CHAPITRE XII
 
Vers la tour

 

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« J’ÉTOUFFE ! gémissait François désespéré, il faut absolument faire quelque chose.

— Nous aurions pu regarder auparavant. Je ne savais pas que ce costume avait une fermeture automatique. Qu’allons-nous faire ?

— J’ai tellement chaud ! je ne peux plus respirer.

— Nous sommes des ânes de nous être laissé prendre à ce piège. »

Malgré sa frayeur, François ne put s’empêcher de rire.

« Dis plutôt que nous sommes un cheval !

— Allons vers la cuisine, quelqu’un nous aidera à sortir de là !

— Ce n’est pas si facile que cela en a l’air de faire marcher, cet animal. Si, au moins, je pouvais mettre les trous en face de mes yeux ! dit François, je suis aveugle ! »

Enfin, il y arriva ; prudemment, à pas lents, ils s’approchèrent de la cuisine. Ils ne savaient pas comment attirer l’attention sur eux et, avisant une grande fenêtre ouverte, François décida de se faire remarquer par Annie ou Claude. Mais personne ne regardait du côté de la fenêtre. Pourtant, au bout d’un moment, quelqu’un s’écria ;

« Un cheval ! Monsieur Penlan, l’un de vos chevaux s’est échappé ! »

Le fermier sortit. Devant lui le cheval s’enfuyait au petit trot. François et Mick avaient peur du géant ! Les pattes de devant et les pattes de derrière ne galopaient pas au même rythme ; c’était une catastrophe ! Dans l’obscurité, M. Penlan maîtrisa le cheval et fut bien étonné d’entendre une voix humaine s’écrier :

« Poussez votre genou, il me défonce la mâchoire. »

Il réalisa alors qu’il s’agissait de Clopinant.

« Je vous en supplie, dit Mick, sortez-nous de là, défaites la fermeture, nous suffoquons. »

Le fermier éclata de rire. Puis défit le fermoir. Les garçons, dépouillés du corps de Clopinant, émergèrent au grand air. Ils avalèrent une grande rasade de vent frais, ils avaient bien cru mourir asphyxiés !

« Merci, monsieur Penlan. Nous voulions simplement essayer de faire marcher le cheval. »

M. Penlan retourna dîner. Les gamins confus ramenèrent le cheval dans la grange. Ils avaient un peu peur du gouverneur. Il était là ; grognant et tempêtant tout seul, cherchant Clopinant partout.

François attendit qu’il fût au fond de la grange et alors, d’un geste rapide, il lança les pattes et la tête du cheval à l’intérieur, puis se sauva en courant.

Les deux garçons étaient assis maintenant avec des airs d’archange sur un banc de la cuisine. Ils semblaient n’avoir pas bougé de leur place. Il y avait tellement de monde qu’on ne s’était peut-être pas aperçu de leur absence. Mais Claude s’approcha d’eux.

« Où êtes-vous allés ?

— Vous ne voulez pas manger un peu, tant qu’il reste encore quelque chose ?

— Oui, volontiers. On te racontera tout après. »

M. Penlan leva la tête vers eux et, les montrant de la pointe de son couteau :

« Oh ! Oh ! Oh ! Commença-t-il dans un fou rire.

— Ah ! Ils ont été t’aider à attraper le cheval ? demanda Mme Penlan. Quel cheval était-ce ?

— Clopinant ! » dit-il dans un grognement mêlé de rire.

Personne, excepté Claude et Annie, ne comprit ce qu’il voulait dire !

C’était une soirée merveilleuse et ce fut bien triste de la voir s’achever. Les villageoises et les deux filles lavèrent la vaisselle, les Barnies donnaient un coup de main. Tout le monde était de bonne humeur. Puis on rangea la cuisine, et les amis se séparèrent. Les Barnies allèrent se coucher, le vieux grand-père entraîna Yan vers les troupeaux en disant qu’il avait trop mangé et ne pourrait jamais dormir. Mme Penlan ferma les volets et la porte de la cuisine. Elle semblait fatiguée, mais heureuse. Il n’y avait rien qu’elle aimât tant que de passer des heures à préparer de bons petits plats et de voir ses invités les dévorer en quelques instants. Les enfants la trouvaient formidable.

Ils furent bientôt tous couchés. Ils s’endormirent aussitôt. Les Penlan en firent autant. Seul le chat de la cuisine demeura éveillé surveillant l’arrivée des souris.

Le jour suivant fut un jour de beau temps clair et tiède, mais une petite brise marine soufflait par instants, apportant une odeur d’iode et de varech.

« Je serai très occupée aujourd’hui, dit Mme Penlan, car il faut que je remette tout en ordre. J’ai envie de vous donner un pique-nique, vous pourriez passer toute la journée dehors. »

C’était une excellente idée. François avait déjà projeté l’exploration de la vieille tour. C’était tout à fait le jour pour mettre ce plan à exécution. Mme Penlan leur prépara « juste un petit pique-nique », c’est-à-dire un repas pour douze ! Ils partirent avec Dago. Les quatre chiens de la ferme les escortèrent un temps, mais Dago leur fit vite comprendre que lui seul avait la charge d’accompagner les enfants. Il leur dit dans son langage de chien : « J’emmène les enfants en promenade, je n’ai pas le temps de jouer avec vous. »

« Si Yan vient, le garderons-nous avec nous ? » demanda Claude.

François réfléchit :

« Non, j’aimerais mieux que nous fussions seuls. Nous allons peut-être découvrir quelque chose qu’il ne souhaite pas nous révéler. »

Mais Yan s’approcha, silencieusement… Personne ne se serait aperçu de sa présence si Dagobert n’avait pas abandonné Claude pour lui faire fête.

« François ! Le voilà ! s’écria la petite fille déçue. Il est encore là !

— Bonjour, Yan, dit François. Nous ne t’emmenons pas aujourd’hui, nous voulons être seuls.

— Je viens avec vous. » Il était encore propre !

« Non, tu ne viens pas, tu as compris ? Nous ne voulons pas de toi aujourd’hui. »

Sa petite figure grimaça, il était au bord des larmes. Il se retourna vers Annie.

« Je viens aussi ? lui demanda-t-il, tout bas… »

Annie secoua la tête.

« Non, pas aujourd’hui, un autre jour, prends ce bonbon et va-t’en, tu seras gentil. »

Yan prît le bonbon et s’en alla tristement. Il disparut dans les champs aussi vite qu’il était venu.

Les quatre enfants marchaient vers la mer, ils étaient contents d’avoir mis un chandail, car le vent maintenant soufflait, et il ne faisait pas très chaud. Plus on approchait de la mer et plus la brise était fraîche.

« Je serai vraiment content quand nous aurons déjeuné, car ce sac de provisions est très lourd.

— Allons jusqu’à la tour, dit Mick, nous poserons le sac ; nous explorerons un peu, cela nous mettra en appétit. Je crois que Mme Penlan a dû nous mettre de quoi déjeuner, goûter et dîner.

— J’espère que nous sommes dans la bonne direction. »

François se servait de sa boussole et choisissait de temps en temps des raccourcis ; il semblait très sûr de lui. Mais les filles étaient plus inquiètes.

« De toute façon, dit Mick, nous approchons de la côte.

— Voici les deux collines, je les reconnais, dit Annie, c’est entre ces deux là que l’on voit la maison en ruine et la tour.

— Je crois.

— Je me demande comment les gens qui habitaient cette demeure jadis s’y rendaient ; il n’y a aucune route. »

Ils traversaient maintenant un vaste champ d’herbes folles et de buissons. Ils s’engouffrèrent entre des haies sombres.

« Nous sommes dans un tunnel de verdure », dit Annie.

Lorsqu’ils en sortirent, ils découvrirent un petit sentier escarpé, très raide, qui descendait entre les falaises jusqu’à la maison en ruine et la tour. Celle-ci, construite sur un rocher, dominait la mer. La marée était basse… La bande de terre qui séparait la côte du récif était étroite et dégagée.

« Nous voilà arrivés ! »

Ils s’arrêtèrent. Avec un respect mêlé d’effroi, ils contemplaient la tour des pirates ; tant de noyés avaient dû être rejetés là par la mer, dans l’épouvante d’un naufrage.

« La tour tombe en ruine, dit Mick.

En effet, de grandes crevasses noires dessinaient dans les murailles des sortes de griffes ; les murs de la maison étaient lézardés.

« Allons à la découverte ! »

La tour ne paraissait pas aussi effrayante de près que de loin. Lorsqu’ils l’avaient vue dans la terrible nuit d’orage, elle avait un aspect légendaire et tragique, mais aujourd’hui ce n’était qu’un amas de pierres abandonnées, une pauvre vieille ruine que le vent et la tempête avaient meurtrie. Le sentier s’arrêtait là.

Les enfants se frayèrent un chemin à travers les ronces et les herbes folles.

« Personne n’a dû venir ici depuis des années, dit François, et d’ailleurs on aurait du mal à couper ces ronces et à trouver un sentier dans une telle végétation. »

Ils arrivèrent enfin près de la maison ; attenante au donjon elle aussi était abandonnée et triste. Mais un rosier grimpant épanouissait des gerbes de roses blanches le long des murs comme pour cacher sa misère. Tout cela avait un aspect romantique assez touchant. Seule la tour gardait sa puissance. François monta les escaliers d’un vieux perron et entra à l’intérieur de la maison ; les herbes avaient poussé entre les dalles.

« Il y a un escalier de pierre qui monte à.la tour, cria-t-il, et… oh ! Venez voir ! »

Les autres s’approchèrent.

« Que voyez-vous sur chaque marche ?

— De l’huile, dit Claude, quelqu’un a transporté de l’huile dans un bidon ou une lampe et en a renversé. François, nous ferions mieux d’être prudents, il y a peut-être encore quelqu’un ici. »