes. Il avait une façon tout à fait particulière de s’évanouir à leurs yeux pour revenir au moment où ils ne l’attendaient plus.

« Je n’aime pas ce gosse, dit François. Je ne sais pourquoi il me cause un malaise.

— Il n’est sûrement pas méchant puisque Dago l’aime, dit Annie qui avait une grande confiance en leur chien. Dago n’aime jamais quelqu’un qui n’en vaut pas la peine.

— Il a pu se tromper cette fois-ci, dit Claude. Il lui arrive d’être stupide. Je ne suis pas contente de toi, Dago.

— Allons nous baigner, proposa Mick. Prenons nos bicyclettes, Yan ne pourra pas nous suivre. »

Ils partirent. Mme Penlan leur avait donné du pain, du pâté et du cidre. Ils prirent la route vers la mer. Ce n’était pas vraiment une route, mais plutôt un étroit chemin qui serpentait dans les collines.

« Regardez la mer ! » cria soudain Mick.

Le sentier descendait entre deux hautes falaises. D’énormes vagues se brisaient contre les récifs avec de grands jaillissements d’écume.

Les enfants laissèrent leurs bicyclettes derrière un rocher et se mirent en maillot de bain. Entre les falaises, il y avait une crique où la mer était plus calme.

Les enfants se baignèrent, mais l’eau était glacée. Les quatre cousins nagèrent vivement pour ne pas prendre froid, tandis que Dago pataugeait. Puis ils pique-niquèrent dans les rochers, s’allongèrent au soleil, et, une fois reposés, ils décidèrent d’aller explorer la plage au pied des falaises.

« C’est fantastique ! s’écria Claude. Des grottes, encore des grottes et toujours des grottes ! Des récifs blancs et roux ! Que c’est beau ! Mais à marée haute, tout doit être recouvert d’eau.

— Sûrement, répondit François, et la plupart de ces cavernes doivent être envahies par les vagues. Ce n’est pas étonnant que Mme Penlan nous ait conseillé de bien faire attention aux heures de marée ! Si nous étions pris, nous ne pourrions sûrement pas grimper le long de ces falaises.

— Regardez donc, je ne crois pas me tromper, ce petit bandit de Yan est encore là ! s’exclama Annie.

Derrière un rocher couvert de varech, la tête ébouriffée de l’enfant apparaissait.

« Il a dû courir tout le long du chemin jusqu’ici ! ajouta François. Allons, il est temps de partir, la marée monte.

— Est-ce que tu crois qu’il connaît bien les marées ? demanda Annie, inquiète. Sait-il qu’il risque d’être emporté ?

— Bien sûr ! Ne sois pas sotte ! Enfin, si tu veux, nous attendrons un peu là-haut. Remontons ! Nous avons tout juste le temps de reprendre le sentier, à moins que quelqu’un n’ait l’intention d’escalader la falaise. »

Ils trouvèrent un endroit charmant sur la hauteur, non loin du rocher où ils avaient garé leurs bicyclettes. Ils s’assirent et dégustèrent les chaussons aux pommes que Mme Penlan leur avait donnés pour le goûter.

« Elle fait vraiment bien la pâtisserie ! » commenta Mick.

La marée avançait à grands pas, et bientôt les quatre cousins entendirent les vagues gigantesques battre les rochers.

Nous n’avons pas encore vu Yan, murmura Annie. Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé !

— Allons-voir, dit Mick. Je ne l’aime pas, mais je ne voudrais pas qu’il se noie. »

Les deux garçons s’approchèrent le plus qu’ils purent sur la falaise, mais ils ne virent pas Yan.

« On ne distingue plus du tout la plage ! s’exclama François. Je comprends maintenant les dangers de la marée. Elle monte terriblement vite ! Les vagues entrent dans la dernière grotte que nous avons visitée.

— Qu’est-il arrivé à Yan ? Il n’est pas remonté par le sentier. Où peut-il être ? »

Mick parlait fiévreusement, et François commençait à être angoissé lui aussi. Il hésita : pouvaient-ils s’aventurer un peu sur les rochers ? La dernière vague l’en dissuada. Ce serait une folie. Une autre vague pareille à celle-ci, et Mick et lui seraient arrachés du rocher auquel ils se cramponnaient.

« Regarde, en voilà une encore plus grosse ! » cria François, et ils se sauvèrent à toutes jambes.

« Nous n’avons vu Yan nulle part, dit François aux filles. La plage est recouverte par la mer, les grottes sont remplies d’eau.

— Il n’est pas noyé, au moins ? demanda Annie effrayée.

— Mais non. Il connaît bien la côte et la mer, puisqu’il vit ici. Rentrons. »

Ils firent la route en silence. Ils ne pouvaient s’empêcher d’être inquiets au sujet du petit garçon.

Que lui était-il arrivé ? Lorsqu’ils furent à la ferme, ils interrogèrent Mme Penlan.

« Pensez-vous que Yan ait pu être renversé par une vague et noyé ? » demanda Annie.

Mme Penlan sourit.

« Mais non ! Il connaît son chemin et pourrait le faire les yeux fermés. Il est beaucoup plus intelligent que vous ne croyez ! »

Tout cela était plutôt réconfortant. Bientôt, les enfants reverraient sans doute les yeux noirs de Yan fixés sur eux.

Après un dîner délicieux, ils allèrent de nouveau se promener dans un chemin bordé de noisetiers. Ils s’assirent sur un banc, et Mick distribua du sucre aux chiens.

« Regardez ! » s’écria Claude tout à coup.

Elle tournait la tête vers un chêne tout proche. Les autres regardèrent. Deux yeux noirs brillaient.

« Yan ! »

Il les avait suivis comme d’habitude et s’était caché pour les surveiller. Annie était tellement contente de le revoir qu’elle s’exclama :

« Yan, veux-tu un bonbon ? »

Yan accourut aussitôt, la main tendue ; pour la première fois, il souriait. Son petit visage mal lavé soudain s’illuminait. Annie lui rendit son sourire. Il était si gentil, au fond !

« Ah ! Te voilà ! » s’écria à son tour Mick.

img13.png

Quelle joie de le retrouver ! Ils avaient tous eu une telle peur qu’il se soit noyé ! Quant à Dago, il lui faisait une fête ; il avait toujours aimé Yan. Il lui lécha les genoux, les bras, sauta sur lui. Il était si fort qu’il aurait pu renverser le petit garçon. Yan riait, se prenait au jeu et courait après le chien. François, Mick et Annie, autour d’eux, s’amusaient follement. Seule, Claude n’était pas contente. Dago lui appartenait. Elle n’aimait pas qu’il jouât avec les autres. Evidemment, elle se réjouissait de voir Yan sain et sauf, mais elle ne l’aimait pas. Aussi fit-elle la grimace. François fit remarquer à Mick la tête de Claude. Alors Claude accentua sa grimace.

« Vous avez eu tort de lui donner des friandises, dit-elle. Il va nous poursuivre encore plus qu’avant. »

Yan revint demander d’autres bonbons et les mit tous à la fois dans sa bouche. Il avait l’air d’avoir mal aux dents, tellement sa joue était gonflée.

« Venez voir mon grand-père, dit-il avec autorité, il vous racontera beaucoup d’histoires.

Et, comme les autres ne répondaient pas assez vivement, il insista :

« Mon grand-père aime aussi les bonbons.

François éclata de rire.

« Très bien, nous irons le voir demain après-midi. Et maintenant va te laver, sinon nous ne te donnerons plus jamais de friandises. Compris ?

— Oui ! » dit Yan.

Il sortit les trois bonbons de sa bouche, les examina pour voir s’il en restait encore beaucoup à sucer, puis les engloutit de nouveau.

« Va te laver tout de suite. Non, attends un peu, j’ai quelque chose à te demander. Comment es-tu revenu de la plage cet après-midi ? Tu as grimpé le long du rocher ?

— Non, répondit Yan, calant ses bonbons dans l’autre joue. J’ai pris le chemin des pirates, c’est mon grand-père qui me l’a montré. »

Et il s’enfuit avant même qu’on ait eu le temps de lui poser une autre question.

« Vous avez entendu ça ? dit François. Il est venu par le « chemin des pirates ! » Incroyable !

Peut-être que nous nous sommes nous-mêmes promenés sur l’une des plages que hantaient jadis les écumeurs de mer !

— Oui, mais comment Yan pouvait-il demeurer sur la plage alors que la marée montait si vite ? Je n’y comprends rien. Où est ce chemin ? Je crois que nous devrions faire une visite au vieux grand-père demain. Il nous expliquera tout cela.

— Bon d’accord, allons-y, dit Claude, mais souvenez-vous de ce que je vous ai dît. Yan nous ennuiera encore plus, maintenant que nous l’avons encouragé.

— Après tout, il n’a pas l’air d’un méchant gosse, dit Mick, et s’il persuade son grand-père de nous livrer le secret du chemin des pirates, nous nous amuserons beaucoup ! Qu’en penses-tu, François ?

— Cela peut même nous conduire vers l’aventure, dit François en se moquant du visage trop sérieux d’Annie. Attention, Annie, je sens l’aventure à Trémanoir !

— Tu dois te tromper, répondit Annie. Et pourtant, moi aussi, je sens quelque chose. »