CHAPITRE X
Le spectacle va bientôt commencer
FRANÇOIS et Mick regardèrent encore quelque temps la lumière, et puis revinrent vers la ferme. Le vent était si fort et si froid qu’ils frissonnaient dans la nuit d’été.
« Je suis content que tu nous aies retrouvés, Yan, dit Mick en passant son bras autour des épaules du petit berger qui tremblait un peu. Merci pour ton aide. Nous voulons explorer la vieille tour. Viendras-tu avec nous ? »
Si Yan tremblait, c’était plus de frayeur que de froid.
« Non, j’ai peur, dit-il. J’ai peur de cette tour maintenant.
— Bon, tu ne viendras pas, cela ne fait rien. Retourne vite chez toi. »
Yan détala dans l’ombre, comme un lièvre. Les garçons revinrent tous deux à la ferme, sans prendre de précautions, car ils se croyaient seuls dehors. Mais lorsqu’ils furent près de la cour, ils s’arrêtèrent soudain.
« Il y a une lumière dans la grange. Non, elle s’est éteinte. Elle se rallume. Quelqu’un passe avec une lampe électrique. Qui est-ce ?
— L’un des Barnies peut-être ! murmura François, allons voir. »
Ils marchèrent sur la pointe des pieds jusqu’à la grange et regardèrent à travers une fente. D’abord ils ne virent rien. Puis une torche s’éclaira dans un angle, là où les Barnies devaient ranger leurs vêtements.
« Oh ! Quelqu’un fouille dans les poches des vêtements, dit François indigné. Regarde, un voleur !
— Qui est-ce ? L’un des comédiens ? » L’espace d’un instant la lumière dessina l’ombre du voleur sur le mur. C’était une ombre géante. Ils virent aussi une main énorme…
« C’est M. Penlan ! chuchota Mick, oui, je le vois maintenant. Que fait-il ? Il doit être fou ! Il se promène la nuit sur les collines, erre dans la grange, il cherche dans les poches ! Regarde ce qu’il fait maintenant : il fouille les costumes de scène. Oui, il est sûrement fou ! »
François se sentait mal à l’aise. Il n’aimait pas épier son hôte. Quel étrange personnage ! Il disait des mensonges tout le jour, et ne dormait pas la nuit. Mme Penlan savait-elle que son mari était si bizarre ? Non, sûrement pas ! Sinon, elle eût été très malheureuse ! Elle semblait si gaie !
« Viens, dit François à l’oreille de Mick. Je me demande ce qu’il s’attend à trouver dans les costumes de théâtre des Barnies. Partons, je ne veux pas le voir voler, ce serait atroce si nous avions à le dénoncer à la police ! »
Ils arrivèrent devant la porte de la façade et constatèrent qu’elle était fermée, mais non pas à clef. Ils montèrent dans leur chambre excités par tout ce qu’ils avaient découvert. La lumière de la tour, l’homme dans la grange ! Autant de mystères !
« Réveillons les filles et racontons-leur, je ne pourrai jamais attendre jusqu’à demain matin. »
Claude était réveillée, Dago aussi. Le chien les avait entendus sortir et attendait leur retour devant la porte des filles. C’est lui qui avait réveillé Claude.
« Annie ! Claude ! Nous avons des nouvelles ! » murmura François.
Dago fit un joyeux accueil aux garçons. Et bientôt, les filles, assises dans leur lit, en chemise de nuit, écoutèrent le terrible récit.
«Annie ! Claude ! Nous avons des
nouvelles. »
« Alors le vieux grand-père avait dit la vérité ? murmura Annie. François, crois-tu que nous entendrons parler d’un naufrage demain ? Quelle horreur !
— C’est affreux ! ajouta Claude écoutant le gémissement du vent. Ce doit être épouvantable de sombrer dans la mer par une nuit pareille. Nous devrions aller jusqu’aux falaises pour porter secours aux rescapés.
— Avec cette tempête ! dit Mick, nous ne pourrions même pas approcher de la grève ! Les vagues sont tellement puissantes, nous serions emportés. »
Ils parlèrent longtemps. Enfin, Claude bâilla.
« Arrêtons-nous maintenant, dit-elle, sinon nous ne pourrons pas nous réveiller demain matin. D’ailleurs, nous n’irons pas explorer la tour demain, François, car nous avons promis à Mme Penlan de l’aider, c’est le jour des Barnies.
— Nous irons donc après-demain, je suis décidé. Yan a dit qu’il ne nous montrerait pas le chemin, car il a trop peur.
— J’ai très peur moi-même, dit Claude, je me demande ce que j’aurais fait si j’avais vu la lumière cette nuit du haut de la colline ! »
Les garçons retournèrent dans leur chambre. Ils s’endormirent très vite. Le vent continuait à gémir dans la triste nuit, mais ils ne l’entendaient plus. La balade dans la campagne sous la pluie les avait fatigués.
Le jour suivant fut un jour tellement fébrile, que les enfants n’eurent même pas le temps de se souvenir des événements de la nuit. Une seule chose leur rappela la réalité : durant le petit déjeuner, Mme Penlan, toujours aussi bavarde, leur demanda :
« Avez-vous bien dormi, malgré ce vent sifflant autour de la maison ? Moi, j’ai dormi comme un loir. M. Penlan aussi, d’ailleurs, il était si fatigué qu’il m’a dit ne pas avoir bougé de la nuit. »
Les enfants se firent du pied sous la table, mais personne ne dit rien. Ensuite, ils furent tous repris par leur activité : cueillir des fruits, éplucher des légumes, courir ça et là, transporter des caisses, des accessoires, des vêtements pour les comédiens, les aider à installer des chaises et des bancs pour les spectateurs et même recoudre des boutons aux costumes. Annie était débordée.
Yan vint, comme d’habitude, et Dago s’occupa de lui.
Mme Penlan lui fit faire toutes ses courses.
« Il est rapide comme l’éclair, lorsqu’il sait qu’il y a de bonnes choses à manger. »
On entendait la fermière dire : « Yan, va me chercher des œufs au poulailler, Yan, apporte-moi du bois », et cela toute la journée.
Les Barnies travaillèrent dur eux aussi, ils eurent une répétition pendant laquelle tout alla mal. Le gouverneur grondait, se fâchait, trépignait, et Annie se demandait s’ils n’allaient pas tous partir et le laisser là avec son spectacle.
D’abord, il y eut un concert donné par les pierrots ; puis une pièce mélodramatique, avec des méchants et des bons, des héros et une héroïne qu’on maltraitait, mais tout s’achevait dans la joie, et Annie se sentit soulagée. Clopinant devait donner un exemple de ses talents. Il passait sur la scène entre les pièces et les changements de décor avec des gestes charmants ou comiques, destinés à faire rire le public, et à le faire patienter.
François et Mick regardaient Binet et Sid répéter dans leur coin. C’était fantastique de voir leur habileté : le cheval dansait, trottait, galopait, tombait, se relevait, s’asseyait, dormait, tout cela d’une façon si réelle et si drôle, que l’on se demandait comment deux hommes pouvaient si bien s’entendre sous ce déguisement de cheval.
« Laissez-moi essayer la tête, monsieur Binet, supplia François, simplement pour voir. »
Mais Sid ne voulait pas.
« Les ordres sont les ordres.
— Dormez-vous avec Clopinant, demanda Mick curieux, cela doit être ennuyeux d’avoir la charge de ce cheval tout le temps ?
— On s’y habitue. Oui, je dors avec le vieux Clopinant, nous mettons nos têtes sur l’oreiller ensemble. Il dort si bien le pauvre.
— La grange va crouler sous les applaudissements, ce soir, lorsque Clopinant paraîtra ! dît François.
— C’est toujours comme cela, ajouta M. Binet. Mais c’est lui le moins bien payé ; quelle honte !
— Oui, nous comptons pour un seul comédien, Binet et moi, ce n’est pas drôle, nous avons un tout petit salaire, mais vous voyez, nous aimons la vie ! »
Et ils s’en allèrent ensemble, Sid portant la tête de cheval comme d’habitude sous son bras,
« Drôle de petit bonhomme ! » pensa François.
À l’heure du dîner, François eut un brusque souvenir.
« Madame Penlan, demanda-t-il, je suppose que ce terrible vent n’a causé aucun naufrage cette nuit ? »
La fermière le regarda avec stupeur.
« Sûrement pas, François. Les bateaux n’approchent pas de cette côte ; les phares les avertissent de loin. L’endroit est hérissé de récifs, les navires restent au large ; quant aux pêcheurs, ils connaissent la mer ! »
Ils poussèrent tous un soupir de soulagement, et le souper se passa sans incident. M. Penlan était là, mangeant beaucoup et ne disant rien. Ses mâchoires broyaient la nourriture, et personne n’aurait pu penser qu’il n’avait pas de dents. François regardait ses mains sombres et poilues. Il avait vu ces mains-là cette nuit, il n’y avait aucun doute, fouillant dans les poches des comédiens.
Enfin, la soirée vint, tout était prêt, on avait placé une énorme table au milieu de la cuisine. Pour la recouvrir, Mme Penlan donna aux deux filles une immense nappe. Elles n’en avaient jamais vu d’aussi grande.
« C’est celle dont je me sers l’été au moment de la moisson. Nous avons un repas magnifique ici, au mois d’août et quand nous avons fini de dîner, nous dansons.
— Ce doit être merveilleux, dit Annie. Je crois que la vie à la campagne est bien agréable.
— Les gens de la ville ne disent pas ça. Ils pensent que la campagne est un endroit mort et sans distractions. Mais moi, j’ai toujours pensé que la vie dans une ferme était la seule amusante.
— C’est vrai, dirent Annie et Claude.
— Cette nappe est très belle, n’est-ce pas ? dit Mme Penlan. Elle a appartenu à mon arrière-arrière-grand-mère, elle a presque deux cents ans, elle est toujours aussi blanche ! Elle en a vu des repas de moisson ! »
On mit ensuite les assiettes, les couteaux, les cuillers, les fourchettes et les verres. Tous les Barnies avaient été invités et les enfants aussi. Deux autres fermières resteraient pour aider. Quelle fête en perspective !
L’arrière-cuisine était tellement pleine que c’était difficile d’y pénétrer : pâtés de viande, jambons, langues de bœuf, légumes, tartes aux fraises, confitures, flans, pots de crème, bouteilles de cidre, Mme Penlan avait fait presque tout, à elle seule. Elle rit lorsqu’elle vit les enfants ouvrir de grands yeux devant tant de splendeurs.
« Vous ne mangerez rien jusqu’au dîner, dit-elle, pas de goûter aujourd’hui, car je veux que vous ayez bon appétit ce soir. »
Plus l’heure du spectacle approchait et plus l’excitation des enfants était grande.
« Voilà les premiers villageois ! s’écria François, qui se tenait à la porte de la ferme pour aider à vendre les billets. Hurrah ! Le spectacle va bientôt commencer. Entrez ! Entrez tous ! Vous verrez le plus extraordinaire spectacle du monde. »