CHAPITRE VII
 
Une grosse émotion.

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CHACUN apprécia le menu composé par Annie : salade de tomates, côtelettes d’agneau grillées, pommes de terre cuites sous la cendre, fromage et abricots en conserve véritablement délicieux.

Après le repas, tandis que Claude ouvrait la lettre de sa mère, François fit remarquer, en s’étendant au soleil :

« Annie, tu es une perle ! Maintenant, Claude, lis-nous les recommandations de tante Cécile ! » Claude toussa pour s’éclaircir la voix, et commença :

Mes chers enfants,

J’espère que Claude est bien arrivée parmi vous. J’écris surtout pour lui rappeler que l’anniversaire de sa grand-mère tombe samedi, et qu’elle doit lui écrire à cette occasion.

Ma petite Claude, ton père est bouleversé à cause de la disparition des deux savants. Il connaît très bien Marcel Dumoutier, et a même travaillé avec lui pendant quelque temps. Il dit qu’il est absolument sûr qu’un tel homme n’est pas un traître. À son avis, Marcel Dumoutier et Antoine Tessier ont été enlevés, probablement à bord d’un avion, et transportés dans un pays étranger qui les obligera à livrer leurs secrets. Je suis contente que tu ne sois pas là, étant donné l’état de nervosité de ton père.

Dans ta prochaine lettre, ne parle pas de cette affaire, car j’espère qu’il va enfin se calmer. Il est hors de lui, et s’écrie à tout moment : «  va le monde ? »

Amusez-vous bien tous ensembles, et toi, Claude, n’oublie pas d’écrire à ta grand-mère. Affectueux baisers.

MAMAN (TANTE CÉCILE)

« Eh bien ! J’imagine papa en train de marcher à grands pas comme un…

— Avaleur de feu, compléta François en souriant. Un de ces jours, tante Cécile, excédée, va le pourchasser avec une casserole ! Quelle drôle d’histoire que celle de ces savants ! Après tout, Marcel Dumoutier comptait bien quitter le pays, puisqu’il avait pris son billet d’avion ! Malgré ce qu’en pense ton père, c’est louche, ne trouvez-vous pas ?

— Voyons si l’on parle d’eux aujourd’hui, dit Mick en ouvrant le journal. Oui, écoutez :

« Il est malheureusement clair qu’Antoine Tessier était à la solde d’un pays hostile au nôtre, et qu’il avait fait le projet de rejoindre Marcel Dumoutier dans son voyage à l’étranger. Rien de précis au sujet des deux hommes, quoique leur passage dans plusieurs capitales ait été signalé. »

François resta un moment rêveur, et dit : « Voilà qui clôt le débat. Deux mauvais sujets ! Regardez leur photographie. »

Les quatre enfants se penchèrent sur le journal. « N’importe qui pourrait reconnaître Marcel Dumoutier avec un front si énorme et de tels sourcils, dit Annie. Ils sont si épais qu’on les dirait faux !

— Il les rasera et s’en fera une moustache, dit Mick. De cette façon, sa physionomie sera totalement différente !

— Sois donc sérieux, dit Claude en riant malgré elle. L’autre n’a rien de particulier, si ce n’est un grand front. Quel dommage qu’aucun d’entre nous ne soit doté d’un grand front ! Nous ne devons pas être très intelligents !

— Il y en a de plus défavorisés par la nature, dit François. Dans nos multiples aventures, il nous a souvent fallu faire appel à toutes les ressources de notre esprit, et nous nous en sommes bien tirés !

— Mettons un peu d’ordre et allons nous promener, dit Annie. Autrement, je vais m’endormir. Le soleil est si chaud !

— Oui. Mieux vaut sortir un peu », dit François en se levant. « Que faisons-nous ? Voulez-vous visiter le château aujourd’hui ou préférez-vous remettre cette passionnante excursion à plus tard ?

— Je n’ai guère envie de grimper cette colline abrupte en ce moment, dit Annie. Il me semble que le matin serait mieux indiqué. »

Ils lavèrent la vaisselle, puis fermèrent les deux roulottes et sortirent. François se retourna pour jeter un coup d’œil du côté des saltimbanques. Quelques-uns d’entre eux s’étaient rassemblés et prenaient leur repas en commun. Ils regardèrent fixement les enfants sans dire un mot. Ceux-ci en éprouvèrent une espèce de malaise.

« Il est évident que nous ne leur plaisons pas, dit Mick. Écoute-moi bien, Dagobert. Surtout, n’accepte rien de ces gens-là !

— Oh ! Mick, s’écria Claude, outrée, tu crois qu’ils iraient jusqu’à faire du mal à Dagobert ?

— Non, je ne le pense pas vraiment, répondit Mick, après une légère hésitation. Cependant, nous devons nous montrer prudents. L’homme-caoutchouc l’a souligné ce matin : nous ne sommes pas de la même race. Personne n’y peut rien. Pourtant, nous souhaitions leur amitié. Cette situation est déplaisante.

— Bon, tu as raison, dit Claude. Dagobert, tant que nous séjournerons ici, tu resteras sur mes talons. Compris ?

— Wouf ! wouf ! » fit Dagobert en se rapprochant de telle sorte que son nez buta contre l’un des mollets de sa jeune maîtresse.

Ils décidèrent d’aller en autocar jusqu’à Plodergat, et de continuer la route à pied jusqu’à la mer. Ils pensaient avoir le temps de revenir avant la nuit. L’autocar allait quitter la station, et ils coururent pour l’attraper. Le voyage ne fut pas long ; quatre kilomètres seulement les séparaient de Plodergat, un joli petit village avec un étang où nageaient des canards blancs. « Si nous mangions une glace ? » proposa Mick, qui avait vu en face de l’arrêt une alléchante enseigne.

« Non, dit François. Nous avons très bien déjeuné. Tu peux attendre le goûter. »

La promenade fut charmante. Les enfants passèrent par des chemins bordés de violettes, puis à travers des champs piquetés de clochettes et de primevères.

« Enfin, la mer ! Oh ! que cette crique est jolie ! s’exclama Annie, ravie. Comme l’eau est bleue ! Nous pourrions presque nous y baigner !

— La mer est glacée en cette saison, dit François. Venez ! Allons voir la jetée et les bateaux de pêche. »

Ils gagnèrent la jetée de pierre blanche, inondée de lumière, et se mirent à converser avec les pêcheurs. Quelques-uns étaient assis au soleil, en, train de réparer leurs filets et ne demandaient pas mieux que de faire un brin de causette.

« Comme c’est agréable de rencontrer un peu de gentillesse après avoir été traités si rudement par les saltimbanques ! » constata Mick.

François et les fillettes approuvèrent.

Un pêcheur les prit sur son bateau et leur expliqua une foule de choses. Ils écoutèrent parler longuement le vieil homme, qui avait des yeux bleus et expressifs dans un visage tanné. Certaines de ses explications les intéressèrent au plus haut point.

« Serait-il possible de louer un bateau si nous en avions envie ? questionna François. Y en a-t-il un qui soit facile à manœuvrer ? Nous avons déjà fait un peu de navigation à voile.

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— Demandez donc à Joseph, là-bas, de l’autre côté de la jetée. Il a un bateau qu’il loue quelquefois, répondit le marin, il acceptera sans doute de vous le confier si vous savez vraiment vous en servir.

— Merci. Nous nous adresserons à lui à l’occasion », dit François. Il regarda sa montre. « Il est temps de penser à goûter. Nous devons être rentrés avant la nuit. Nous campons à Château-Mauclerc.

— Tiens ! dit le marin. N’y a-t-il pas des saltimbanques, là-bas, en ce moment ? Ils étaient ici la semaine dernière. L’avaleur de feu est fameux ! Et il y a un type étonnant : je l’ai ficelé moi-même avec cette ligne dont je me sers pour le gros poisson. Regardez-la ! Elle est deux fois plus solide qu’une corde. Je l’ai attaché en faisant tous les nœuds que je connais et, dans l’espace d’une minute, il était debout avec la ligne à ses pieds !

— Oui, c’est vrai ! dit un autre pêcheur. Et l’homme-caoutchouc, donc ! Il a pris un tuyau de cheminée, un tuyau de tôle galvanisée à peine plus gros que ma cuisse, et il s’est enfilé là-dedans comme une anguille ! Quand je l’ai vu sortir par l’autre bout, j’en suis resté bouche bée.

— Nous irons à leur représentation, dit François. Pour le moment, on ne peut pas dire qu’ils se montrent sociables avec nous. Ils sont mécontents de nous voir installés dans leur champ.

— C’est qu’ils préfèrent rester entre eux, dit le pêcheur. Il paraît qu’ils ont eu des ennuis dans le pays où ils sont passés avant de venir ici ; quelqu’un a mis la police à leurs trousses, et maintenant ils ne veulent plus parler à personne. »

Les enfants serrèrent la main des pêcheurs et s’éloignèrent. Ils allèrent goûter dans une petite pâtisserie du village et prirent le chemin du retour.

« Nous pouvons facilement rentrer à pied avant la nuit, dit François. Mais si les filles sont fatiguées, nous attendrons l’autocar à Plodergat…

— Nous ne sommes pas du tout fatiguées, affirma Claude, indignée. M’as-tu déjà entendu dire que j’étais fatiguée, François ?

— C’est bon, c’est bon, je demandais cela par simple politesse, dit François. S’il en est ainsi, allons à pied. »

La route leur parut plus longue qu’ils ne l’avaient prévu. Il commençait à faire sombre quand ils arrivèrent enfin en vue de leur terrain de camping. Ils grimpèrent lentement la côte et se dirigèrent vers leur emplacement habituel.

Soudain, ils s’arrêtèrent, éberlués. Ils regardèrent tout autour d’eux et durent se rendre à l’évidence : leurs roulottes avaient disparu ! On en reconnaissait encore l’emplacement, l’herbe brûlée à l’endroit où ils avaient fait du feu, mais de roulottes, point !

« Ce n’est pas possible ! dit François. Sommes-nous bien éveillés ? Où sont nos roulottes ?

— Comment ont-elles pu partir d’ici ? dit Annie. Il n’y a pas de chevaux pour les tirer… »

Il y eut un silence. Les quatre enfants étaient bouleversés. Comment deux grosses roulottes avaient-elles pu disparaître ainsi ?

« Regardez, il y a des traces de roues sur le sol, dit soudain Mick. Nos caravanes sont descendues dans cette direction sans aucun doute ! »

Les enfants et Dagobert suivirent les traces de roues. François regarda derrière lui, sentant qu’on les observait. Mais aucun saltimbanque ne se montra.

« Je suis sûr qu’ils nous épient derrière les rideaux de leurs roulottes », pensa le jeune garçon, mal à l’aise.

Les traces traversaient le champ et conduisaient au chemin, où elles se perdaient.

« Qu’allons-nous faire ? s’écria Annie, effrayée. Elles sont parties. Nous n’avons plus de toit pour nous abriter ! Oh ! François, qu’allons-nous devenir ?»

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